Francois Jarraud (avatar)

Francois Jarraud

Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

Abonné·e de Mediapart

65 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 avril 2025

Francois Jarraud (avatar)

Francois Jarraud

Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

Abonné·e de Mediapart

Omerta à l'Inspection générale

Le nouveau "Rapport d'activité" de l'Inspection générale n'affiche plus la liste des rapports réalisés. Il n'est plus possible de savoir combien de rapports ont été "retenus" par le cabinet de la ministre, ni quels sujets sont devenus tabous...

Francois Jarraud (avatar)

Francois Jarraud

Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Plus de trace des travaux de l'Inspection

Illustration 1
Rapport d'activité de l'Inspection générale (couverture) © Ministère éducation nationale

Ce qui disparait dans le nouveau Rapport d'activité 2023-2024, c'est la liste des rapports réalisés dans l'année par l'Inspection générale. Chaque édition antérieure contenait cette liste complète des rapports. Ce n'est plus le cas. Et ce n'est pas sans importance.

La liste permettait de pointer les rapports publiés et ceux qui n'étaient pas sortis. C'est à dire les rapports que le cabinet ministériel n'a pas jugé adéquat de rendre publics.

Certes tous les dossiers n'ont pas vocation à l'être. C'est le cas par exemple de rapports personnels sur la façon de servir d'un enseignant, de faits survenus dans une école ou de la manière de servir d'un agent. S'agissant des violences scolaires dans un établissement privé, très récemment, le ministère a refusé la communication d'un rapport à des parlementaires en prétextant une expertise juridique.

La liste des rapports permettait au moins de connaitre les académies à problèmes. Ainsi en 2022-2023, un service de l'académie de Clermont-Ferrand posait problème. Le suicide d'un enseignant de l'académie de Versailles avait justifié une enquête. Une direction de l'académie d'Aix Marseille aussi. Aujourd'hui, alors que les médias s'interrogent sur le fonctionnement de l'académie de Caen, on n'a pas trace des travaux de l'Inspection.

Plus de cartographie des sujets sensibles

Ce qui disparait aussi c'est la cartographie des sujets sensibles. On pouvait dans la liste des rapports pointer ceux qui renvoient aux politiques ministérielles et à leur suivi. Le rapport nous indique des travaux sur la production d'écrits ou le Pilotage pédagogique des écoles de l’enseignement primaire par les directeurs, tous rapports publiés. L'Inspection a travaillé avec les inspecteurs territoriaux sur les groupes de besoin au collège, ou sur les réformes des lycées. Mais on ne connait plus le nombre et les sujets précis des rapports réalisés à tous ces niveaux.

Plus d'appréciation de la censure ministérielle

Illustration 2
Liste des rapports réalisés en 2022-2023 par l'Inspection extraite du rapport d'activité 2023. Page 1. © Ministère de l'éducation nationale

Une dernière information disparait : la dimension de la censure ministérielle. Jusque là, il était possible de comparer la liste des rapports réalisés avec celle des rapports publiés. C'était très éclairant ! Ainsi en 2022-2023, sur 256 rapports réalisés par l'Inspection générale, seulement 30 sont rendus publics. Ainsi près de neuf rapports sur dix sont restés enfermés dans les armoires du cabinet ministériel. Avec 12% de rapports publiés (88% de censurés) le ministère en 2022-2023 ne bat pas son record mais s'en approche. Le record c'est 2019, l'année où JM Blanquer ne rend public que 8% des rapports annuels. Dans l'autre sens, en 2021, 28% des rapports sont publiés. En 2017 et 2020 on est entre 16 et 18%.

Une inspection réformée par JM. Blanquer

"L’IGÉSR est naturellement chargée du suivi et de l’évaluation de dispositifs ou de politiques publiques. Elle apporte à l’autorité politique des analyses et des rapports construits sur des constats solides et objectivés ainsi que des recommandations établies dans un souci de vérité et d’efficacité. Cet ensemble constitue une garantie pour l’État et pour les cabinets des ministères de se voir apporter une expertise neutre et impartiale avant de concevoir leurs politiques ainsi qu’une évaluation objective de leurs ajustements éventuels", affirme le rapport d'activité.  La vieille Inspection générale a été réformée par JM Blanquer en 2019. La nouvelle inspection générale s'est agrandie des inspections générales des sports, des bibliothèques et de celle de la Jeunesse.

