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Billet de blog 9 décembre 2022

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Plaidoyer pour améliorer l’indemnisation des victimes du travail

Ce 9 décembre se tenait une audience de l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui doit décider du sort de l’indemnisation des victimes de risques professionnels. Une occasion de sortir d’un système très défavorable aux salariés par rapport aux victimes d’autres risques. François Desriaux, vice-président de l’Andeva et Francis Meyer, ancien directeur de l’Institut du travail de Strasbourg

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Plaidoyer pour améliorer l'indemnisation des maladies professionnelles et leur prévention

Comme on pouvait le craindre, l’audience du 9 décembre de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation n’a pas fait la une des journaux. Pourtant, derrière un débat éminemment technique, c’est l’indemnisation des victimes d’accident du travail et de maladie professionnelle qui se joue. Rien de moins.

Et c’est une occasion de sortir d’un système inique, défavorable aux travailleurs au regard notamment de l’amélioration continue de l’indemnisation des préjudices dont ont bénéficié depuis des décennies les victimes autres que celles du monde du travail. Notamment les accidentés de la route qui, depuis la loi Badinter de 1985, bénéficient d’une indemnisation intégrale de tous les dommages, économiques, matériels, physiques et psychiques.

Un cancer dû à l’amiante

L’affaire qui sera jugée est celle de Monsieur A. B., ancien soudeur à l'arc employé dans les Houillères du bassin de lorraine et qui est décédé le 1er novembre 2012 des suites d'un cancer broncho-pulmonaire apparu à 56 ans. Sa pathologie a été reconnue au titre des maladies professionnelles, tableau 30 bis, c’est-à-dire l’un de ceux qui répare les conséquences d’une exposition à l’amiante. Après son décès, son employeur, les Charbonnages de France, a été condamné pour faute inexcusable, permettant ainsi à sa famille de bénéficier d’une indemnisation complémentaire servie par la caisse primaire d’Assurance maladie (Cpam) de Moselle sur le fondement des articles L. 452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Ces textes prévoient une majoration au maximum de la rente forfaitaire perçue dès la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, ainsi qu’une indemnisation des préjudices causés notamment par les souffrances physiques et morales et des préjudices esthétiques et d’agrément. Charge ensuite à la Cpam qui en aura fait l’avance de se faire rembourser de toutes ces sommes par l’employeur responsable de cette faute inexcusable.

Jusqu’ici, l’affaire est simple. Lorsque l’employeur a commis une faute, la victime – ou ses ayants-droits - est mieux indemnisée. Mais là où les choses se compliquent, c’est que cette amélioration de la réparation des victimes du travail, qui découle d’une loi de 1976, a été peu à peu grignotée par une jurisprudence de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation, laquelle affirme, arrêt après arrêt, que la rente servie lors de la reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie répare également les souffrances physiques et morales de la victime d’une faute inexcusable. Cette dernière ne peut donc plus en solliciter la réparation à l’encontre de son employeur pourtant condamné, selon le principe que nul ne peut être indemnisé deux fois d’un même préjudice. Une jurisprudence dans laquelle s’est engouffrée Charbonnage de France qui a considéré qu’aucune condamnation financière ne pouvait être prononcée à son encontre s’agissant des souffrances physiques et morales engendrées par la maladie dont il est pourtant à l’origine.

Des magistrats divisés

Si l’affaire de Monsieur A. B. arrive devant l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, c’est précisément parce que les magistrats du fond, depuis la juridiction de première instance jusqu’aux deux cours d’appel qui ont eu à examiner ce dossier, se sont opposés à cette conception d’une rente « trois en un » indemnisant la perte de capacité de gains de la victime découlant de sa maladie ou de son accident, mais aussi les souffrances physiques et morales qu’elle engendre.

C’est donc maintenant l’Assemblée plénière qui doit se prononcer. L’enjeu est de taille. 70 000 euros au titre des souffrances physique et morale ont été attribués en réparation des préjudices aux ayants-droits de la victime. Selon la décision de l’Assemblée plénière, cette somme sera soit conservée par sa famille ou, au contraire, devra être remboursée à Charbonnages de France. Derrière le droit, c’est aussi une arrière-pensée financière que les magistrats de la cour suprême auront en tête, compte tenu de ses conséquences économiques pour les entreprises.

Sur le plan du droit, force est de constater que sa simple lecture contredit la position de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation puisque l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale commence ainsi « Indépendamment de la majoration de rente qu’elle perçoit (…), la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées (…) ». Le 9 décembre prochain il sera donc d’abord demandé à l’Assemblée plénière de faire application de la loi.

À souffrances égales, un cadre est mieux indemnisé qu’un ouvrier. 

A cela s’ajoute le fait que la rente servie à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est le produit de son taux d’incapacité appliqué à son salaire. Dès lors, à suivre la position de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation, à situation égale d’incapacité, les souffrances morales et physiques sont d’autant mieux indemnisées que le salaire est important. Autrement dit, à souffrances égales, un cadre est mieux indemnisé qu’un ouvrier. Socialement, cette conception de la réparation n’est pas tenable et il est urgent d’y mettre un terme.

Enfin, si la jurisprudence de la 2ème chambre civile devait perdurer, cela conforterait les employeurs peu soucieux de la santé et des conditions de travail de leurs salariés. A quoi bon investir dans la prévention des risques professionnels puisque, de toutes façons, à la fin, ils seront exonérés de leurs responsabilités ? A contrario, l’évolution de la jurisprudence que nous espérons devrait à la fois constituer un progrès pour les salariés qui ont payé de leur santé ou de leur vie l’incurie de leur patron, et inciter ces derniers à se montrer plus soucieux de leurs collaborateurs. La prévention deviendrait enfin rentable.

François Desriaux, vice-président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva)

Francis Meyer, ancien directeur de l’Institut du travail de Strasbourg,

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