François BURGAT

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Billet de blog 21 avril 2023

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Lettre ouverte au sujet du livre de F. Bergeaud Blackler par O.Marongiu-Perria

En tant que militante, FBB a parfaitement le droit de s’épancher sur qui elle veut,(...) et de promouvoir les idées les plus radicales et réactionnaires. Mais elle a choisi de publier ce texte ahurissant en endossant sa casquette de chercheuse au CNRS

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Cher.e.s ami.e.s, cher.e.s collègues,

Florence Bergeaud-Blackler (FBB) a récemment fait paraître, chez Odile Jacob, son ouvrage Le frérisme et ses réseaux, l’enquête, préfacé par Gilles Kepel. À ma grande surprise, j’y suis mentionné, à plusieurs reprises, à mon détriment et au bénéfice de ses élucubrations. Elle me cite, entre autres, à la page 208, au sein d’un paragraphe aux relents pour le moins conspirationnistes et particulièrement mensongers :

« Farid Abdelkrim est sans doute le seul Frère né en France qui ait suivi ce chemin de repenti actif. Mais d’autres restent dans le giron de la matrice. Parce qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas s’en éloigner complètement ou parce qu’ils ne l’ont pas quittée mais y jouent le rôle de repenti, ils restent de près ou de loin liés aux cercles fréristes. Ainsi, Omero Marongiu-Perria ou Michael Privot se montrent critiques du fonctionnement de la confrérie mais la rupture n’est pas actée, ils conservent des attaches affectives et idéologiques. La situation familiale des ex- Frères peut les empêcher de quitter un travail ou une relation qui continue de les lier à la matrice. Ils peuvent rester des compagnons de route utiles à l’extérieur. Rappelons que la duplicité n’est pas illicite du point de vue de la wasatiyya et de la jurisprudence de l’équilibre (cf. supra). Les ex-Frères peuvent ainsi évoluer durablement dans cette zone grise, suspects aux yeux des uns, amis ou alliés aux yeux des autres. »

Je souhaite porter à votre connaissance quelques éléments de contexte pouvant éclairer les dessous de la rédaction de l’ouvrage de FBB et le caractère abject de ses propos. Il se trouve que j’ai collaboré durant quatre ans avec la chercheuse, de 2016 à 2019. Je ne parle pas d’une collaboration ponctuelle ; j’ai été membre statutaire de l’équipe de recherche MHALEC (Marché Halal, abattage, labellisation et enjeux de la consommation), sous sa direction, avec une convention entre le ministère de l'Intérieur/Bureau Central des Cultes et l’IREMAM/CNRS et un rapport de recherche rendu en 2018. J’ai joué un rôle central au sein de l’équipe, plus particulièrement sur l’axe 3 consacré aux enjeux socioreligieux du marché halal. FBB a d’ailleurs insisté pour que je sois présent à la réunion de restitution du rapport au ministère de l’Intérieur, le 19 décembre 2018, et que j’y fasse une présentation des principaux éléments d’analyse du terrain liés à l’axe 3.

Je ne parle pas non plus d’une collaboration qui aurait été restreinte à quelques réunions de travail. Nous avons discuté durant plusieurs dizaines d’heures au moins, souvent en aparté lorsque la chercheuse souhaitait mon « regard d’expert » sur les réseaux associatifs et les acteurs clefs que nous nous attachions à cartographier pour la recherche. FBB n’étant pas arabisante ni familière du vocabulaire usité au sein des Frères musulmans, il a fallu par exemple lui expliquer les notions de chumûliya, de wasatiya telles qu’elles sont comprises et utilisées par les idéologues fréristes. Parce qu’elle ne maitrise pas non plus les ramifications et les subtilités du tissu associatif musulman, je me suis attaché à lui cartographier les individus et les structures avec toute l’honnêteté qui sied au chercheur. Dans le cadre du programme de recherche MHALEC, j’ai rédigé un article analytique incluant une proposition de typologie des acteurs de l’« aire fraterniste » composée des figures tutélaires, des figures charismatiques et des lieutenants, auxquels nous avons par la suite ajouté les acteurs hybrides. J’ai également mobilisé des contacts au Sénégal pour que FBB et une autre membre de l’équipe puisse y réaliser des focus-groups sur le rapport au halal. FBB s’est également rendue au Rassemblement des musulmans de France, au Bourget, en 2017, pour y conduire des entretiens filmés par un autre membre de l’équipe. Là encore, j’ai facilité la rencontre avec des acteurs de terrain grâce à mes contacts au sein du tissu associatif musulman.