Mais le grand changement est ailleurs. L'Inspection générale qui était un corps auto-administré et où régnait la liberté de parole nécessaire à un organe qui doit conseiller le ministre, est devenu un service. Les inspecteurs généraux sont rentrés dans le rang comme des fonctionnaires ordinaires. Leur hiérarchie choisit ceux qui rédigeront les rapports demandés par le ministre.

En même temps, le travail de l'Inspection générale a connu une réelle inflation depuis 2017. En 2022-2023, 256 rapports ont été commandés. On en comptait seulement en 85 en 2015, 82 en 2019 et en 2020, 140 en 2021. D'une part ce volume suit l'inflation des réformes menées par le ministère depuis 2017. D'autre part, pour 2023-2024, l'Inspection met l'accent sur les nombreuses autres tâches menées : formation, accompagnement, expertise internationale. Le rapport 2023-2024 ressemble d'ailleurs davantage à une brochure publicitaire qu'à une analyse du travail réalisé.

Plus de reflet des projets ministériels

Pour 2023-2024, faute de l'inventaire des rapports réalisés, il n'est plus possible d'avoir une idée de l'importance de la censure installée au ministère ni des sujets qui fâchent. On ne voit plus  le travail réel des inspecteurs généraux. On ne connait plus les questions que se pose le cabinet ministériel. On ne peut plus découvrir les idées abandonnées, les projets avortés. Nous ne perdons pas seulement l'expertise du système éducatif. Nous n'avons même plus le reflet des réflexions menées rue de Grenelle.

Tout cela est remplacé par une trentaine de pages promotionnelles. Quelques informations assez vagues sur l'origine des inspecteurs (sujet chaud lui aussi). Et des vidéos vantant des travaux.

La trace des dissimulations s'efface

Alors que des affaires récentes, Betharram par exemple, remet l'Inspection et ses travaux au centre du débat politique, l'Inspection générale de l'Education nationale tire les volets. Pour sa 5ème année, l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche passe à l'ombre. Le traditionnel Rapport d'activité ne compte plus qu'une trentaine de pages richement complétées par des vidéos tournées par les inspecteurs.

Dans cette opacité, on appréciera particulièrement la vidéo sur "le contrôle administratif d'un établissement sous contrat". Les inspecteurs démontrent leur capacité à enquêter sur les établissements privés. Ils évoquent aussi les limites de ces contrôles qui sont cadrées par la loi Debré et les textes en vigueur.  

Pourtant l'actualité montre que les contrôles doivent aller plus loin et concerner aussi, par exemple, la vie scolaire. Sous la pression médiatique, le Secrétariat général de l'enseignement catholique a lui-même finalement reconnu, le 2 avril, cette nécessité. Finalement, pour améliorer le travail de l'Inspection,  il faut que celui-ci puisse être suivi et que ces contrôles soient publiés. En mettant sous le boisseau la liste même des rapports réalisés par l'Inspection générale, le ministère pousse le culte du secret à son maximum. Il dissimule les traces mêmes des dissimulations réalisées.

François Jarraud

PS : Mise à jour du 8 avril 2025 : Interrogée par P Vannier, rapporteur de la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les violences dans les établissements scolaires, le 8 avril 2025, sur l'absence de cette liste de rapports dans le Rapport d'activité de l'IG, D. Marchand répond que "c'est un oubli" , qu'elle ne souhaite pas "masquer le pourcentage de diffusion des rapports" et que cet "oubli" provient de la remise tardive du rapport "dans un contexte compliqué". Pourtant la liste des rapports réalisés est la principale information du Rapport d'activité depuis qu'il existe.

Le rapport d'activité 2023-2024

Le rapport d'activité 2022-2023

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.