Des annonces pour le collège

"J’ai décidé de lancer un plan d’orientation ambitieux, le plan « Avenir ». L’École ne doit pas se contenter de distribuer les rôles : elle doit permettre à chacun de choisir le sien librement". Si E. Borne et P. Baptiste se déplacent le 5 juin en Eure-et-Loir pour présenter leur programme pour l'orientation, c'est, d'abord parce que le Défenseur des Droits, après la Cour des Comptes, vient de publier un rapport sévère sur l'orientation des jeunes. C'est aussi que la situation économique du pays nécessite d'avoir une main d'oeuvre mieux formée et mieux à même de faire face aux défis de la transformation du marché de l'emploi. "L'orientation scolaire devient donc un levier stratégique pour préparer les élèves non seulement à un parcours scolaire adapté à leurs aspirations et à leurs capacités, mais aussi à s’adapter à un monde professionnel en mutation rapide", explique le Défenseur des droits.
Que contient le "Plan Avenir" présenté par la ministre ? Essentiellement la formation des 30 000 professeurs principaux de 3ème à raison d'une demi journée à l'automne prochain. La ministre ne dit pas quand et comment ces formations auront lieu. Ce sera probablement un parcours à distance (Magister). En principe l'Education nationale dispose de personnels spécialisés et formés à l'orientation : les Psy EN "EDO". Mais leur nombre est largement insuffisant : il y en a un pour environ 1200 élèves. Et le très récent "plan santé mentale" du ministère prévoit de les réorienter vers la prise en charge du mal-être des élèves...
Notons au collège l'ouverture de classes à horaires aménagé en maths sciences expérimentées en 4ème et 3ème dans 5 académies. Ces classes devraient accueillir les élèves au niveau le plus élevé et donc les plus favorisés.
Au lycée
Au lycée, selon le ministère, "une expérimentation sera lancée, dans les établissements volontaires, pour que le professeur principal devienne référent orientation d’un groupe d’une vingtaine d’élèves qu’il suivra en 1re et en terminale". En réalité ces professeurs référents existent depuis 2021... Ils sont encore rares compte tenu de la faible rémunération dont ils bénéficient.
Le ministère confie donc l'orientation aux professeurs principaux qui, pour la plupart, ne sont pas formés à cette tâche. Quelques uns auront une formation très sommaire. Or l'orientation s'est beaucoup complexifiée au lycée avec la réforme Blanquer qui a fait éclater le groupe classe et a remplacé les 3 filières du lycée général par des spécialités.
La ministre promet aussi des "rencontres parents-élève-professeurs consacrées au projet d'orientation organisées systématiquement pour tous les élèves de 3eme et 2de avant le conseil de classe du 2eme trimestre". Comme si ces rencontres n'étaient pas déjà organisées et comme si l'orientation des élèves n'en étaient pas déjà le principal sujet.
Des demi-journées non financées
Un autre versant des promesses ministérielles concerne le programme d'éducation à l'orientation. La ministre annonce 4 demi journées dédiées à la découverte des métiers "dès la rentrée 2025". C'est en deçà des dispositifs proposés actuellement : 12 heures en 4ème (soit 4 demi journées), 36 h en 3ème, 54 h pour chaque niveau de la 2de, 1ère et terminale GT. Tout cela existe sur le papier. Dans la réalité il en va autrement car ces dispositifs ne sont pas financés. Par conséquent les établissements ne sont pas réellement en situation de les proposer. Pas plus d'ailleurs que la "semaine de l'orientation". On aurait pu attendre d'E Borne qu'elle annonce les moyens afférents à ces heures. Mais elle n'en dit rien.
Une plate forme déjà ouverte
Alors que reste-il de réel dans le nouveau "plan" ministériel ? E Borne met en avant "la plateforme Avenir(s)" développée par l'Onisep avec les régions " pour répondre aux besoins d’éducation et d’accompagnement à l’orientation des collégiens et lycéens de la 5e à la terminale". Elle sera proposée, selon le ministère, à partir de septembre 2025. En fait, la plateforme est opérationnelle depuis 2024. Elle succède à une plateforme précédente (Folios) déjà proposée par l'Onisep. Le Défenseur des Droits souligne que 69% des jeunes (18-24 ans) ont des difficultés à faire des démarches administratives sur Internet. Si la plateforme est réussie et bien localisée grâce aux régions, on peut craindre que ce seul outil soit suffisant pour améliorer l'orientation.