Rennes, le 21 mars 2023

Ce petit topo est déjà largement suffisant pour indiquer le statut plein de chercheur et d’expert des problématiques liées aux Frères musulmans en France qui m’a été clairement reconnu par FBB et par les membres de l’équipe de recherche MHALEC. Depuis 2017, j’en suis d’ailleurs à ma cinquième participation à des programmes conduits par des laboratoires de recherche, dans le cadre des appels à projets du ministère de l’Intérieur. Je ne compte plus les demandes de renseignements et d’éclairages de chercheurs et de journalistes, entre autres, auxquelles je réponds à plusieurs reprises chaque année. Je peux me targuer sans aucun nombrilisme d’avoir largement contribué, ces dernières années, à la connaissance du fait religieux islamique en France. La collaboration avec FBB, pour sa part, ne s’est pas limitée au programme MHALEC. J’ai été invité au colloque Sociétés sécularisées aux défis des intégralismes religieux qui des 5 et 6 juin 2018 à Aix-en-Provence, co-dirigé par FBB et Joan Stavo-Debauge. J’y ai présenté une synthèse de mon approche du paradigme hégémonique, élément central de mon ouvrage Rouvrir les portes de l’Islam. La communication a été saluée par les organisateurs et en particulier FBB, nos échanges mails en témoignent. J’ai également été invité au colloque RELINUM, colloque international sur les dispositifs de communication numériques et les courants religieux fondamentalistes (ou intégralistes), des 26 et 27 novembre 2019 à Aix-en- Provence, co-dirigé par FBB. J’y ai présenté une synthèse de mes recherches, intitulée « La normativité religieuse à l’ère d’Internet : place et rôle des leaders religieux “fraternistes” dans l’espace francophone. » J’ai pu apporter des éclairages très précis sur la notion d’« espaces d’opportunités » sur lesquels je travaille depuis quelques années.

On pourra imaginer le temps passé en discussions formelles et informelles, ainsi que l’étendue des informations de terrain que j’ai apportées, en toute bonne foi et avec une critique honnête des acteurs/trices et de leurs idées. FBB m’a longuement interrogé sur l’évolution de mes liens avec l’ex-UOIF, devenue Musulmans de France (MDF) en 2018. Je lui ai expliqué en long, en large et en travers ma trajectoire de vie depuis ma démission de l’organisation le 24 mai 2004. Idem pour les circonstances dans lesquelles j’ai été invité à intervenir au Rassemblement annuel du Bourget entre 2013 et 2017, ainsi qu’à deux séminaires de l’ex-UOIF durant cette période. Je lui ai détaillé comment un groupe de jeunes musulman.e.s parisiens, dont la plupart n’étaient pas affiliés à l’ex-UOIF, ont pu initier les cafés-débats du Bourget sur des thèmes sensibles tels que l’historicité du Coran, l’homosexualité, les rapports de genre, etc. avec quelques ouvertures qui n’étaient pas négligeables pour atteindre un large public. Je lui ai encore une fois donné des clefs de compréhension d’une réalité complexe qui ne se résume pas à quelques clichés ressassés. Je lui ai également expliqué pourquoi un certain nombre de musulmans libéraux ont saisi cette opportunité, et chacun est tout à fait libre de critiquer cette stratégie.

À l’issue du programme MHALEC, FBB m’a proposé de rédiger un article en commun. À cette époque, elle avait l’opportunité de publier l’ensemble de la recherche, mais elle a préféré que nous poursuivions un travail de rédaction ensemble, elle et moi, à l’exclusion des autres membres de l’équipe de recherche et en reprenant ma contribution au rapport final pour en faire un document d’une trentaine de pages. J’ai accepté le principe et nos échanges se sont poursuivis oralement, par mail et via WhatsApp jusqu’à la fin de l’année 2019. Cependant, face à la radicalité croissante de son positionnement et à ses manquements à l’éthique de la recherche, j’ai mis un terme à ce projet rédactionnel. Nos échanges ont été nombreux, des points de divergence sont apparus concernant l’analyse de l’espace « fraterniste » et de ses acteurs, et aussi la notion d’espace d’opportunités. Cela est tout à fait normal et le fond du problème ne réside pas là pour moi. Il réside plutôt dans l’attitude de FBB qui s’apparente à celle de chercheurs qui, depuis pas mal d’années, publient des travaux sur des acteurs qu’ils n’ont jamais interrogés, sur des terrains qu’ils ont à peine visités, privilégiant l’analyse des « traces » laissées

