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Billet de blog 3 octobre 2024

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L'Inspection générale veut ajouter la formation continue au service des professeurs

C'est une vraie rupture de culture professionnelle que préconise le rapport des inspecteurs généraux Gasnier et Sorbe. Ils demandent de modifier les obligations de service des enseignants du second degré pour y inclure 18 heures de formation obligatoires en plus du service actuel. Et de lier formation et carrière. Une idée venue de la droite et de Singapour...

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Les insuffisances de la formation continue

Illustration 1
Professeurs en formation © François Jarraud

Peu d'enseignants sont aussi demandeurs de formation continue que les enseignants français. C'est ce que révélait l'enquête Talis de l'OCDE en 2018. Elle montrait aussi que peu d'enseignants étaient aussi insatisfaits de leur formation continue que les professeurs français. Ils jugeaient très sévèrement les formations proposées par le ministère de l'Education, les jugeant peu utiles. Ainsi 47% jugeaient les formations proposées inadaptées à leurs besoins contre 19% en Belgique ou 24% en Angleterre.

Une formation qui part d'en haut

Le rapport des inspecteurs généraux Anne Gasnier et Xavier Sorbe porte sur "la mise en place des Ecoles académiques de la formation continue", crées depuis 2022. Mais il s'intéresse surtout à la formation continue des enseignants du second degré. Des EAFC, on saura surtout qu'elles ont " permis de rendre plus visible la formation continue au sein de chaque académie. Pour autant, un effort reste à entreprendre pour positionner l’enseignant au centre d’un processus de développement professionnel continu, afin qu’il identifie ses besoins sur la base d’analyses de pratiques et se forme pour faire évoluer ses pratiques pédagogiques, selon un mécanisme d’amélioration continue".

Les EAFC ont-elles modifié le paysage de la formation continue ? Les auteurs s'interrogent sur la construction des programmes académiques. Comme le soulignait Talis, tout part toujours d'en haut. " La construction du programme académique de formation pour l’année scolaire N / N+1, débute dès le mois de janvier de l’année N. Selon les académies, en début d’année civile, un cadrage académique peut être adressé par le recteur à l’EAFC et aux différents acteurs de la formation pour préciser le cahier des charges et ainsi renforcer la cohérence de l’offre de formation avec le projet académique". Les rapporteurs estiment que cela aboutit "à une prise en compte encore incomplète des besoins de formation exprimés par les acteurs". Pour améliorer cela ils préconisent d'utiliser les rapports d'inspection, ceux des évaluations d'écoles et établissement. Pas sur que cela change grand chose...

Quand former les enseignants ?

Mais le gros problème c'est le temps de formation. Les rapporteurs montrent à quel point les formations ont raccourci en durée jusqu'à des formations hyper courtes. " Le format des stages en présentiel porte davantage sur des durées plus courtes (2 à 3 heures) combinées à des webinaires synchrones ou asynchrones et des expérimentations en classe... Ce raccourcissement de la durée des formations concerne également les formations dématérialisées. L’EAFC de Bordeaux conçoit ainsi des webinaires d’un format de 90 à 120 minutes".

Mais le gros problème c'est de les installer dans les emplois du temps. Des académies testent des formules : sur le temps de déjeuner, en fin d'après midi... L'objectif c'est de les déplacer hors temps de travail. Un décret de 2019 a même prévu une rémunération de 120€ par jour. Mais cela rencontre une résistance sérieuse des enseignants : le rapport Longuet signale que seulement 2200 enseignants ont demandé cette indemnité. Pour les rapporteurs, " cette modalité n’est toutefois pas budgétairement soutenable en l’état dans une perspective de généralisation à l’ensemble de la population enseignante".

L'argent de la formation est utilisé ailleurs

Pourquoi est-ce impossible ? Un rapport de la Cour des comptes de juillet 2023 a apporté la réponse. Les dépenses de formation servent de variable d'ajustement du budget des académies. Pas pour des petites sommes , puisque la Cour estimait à un milliard en 2023 les crédits de formation récupérés. C'est ce que confirme le rapport Gasnier Sorbe en citant les directeurs des EAFC qui "regrettent des budgets insuffisants et "ne comprennent pas" la sous consommation".

Les annulations de crédit de 2024 n'arrangent rien. " Il ressort des entretiens, que les budgets de formation... peuvent apparaitre, voire servir, de variable d’ajustement. Il faut toutefois souligner que les annulations de crédits successives appliquées aux programmes de la mission enseignement scolaire ont nécessité que les académies « rendent » des crédits et elles n’ont eu en général d’autre choix que de mettre à contribution la ligne budgétaire formation", écrivent les rapporteurs.

