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Billet de blog 7 octobre 2025

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TALIS : Enseignant, un métier déprécié

Seulement 4% des enseignants français s'estiment considérés par la société. C'est le taux le plus bas des 55 pays participant à l'enquête de l'OCDE Talis 2024. Ce discrédit s'est encore aggravé depuis l'enquête Talis de 2018. Les conditions de travail aussi. Ce que montre Talis 2024, c'est la nette aggravation de la crise du métier sous les quinquennats Macron.

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Des enseignants méprisés par la société

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La reconnaissance des enseignants . Extrait de Talis 2024 © OCDE

Les professeurs français aiment leur métier. Le récent Baromètre Unsa l'a confirmé. Mais l'enquête de l'OCDE Talis 2024 l'assure. 95% des enseignants déclarent avoir de bonnes relations avec leurs élèves. Et 79% se disent satisfaits de leur métier. Un pourcentage qui reste élevé même s'il est inférieur à la moyenne OCDE (89%) et s'il a baissé depuis 2018 de 5 points. Et s'il est à l'avant dernier rang. Les enseignants japonais sont encore un peu moins satisfaits que nous...

En 2018, 7% des enseignants français estimaient que leur métier est valorisé et il y avait encore trois pays où les enseignants s'estimaient moins considérés que les enseignants français dans les 44 pays participant à Talis 2018. En 2024, sur 55 pays, les enseignants français sont au tout dernier rang. Ce sont les enseignants les moins bien considérés de tous les pays de l'OCDE. Passer de 7% à seulement 4% d'un Talis à l'autre c'est une baisse importante. Par comparaison, 25% des enseignants s'estiment valorisés par la société en moyenne dans l'OCDE et ce taux monte à 30% au Japon et aux Etats-Unis, 40% en Bulgarie ou Roumanie, 90% au Viet Nam. Les enseignants français sont aussi ceux qui disent le moins, des 55 pays, que les avantages l'emportent sur les inconvénients dans ce travail (54% contre une moyenne à 74%). 

Le rapport aux politiques n'est pas meilleur. Les enseignants français sont ceux qui déclarent le moins, avec le Portugal, qu'ils sont considérés par les politiques : 4% seulement, en baisse de 2% depuis 2018. La moyenne OCDE est à 16%.

Une dégradation des conditions de travail

Illustration 2
Satisfaction vis à vis des conditions d'emploi - TALIS 2024 © OCDE

Et dans leur sphère professionnelle ? Les enseignants français se sentent peu reconnus par les parents et les élèves. Si les professeurs des écoles estiment à 78% que leurs élèves les apprécient et 59% pour les parents, le taux descend à 55 % et 45% au collège : ce sont les taux les plus bas des 55 pays de Talis. On est à 70% aux Etats-Unis ou en Espagne, à 80% en Bulgarie ou Roumanie, presque 100% au Viet Nam.

Si une majorité des enseignants français déclarent avoir de bonnes relations avec leur principal, ils sont parmi ceux à qui on demande le moins leur avis dans la gestion de l'école.

Les enseignants français sont aussi particulièrement isolés. Ils ne consacrent que 2 heures hebdomadaires au travail d'équipe et au dialogue avec les autres enseignants. C'est le taux le plus bas des 55 pays. La plupart des pays de l'OCDE sont au-delà de 3 heures et la moitié autour de 4 heures. Le travail coopératif ne bénéficie d'aucune reconnaissance salariale en France en dehors de l'éducation prioritaire et de quelques niches. Les enseignants français sont aussi ceux qui observent le moins leurs collègues enseigner ou qui participent le moins à un apprentissage professionnel coopératif.

Ce sentiment de dépréciation a à voir avec les conditions matérielles d'exercice du métier. C'est d'abord une question de salaire. 27% des professeurs de collège se disent satisfaits de leur rémunération, mais seulement 22% des professeurs des écoles. Seuls 4 pays parmi les 55 ont des taux plus faibles. Sans surprise, la "revalorisation" accordée par le gouvernement n'a rien changé. Elle a un peu relevé le salaire de début de carrière mais pour tous les autres, c'est à dire pour la grande majorité des enseignants, elle a été gommée par l'inflation. Le sentiment de déclassement est devenu une marque identitaire chez les enseignants.