dans les médias ou sur les réseaux sociaux au détriment du long et néanmoins nécessaire travail du chercheur sur un temps long. Ils s’exonèrent donc de creuser plus loin en prenant le temps de faire ce que tout.e chercheur.se digne de ce nom doit faire : réaliser des entretiens formels, lire, articuler les discours aux actes, restituer la complexité des trajectoires, etc.

FBB, pour sa part, est montée d’un cran dans la prise de distance avec l’éthique de la recherche en intégrant dans son bagage conceptuel la prescription normative imposée par le.la chercheur.se. Elle ne se propose plus uniquement de restituer la réalité d’un champ, elle définit elle-même en amont ce que constitue la « normalité musulmane acceptable » dans notre société et l’islamité qui lui serait antinomique et qu’elle englobe sous le vocable de « frérisme ». D’une manière confuse et sur une posture complètement idéologique, elle décrète que toute signe visible de l’appartenance à l’islam et tout attachement aux normes liées à la pratique cultuelle ou à la consommation traduisent l’appartenance à la « matrice frériste ». Autant condamner d’emblée la quasi-totalité des musulmans attachés peu ou prou à un aspect de la normativité religieuse. Je n’ai connu, de ma vie de chercheur, aucun.e collègue qui s’est permis une élucubration aussi fantasmagorique et cette forme de criminalisation de la normativité religieuse dans le champ islamique.

Ce frérisme, qu’elle personnifie à loisir, aurait selon elle un vaste projet de construction du califat planétaire. Pour mettre en œuvre son projet, il se serait désormais doté de la capacité à phagocyter tous les « espaces d’opportunités » et les cerveaux des musulman.e.s et non musulman.e.s qui gravitent dans son orbite. En conséquence, il existerait un « frérisme par capillarité » et un nombre désormais incalculable de musulman.e.s fréristes à l’insu de leur plein gré ; ils sont coupables pour le simple fait d’avoir été membre ou d’avoir participé à des réseaux associatifs au sein desquels des acteurs ou des structures « fréristes » seraient présents, selon la prescription et l’assignation de la chercheuse. Je suis toujours prêt à écouter toutes sortes d’hypothèses improbables de ce genre, qui sont rapidement invalidées par une démarche de recherche sérieuse. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait avec FBB, patiemment, avec pédagogie, en posant les questions les plus simples et les plus basiques que pose tout chercheur honnête : quoi ? qui ? pourquoi ? quand ? comment ? combien ? etc. À titre d’exemple, la typologie de départ que j’ai proposée n’a pas résisté à l’analyse des discours et des pratiques des acteurs, et j’ai dû l’amender fortement, ce qui est tout à fait logique dans un travail de recherche. De même, la sociologie des réseaux possède ses catégories d’analyse ; établir des liens et une cartographie d’acteurs et de structures ne vaut pas explication des univers de représentations ni des systèmes attitudes. Un bloggeur de bas-étage pourra s’en contenter pour faire le buzz sur le Web, mais jamais un chercheur digne de ce nom pourrait se rabaisser à ces pratiques vulgaires.

FBB n’a pourtant pas voulu en démordre : les « espaces d’opportunités » sont créés et contrôlés par les organisations fréristes qui en tirent le plus grand bénéfice. Tout musulman pris en « flagrant délit » d’implication au sein de ces espaces d’opportunités est donc dépossédé de sa faculté à agir, de son esprit critique et de sa stratégie propre, au sens sociologique du terme. Il est réduit à n’être, a minima, qu’un suppôt de l’islamisme, le fameux idiot utile ou, a maxima, l’un de ses agents actifs, avec pour arme de destruction massive la fameuse « taqiya » qui est devenue, chez certains « analystes », la clef de compréhension magique de la stratégie frériste. Pour illustrer son positionnement, FBB invente alors la « transgression religieuse » comme marqueur de rupture avec la matrice frériste, cette matrice étant incarnée dans la normativité religieuse. Tout musulman, donc, quel qu’il soit, qui croit à la sacralité du Coran et qui mange halal est par défaut un menteur et un adepte du double-discours lorsqu’il affirme ne pas être un Frère musulman, puisqu’il ne « veut » pas ou qu’il ne « peut » pas transgresser les normes. On trouvera certainement la ficelle un peu grosse, à juste titre, mais c’est pourtant ce qu’elle affirme

