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Billet de blog 15 avril 2022

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Retraites : encore un effort Emmanuel Macron !

Le recul de l’âge légal de la retraite à 65 ans annoncé par le candidat Emmanuel Macron risque de constituer un repoussoir pour de nombreux électeurs et pourrait faciliter l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Car ce projet symbolise à lui tout seul l’injustice sociale et l’évolution défavorable des conditions de travail. Ce texte appelle E. Macron à amender sa proposition.

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Retraites : encore un effort, Monsieur Macron

Michel Rocard l’avait prédit dans son livre blanc sur les retraites en 1991 : une réforme du système est de nature à faire sauter plusieurs gouvernements. Aujourd’hui, c’est carrément la République qui est menacée. En annonçant vouloir repousser l’âge légal de départ à 65 ans, le candidat président a pris un énorme risque avec le scrutin du second tour de la présidentielle face à sa rivale d’extrême droite. Notamment celui de dissuader nombre d’électrices et d’électeurs en activité d’aller voter pour lui afin de faire barrage à Marine Le Pen. Non pas parce que ces derniers veulent faire l’économie de devoir travailler trois ans de plus, mais parce que cette réforme porte en elle tout le spectre des inégalités sociales qui n’ont cessé de se renforcer au cours de ce quinquennat.

Reculer l’âge légal de la retraite à 65 ans, c’est faire peser les efforts que devrait accomplir l’ensemble du pays sur les catégories sociales les moins favorisées, celles et ceux de nos concitoyens qui ont commencé à travailler tôt, qui ont eu les conditions de travail les plus dures et qui ont l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé les plus courtes. En effet, celles et ceux qui ont fait des études supérieures et sont entrés.es tard dans la vie active devront de toutes façons travailler au moins jusqu’à 65 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein (172 trimestres pour ceux nés en 1973 et après) même avec un âge légal de départ à la retraite de 62 ans comme c’est le cas actuellement. Reculer l’âge de la retraite à 65 ans, c’est demander, en revanche, à un ouvrier ou à une employée entré.e à 18 ans sur le marché du travail de travailler 47 ans pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein, quand un.e cadre ayant commencé à travailler à 22 ans pourra se contenter de travailler 43 ans. On est très loin de la formule utilisée par le président de la République pour convaincre du bien-fondé de sa précédente reforme : « Un euro cotisé doit produire les mêmes droits pour tous » !

Certes, depuis lundi matin, Emmanuel Macron a mis un peu d’eau dans son vin et a promis de moduler les 65 ans fatidiques, peut-être 64 ans, et de passer par un referendum. Disons-le tout de suite, cela risque d’être insuffisant. D’autant que l’aménagement proposé s’apparent plutôt à une astuce de communication qu’à un véritable compromis. Il s’agirait de faire cette réforme dès 2023 et de voir plus tard, en 2027, quand on sera déjà arrivé au recul à 64 ans, si on poursuit l’allongement jusqu’à 65 ans. Ca ne va pas rassurer grand monde ni convaincre les réticents de voter pour un projet injuste qui risque de condamner nombre d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon au déclin sur leur fin de vie professionnelle et à une retraite financièrement amoindrie et en mauvaise santé. Alors plutôt que d’envoyer le Porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, ou son ancien Premier ministre, Edouard Philippe, justifier sur France Inter qu’on ne peut pas faire autrement, et qu’il faut mieux expliquer le bien fondé du projet aux Françaises et aux Français, Emmanuel Macron devrait surtout démontrer qu’il est prêt au compromis sur une question sociale majeure. Celui-ci devrait s’opérer dans trois directions.

Tout d’abord, la question de la pénibilité. Non seulement, celle-ci est loin d’être réglée, mais en supprimant quatre critères du dispositif élaboré par le gouvernement Ayrault, Monsieur Macron lui-même a aggravé la situation. Il devrait donc promettre de revenir rapidement sur le sujet avant de toucher à l’âge de départ, remettre notamment les critères port de charges et postures pénibles, grands pourvoyeurs d’inaptitudes médicales et de licenciements avec impossibilité de retrouver un emploi.

Second chantier, il lui faut également annoncer un grand plan d’amélioration des conditions de travail pour rendre le travail soutenable tout au long du parcours professionnel, comme l’ont fait les pays d’Europe du Nord, lesquels ont un taux d’emploi des seniors sans commune mesure avec le nôtre. Reculer l’âge de la retraite sans prendre en compte que, déjà aujourd’hui, un salarié sur deux qui fait valoir ses droits n’est plus en emploi, souvent à cause d’un problème de santé en lien avec les expositions professionnelles passées, n’est pas supportable socialement.

Enfin, si comme il le prétend, travailler plus longtemps est nécessaire pour l’équilibre des régimes – ce qui reste à démontrer – il n’y a aucune urgence à faire cela dans les toutes prochaines années. Monsieur Macron devrait donc annoncer qu’il prendra tout le temps nécessaire à la concertation avec les partenaires sociaux, les différentes branches professionnelles, les professionnels de la santé au travail, avant de toucher à ce sujet sensible. Il a avec la question des retraites l’occasion de démontrer qu’il va concrètement changer sa façon de gouverner en abandonnant la méthode Jupitérienne qui, indiscutablement, ne passe plus. Il s’agit juste d’éviter le chaos.

François Desriaux, rédacteur en chef du magazine Santé & Travail ; expression personnelle qui n'engage que l'auteur

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