Faire travailler gratuitement les enseignants

Alors la solution qu'avancent les inspecteurs, c'est de faire travailler gratuitement les enseignants du second degré. En imposant dans leurs obligations de service 18 heures de formation continue, à l'image de ce qui est du par les professeurs des écoles. " En adoptant la même logique que dans le premier degré pour répondre à des besoins analogues, pourrait être instauré dans le service des enseignants du second degré un temps consacré à leur formation continue. Le développement de la formation continue des enseignants ne devant pas obérer le temps d’enseignement dû aux élèves, cet horaire devra être intégré aux obligations de service en sus du temps d’enseignement. Un temps de formation de 18 heures par an, aligné sur ce qui existe actuellement dans le premier degré, permettrait de réaliser une progression modeste mais significative par rapport aux moyennes actuelles rappelées plus haut."

Intégrer la formation à la carrière

Pendant qu'on y est , ils proposent aussi d'intégrer ces formations à la carrière des enseignants. Le ministère a développé une plateforme pour cela (Virtuo). Mais les rapporteurs préfèrent les Open Badges mis en place dans l'académie de Versailles...

Ces préconisations ne tombent pas du ciel. Le 24 juillet 2023, Emmanuel Macron annonçait la couleur. "On ouvre le chantier de l’amélioration de la formation des enseignants. Nous mettons en place un système qui permettra de ne plus perdre d’heures d’abord en formant les enseignants en dehors du temps de présence devant élèves et en leur faisant des réunions hors de ce temps là et en ayant un système de remplacement plus efficace".

Des idées de droite

Deux rapports venaient appuyer cette politique. D'abord celui du sénateur LR G. Longuet qui demandait d'imposer aux enseignants du second degré les 18h faites par les professeurs des écoles. Ce travail gratuit ne lui faisait pas peur. Avec élégance, G Longuet écrivait : "» on a le sentiment que la rue de Grenelle a offert aux enseignants des conditions de vie que nos compatriotes ne comprennent toujours pas car ils ont le sentiment qu’ils n’ont que 160 jours de travail par an ce qui n’est pas beaucoup".

La modification de statut devait aller plus loin pour G. Longuet. Il demandait aussi de "tenir compte dans la mobilité géographique et la mobilité de carrière des enseignants du suivi de formations spécifiques, permettant de réellement passer d’une gestion statutaire à une gestion des ressources humaines. Ainsi, il serait envisageable que la validation de formations diplômantes puisse accélérer l’avancement dans la carrière, ce qui suppose, le rapporteur spécial en est bien conscient, de ne plus raisonner uniquement en termes d’ancienneté".

Un référé de la Cour des Comptes, publié lui aussi dans l'été 2023, reprend les mêmes idées. "Le système actuel basé sur le remplacement, système coûteux si tous les remplacements étaient réellement réalisés et complexe à mettre en place pour les cadres, coûterait jusqu’à 540 M€ par an pour huit jours de formation annuelle dont trois à distance", écrit la Cour. "Former les professeurs pendant les congés scolaires en prévoyant l’indemnité journalière de 120 € serait moins coûteux et représenterait environ 332 M€... La Cour recommande l’exploration d’autres pistes. Il conviendrait de redéfinir globalement d’une part les obligations de service des enseignants, en quantifiant le temps de travail des équipes pédagogiques, qui fait déjà partie de leurs missions, et, d’autre part, les obligations de formation en dehors du temps de classe et en laissant à l’échelon local le choix des moments consacrés à cette activité".

La voie de ces modifications a été ouverte par JM Blanquer. L’article 50 de la loi Blanquer a inscrit une obligation de formation pour tous les enseignants.  "La formation continue est obligatoire pour chaque enseignant. L’offre de formation continue est adaptée aux besoins des enseignants. Elle participe à leur développement professionnel et personnel et peut donner lieu à l’attribution d’une certification ou d’un diplôme".  Et le décret n° 2019-935 du 6 septembre 2019 a créé l'allocation de formation pour les enseignants suivant des formations pendant les périodes de vacance des classes dont le rapport Gasnier Sorbe invite le ministère à se passer.

Un rapport qui répond à l'actualité

Le plus important c'est que ce rapport répond à la situation présente. Le budget 2025 de l'Education nationale s'annonce largement insuffisant. Les sommes prévues pour la formation continue seront probablement nécessaire pour faire la paye des enseignants.

Et puis ce modèle d'une formation pilotant la carrière des enseignants, open badges à l'appui, vient d'un pays à la mode rue de Grenelle. C'est Singapour, cher à Anne Genetet. Comme l'avait montré la conférence du Cnesco sur la formation des enseignants en 2020, le développement professionnel y est intégré à un système d’hyper encadrement et d’évaluation constante. Un nouvel enseignant peut choisir de faire une carrière d’enseignant où il montera en grade, d’enseignant à senior teacher, de senior à lead teacher, de là à master pour espérer devenir un jour « Principal Master Teacher ». Chaque passage de grade nécessite un passage par la formation. Il est lié aussi à une évaluation effectuée par le plus gradé sur le moins gradé.

Open Badges, "développement professionnel", formation imposée non rémunérée, constellations sous le regard de la hiérarchie et de la "communauté éducative", le rapport Gasnier Sorbevise davantage à une rupture dans la culture professionnelle qu'à améliorer la formation des enseignants en répondant à leurs besoins.

François Jarraud

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