en substance dans le paragraphe précédemment cité de son livre, confirmé d’ailleurs par un précédent échange que nous avions eu sur WhatsApp et au cours duquel elle n’hésitait pas à m’écrire, le 8 décembre 2019 :

« Pour moi le paradigme frériste est celui de la wasatiyyaah, c’est-à-dire d’une posture indécise qui se positionne contre le littéralisme wahabite (en prônant une approche éthique) mais qui ne veut pas pour autant remettre en question la sacralité du Coran. [...] Même si on prend ses distances avec le programme frériste, on n’est pas pour autant sorti de ce paradigme. Le problème à mon avis est que tant qu’on n’en sort pas, on n’est pas vraiment dans l’approche historico-critique absolument incompatible avec l’idée que le Coran est une parole purement révélée dont le prophète n’a été que le scribe. [...] Pour résumer, je dirais que sortir du programme frériste ne veut pas dire qu’on en a abandonné le paradigme. Et ne pas l’abandonner, ne pas rompre publiquement, c’est le faire vivre et donc nourrir les programme des Frères qui eux n’ont aucun état d’âme sur le sujet. [...] Le problème c’est quand les fondamentalistes se croient libéraux, même s’ils sont de bonne foi. Dans les enquêtes sur le halal chez les réformistes, tous disent qu’il n’y a aucun fondement au marché halal. Mais personne ne veut le dire publiquement, et tous mangent halal... J’estime que dans ces conditions, la liberté de culte n’est pas assurée. »

J’ai dans mon escarcelle une panoplie de propos de ce type, dont tout.e collègue un tant soit peu éclairé mesurera la portée délétère. J’ai été plus que patient face à ces montages en épingle de la part de FBB en lui expliquant qu’il n’est pas possible de pratiquer ce type d’assignations sans confronter les discours et les pratiques des acteurs et, surtout, sans comprendre le sens qu’ils donnent à leurs pratiques. Voici ce qu’elle m’écrivait, en retour, le 10 décembre 2019 :

« L’erreur avec ces gens qui utilisent ces techniques c’est de vouloir comprendre ce qu’ils disent, en fait ils ne disent rien ils communiquent des messages séduisants selon les publics, destinés à renforcer leur position. C’est une méthode courante chez les charlatans universitaires, en anthropologie de l’islam notamment mais pas que. C’est comme ça que l’on peut comprendre la façon dont ils imprègnent leurs idées dans les milieux différents. (C’était une question qu’on s’était posée dans mon bureau à Aix si tu te souviens) »

Son propos visait pêle-mêle une large étendue d’acteurs qu’elle amalgame dans un imbroglio théorique, méthodologique et analytique en leur prêtant des «techniques» discursives destinées à « étendre le périmètre de la matrice frériste ». On peut donc prendre FBB à ses propres mots, sur le statut du Coran par exemple. FBB n’était pas sans connaître ma position ni celle de Michael Privot à ce sujet. Nos prises de position sur le caractère inspiré du Coran, de facture humaine avec un prophète actif dans le processus rédactionnel sont si claires que nous avons été quasiment éliminés du tissu associatif cultuel musulman. Michael Privot (MP) a débattu publiquement sur ce thème à plusieurs reprises avec des vidéos disponibles sur le net. Nous avons d’ailleurs achevé un livre à paraitre sur les implications théologiques de l’historicisation du Coran. Pourtant, pour illustrer la non-rupture de MP avec le « paradigme frériste », FBB mentionne dans son ouvrage deux lignes tirées d’un écrit de MP qui proposait d’analyser l’intentionnalité du prophète pour comprendre à partir des textes de la tradition qu’on pouvait tout-à-fait serrer la main d’une personne de l’autre sexe. La preuve de la culpabilité de MP ? Il ne serait pas capable de sortir de la logique de la légitimation des pratiques par les textes, il est donc dans l’affirmation du paradigme frériste. Autant clouer au pilori tous les théologiens dont le principal travail consiste à travailler sur les textes sacrés. Ici, nous franchissons un cap majeur d’une vaste supercherie idéologique qui se pare de scientificité.