C'est guère mieux pour les conditions générales d'exercice. En 2018, salaire exclu, 80% des professeurs de collège se déclaraient satisfaits de leur condition d'emploi. Ils ne sont plus que 59% en 2024. Quelle dégringolade ! C'est encore pire pour les professeurs des écoles élémentaires : on est passé de 71% à 49% de satisfaits. Seuls 3 pays de l'OCDE ont des taux plus faibles : le Brésil, le Portugal et le Japon. Cette aggravation des conditions de rémunération et d'emploi se traduisent dans la perte d'attractivité du métier. La France est le seul pays parmi les 55 de Talis où la part des secondes carrières, c'est à dire des enseignants ayant déjà exercé au moins durant 10 ans un autre emploi, a diminué, passant de 21% à 17% de 2018 à 2024.

Un stress important

Illustration 3
Davantage d'élèves à besoin particulier - Extrait de TALIS 2024 © OCDE

La charge de travail des enseignants français n'a pas connu d'amélioration depuis 2018. Selon Talis, les professeurs des écoles travaillent en moyenne 43h par semaine quand la moyenne OCDE est à 41h. C'est un peu moins au collège. L'indiscipline des élèves a par contre augmenté depuis 2018. 80% des enseignants disent devoir calmer fréquemment des élèves perturbateurs, soit 10% de plus qu'en 2018.

C'est un des éléments du stress au travail des enseignants. 18% se disent très stressés dans leur classe, soit 7% de plus qu'en 2018. Ils accusent l'indiscipline, la charge de travail administratif (presque deux fois plus qu'en moyenne dans l'OCDE) et la répétition des réformes (62% des enseignants français contre 39% dans l'OCDE). La moitié des enseignants disent devoir appliquer des réformes sans avoir les ressources nécessaires (contre 31% en moyenne dans l'OCDE). On retrouve là la trace de la frénésie de réformes depuis 2017.

Mais c'est surtout l'hétérogénéité qui a explosé dans les classes en France à un rythme surprenant. Comparativement aux autres pays de l'OCDE elle est deux fois plus importante en France. 74% des enseignants français déclarent avoir dans leur classe au moins 10% des élèves qui sont à besoin particulier. C'était 42% en 2018 et c'est seulement 45% en moyenne dans l'OCDE. Seuls les Pays Bas et la Nouvelle Zélande ont des taux plus importants. Cette explosion de l'hétérogénéité est en train de détruire le climat scolaire. Elle est ressentie vivement par les enseignants. Des syndicats se sont emparés du sujet et demandent les moyens nécessaires à l'inclusion scolaire. Car cette hausse ne reflète pas qu'une meilleure détection de ces élèves. Elle résulte aussi de la gestion de plus en plus parcimonieuse des moyens mis pour accompagner les élèves à besoin particulier et aider les enseignants. Le passage aux PIAL puis aux PAS illustre cette réduction des moyens au moment où l'Ecole doit aussi recevoir de plus en plus d'élèves qui n'ont pas trouvé de place en institution spécialisée.

Si les enseignants français sont parmi ceux qui croient le plus dans la capacité d'évolution des jeunes, leur engagement est contrarié par les politiques éducatives menées et les réductions de moyens. Le résultat c'est que les enseignants français sont parmi ceux qui ont le moins le  sentiment de pouvoir bien remplir leur tâche. Ce sentiment construit le gâchis et détruit la profession.

Au final, ce qu'expriment les déclarations des enseignants c'est le manque de reconnaissance. Ce sentiment a été très bien analysé par P. Guibert, R Malet et P Périer dans un important dossier de la revue Education et Sociétés (n°48). " L’enseignement, longtemps considéré comme une profession à forte valeur sociale et assez prestigieuse dans de nombreux pays, est désormais de plus en plus associé à l’incertitude des missions, à l’inadaptation de l’école aux transformations de la société, à l’inadéquation de la formation", me disaient-ils en 2022. "La reconnaissance dans le monde enseignant renvoie à la fois à des questions d’estime, de prestige, mais aussi de conditions d’exercice et d’un sentiment croissant, un peu partout, de perte de sens du travail". Cette perte de considération conduit aux départs et à la flexibilisation du métier elle-même source de désengagement. Leur enquête montrait que les enseignants cherchent de plus en plus de reconnaissance dans leur établissement. Leur hiérarchie locale est-elle capable d'accueillir cette demande  ? Il faudra attendre de nouveaux tomes de Talis 2024 pour en savoir plus sur ce point. Mais dans Talis 2018, les relations hiérarchiques étaient peu encourageantes.

François Jarraud

Talis 2024

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