Le supérieur
E Borne a des annonces du même genre pour l'accès au supérieur. Ainsi les jeunes faisant une année de césure entre le bac et le supérieur pourraient gagner des ECTS. Voilà une nouvelle qui sera bien accueillie dans les foyers privilégiés capables d'offrir à leur enfant une année de stage à l'étranger. Le ministère relance la vieille idée (qui remonte à 2018) d'une année de "spécialisation" post bac : ces formations sommaires seraient proposées aux lycéens professionnels. Elles rallongent la durée des études pour déboucher sur rien de concret. Elles n'ont jamais trouvé leur public et semblent surtout imaginées pour réduire le nombre d'étudiants. Le ministère annonce aussi des classes préparatoires pour les lycées professionnels plus intéressantes mais à dose homéopathiques : une par académie en septembre 2026. De toutes façons tout cela , selon la ministre, est financé par redéploiement de moyens.
Une coquille vide
Mais le "Plan Avenir(s)" n'est pas qu'une coquille vide. Pour mesurer ses insuffisances il faut rappeler, comme viennent de le faire la Cour des Comptes (en mars dernier) et le Défenseur des Droits (le 4 juin) les insuffisances de l'orientation.
Insuffisance organisationnelle : la ministre annonce "une charte entre l'Etat et les régions pour préciser le rôle de chacun". La loi du 5 mars 2014 a créé le service public régional d'orientation SPRO qui donne aux régions la responsabilité de l'orientation hors éducation nationale. La loi du 5 septembre 2018 a confié aux régions la charge de l'information sur l'orientation. Mais l'orientation scolaire reste dans les compétences Education nationale, même si elle est incapable de les exercer convenablement. La charte annoncée ne donnera toujours pas les moyens matériels d'assurer le travail d'orientation dans les établissements. On a là un point noir qui a pourtant été fortement souligné par la Cour des Comptes et par le Défenseur qui parle de "mission morcelée".
L'autre grand enjeu c'est l'inégalité sociale et de genre devant l'orientation. Le rapport du Défenseur évoque les conseils de classe. Mais A. Van Zanten avait dès 2018 montré les inégalités dans les parcours d'orientation entre les lycées privilégiés, particulièrement privés, et les lycées ordinaires. " Dans les bons lycées en général, et dans les classes scientifiques en particulier, les élèves ont appris à se débrouiller dans le labyrinthe des formations. Ils arrivent à bien discriminer les sources (sites officiels, blogs…), à estimer la valeur réelle de ce qui leur est proposé, à identifier ce qui relève du discours publicitaire (nombre d’écoles s’autoproclament « numéro un » dans un domaine)… Ils font cela très vite, individuellement, de manière réfléchie. Les élèves des milieux populaires, dont certains n’ont pas d’ordinateur personnel, sont bien moins armés face à ce genre d’exercice, consultent moins de sites et s’appuient beaucoup sur ce que font leurs camarades". Pour elle les inégalités dans l'orientation ne sont pas que sociales. Elles sont aussi construites par le système éducatif. Les inégalités sociales et de genre devant l'orientation sont citées par le ministère qui rappelle que 9 enfants de cadres sur 10 vont en 2de GT contre un enfant d'ouvrier sur 2. Le ministère reconnait aussi que la moitié des lycéens en spécialité maths viennent d'un milieu favorisé. On aurait pu attendre que le ministère prenne en charge ces inégalités qui le concernent directement et qui sont aggravées par la réforme Blanquer des lycées. Il n'en est rien.
Au final, les annonces du "Plan Avenir(s) " sont tellement indigentes que l'on s'étonne de cette communication ministérielle. E. Borne croit-elle tromper l'opinion à si peu de frais ?
François Jarraud