Le fond du propos est finalement très simple : pour FBB, l’islamité « acceptable » est celle des musulmans qui transgressent ouvertement les limites qu’elle définit comme étant celles fixées par les islamistes. FBB détiendrait donc les clefs de définition de l’islam acceptable par la société. Exit la notion coranique de « communauté centrale », le terme de wasatiya est

désormais la propriété exclusive des islamistes et tout musulman se réclamant du juste milieu est un islamiste caché. Exit la liberté individuelle du rapport à la pratique : affirmer le libre choix de chacun dans son rapport à Dieu tout en étant soi-même pratiquant revient à imposer son islam et à entraver la liberté de croire. Affirmer que le port du voile n’est pas une prescription coranique et, dans le même temps, respecter le libre choix d’une femme de le porter vous rend coupable de mensonge ; vous devenez de facto un suppôt invétéré des Frères musulmans. FBB invente ainsi de nouvelles catégories de la recherche, celle du « musulman menteur » et celle de « frérisme par capillarité ». Pour moins que cela, certain.e.s collègues ont pu être taxés de chercheurs/ses malhonnêtes.

J’ai fait avec FBB ce que je fais avec nombre de chercheurs, d’étudiants, de journalistes et d’experts en tous genres. Je leur ouvre des portes de compréhension d’une réalité complexe qu’ils peinent à saisir, sans aucune contrepartie. Je m’interroge sur le fait qu’une maison d’édition telle qu’Odile Jacob ait pu se fourvoyer de la sorte. De son côté, FBB a cocréé en mars 2022, avec la militante Fadila Maaroufi, le café laïque Bruxelles, dit Cafla, lieu d’expositions et de conférences débats. S’y sont produits pêle-mêle une brochette d’intervenants liés à une panoplie de courants réactionnaires, et dont FBB relaie sans aucun filtre critique la prose sur son fil twitter. FBB se défend pourtant d’être membre du Printemps Républicain, d’être d’extrême-droite ou membre du parti d’Eric Zemmour, d’être elle-même une « réac ». Dont acte. Alors pourquoi s’aventure-t-elle à accuser à tort et à travers des chercheurs, des acteurs de terrain et des intellectuels musulmans d’être des agents dormants ou des adeptes du mensonge au service d’une soi-disant stratégie d’emprise mondiale de l’islamisme ? Me concernant, elle réalise un tour de passe-passe absolument extraordinaire : reprendre à son compte la mine d’informations que je lui ai apportée, faire de la description une analyse en soi, élaborer un scénario improbable et m’enfermer dans le cachot de la taqiya au sein du donjon frériste du château islamiste. Je suis coupable d’avoir mis à sa disposition mon regard d’expert et une capacité d’analyse que très peu de chercheurs peuvent se targuer de posséder. J’en sais peut-être trop – ou jamais assez ? – pour être vraiment honnête. Pauvre de moi...

En tant que militante, FBB a parfaitement le droit de s’épancher sur qui elle veut, comme elle le souhaite, et de promouvoir les idées les plus radicales et réactionnaires. Mais elle a choisi de publier ce texte ahurissant en endossant sa casquette de chercheuse au CNRS et en jetant à la vindicte populaire des noms de personnes en les accusant tout bonnement de former une cinquième colonne au sein de ce pays, sans un soupçon de recul critique ni même un début de crédibilité scientifique. Sans une prise de position claire de l’institution sur de tels agissements, je souhaite vraiment bon courage aux collègues pour leurs recherches de terrain. Je ne compte plus les acteurs associatifs musulmans qui en ont plus qu’assez d’être les serviettes sur lesquelles des chercheur.se.s et des journalistes malhonnêtes s’essuient les pieds pour gravir quelques échelons de notoriété. En tout cas, pour ma part, ce naufrage scientifique a définitivement fini d’achever ma bienveillance et ma naïveté.

Cordialement votre

Omero Marongiu-Perria
Sociologue de l’ethnicité et des religions

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