60% des professeurs des écoles souffrent de l'inclusion scolaire

Les tabous sur l'éducation inclusive sont-ils en train de sauter ? Valeur républicaine, l'inclusion scolaire reste incontestée. Mais, sur le terrain, des voix maintenant majoritaires se font entendre pour obtenir une révision des politiques menées. Le premier syndicat du 1er degré s'attaque au problème en s'appuyant sur une enquête réalisée auprès de plus de 67 000 professionnels (professeurs et AESH).
Selon cette enquête, une large majorité de professeurs des écoles (60%) dénonce la dégradation de leurs conditions de travail en raison de l'inclusion scolaire. Des professeurs sont excédés par des élèves ingouvernables. Ils évoquent la souffrance de ces enfants et celle des autres élèves quand aucune solution n'est trouvée pour répondre aux besoins des élèves à besoin particulier.
Interrogés sur les solutions à apporter, 70% des professeurs des écoles demandent davantage de places dans les établissements spécialisés. 65% veulent le recrutement d'AESH supplémentaires. Ils sont 132 000 actuellement pour 520 000 élèves à besoin particulier scolarisés dans les écoles. Plus de la moitié des enseignants (53%) espère la baisse des effectifs élèves dans toutes les classes du 1er degré. Rappelons qu'elles sont les plus chargées d'Europe. Seulement 49% veulent plus d'enseignants spécialisés (Rased... ). Encore moins (27%) demande des équipes pluriprofessionnelles. 17% voient dans la formation continue une solution.
Un rapport alarmant de la Cour des Comptes
En septembre 2024, la Cour des Comptes a souligné la souffrance des élèves et des personnels et le manque de moyens. "La mise en œuvre des prescriptions des maisons départementales des personnes handicapées est, d’un point de vue quantitatif, insuffisante", écrit la Cour. "Elle est plus difficile à apprécier sur un plan plus qualitatif (équipements pédagogiques, aménagement des bâtiments, transports ou prise en charge des élèves sur le temps de la pause méridienne) . Il existe également une hétérogénéité territoriale de l’accès aux droits". La Cour demandait un renforcement de la formation et de la couverture en enseignants spécialisés ("renforcer l’attractivité de la certification des enseignants (CAPPEI) afin d’améliorer la couverture des besoins en matière d’affectation des enseignants spécialisés").
Le Snuipp Fsu veut des Etats généraux de l'inclusion
Pour le Snuipp Fsu, "s'il y a une réussite quantitative de l'inclusion, elle échoue à mener tous les élèves au même niveau d'acquisition". Pour le syndicat cela est du "au manque de moyens suffisants. Il n'y a "pas de volonté politique à la hauteur du défi". Le Snuipp souligne "l'empilement des dispositifs : on ne les expérimente même plus. On ne fait plus de bilan. On généralise. Et on fait un nouveau dispositif". Cette remarque s'appuie sur l'actualité. A peine mis en place, les PIAL sont remplacés par les PAS. Aucune évaluation des PIAL n'a été faite. Celle des PAS est à venir alors que déjà la décision de les généraliser est annoncée.
Les résultats de l'enquête du Snuipp Fsu bousculent un peu la politique du syndicat. Ainsi le Snuipp explique le relativement faible appel à des enseignants spécialisés par le fait que la forte diminution des Rased les a éloigné des solutions possibles pour les professeurs des écoles. Le syndicat demande une reprise de leur recrutement et leur envoi en formation spécialisée. Ce qui nécessiterait davantage d'enseignants remplaçants.
Le syndicat dénonce "le bricolage" effectué par le ministère faute de moyens. Les Dasen créent des postes de référents ou de chargés de mission qui font office de pompiers quand les classes explosent. Les PAS, expérimentés en ce moment, manquent aussi de moyens pour fonctionner, soit coté éducation nationale, soit coté Santé (ARS) par exemple dans les déserts médicaux. Le Snuipp constate aussi que les crédits de formation sont épuisés par les formations obligatoires maths - français qui n'ont pas bonne presse chez les enseignants. Il y a trop peu de moyens de remplacements pour que des enseignants puissent suivre des stages de formation à l'inclusion. C'est un vrai "parcours du combattant". En arrière plan, le Snuipp rappelle la situation dans le pays qui a réussi l'inclusion : en Italie il y a automatiquement un enseignant spécialisé dans chaque classe qui accueille des élèves à besoin particulier.
Pour le syndicat, "l'inclusion a besoin d'une ambition nouvelle, soutenue par des actes". Le Snuipp Fsu demande la tenue d'états-généraux de l'inclusion scolaire avant qu'il ne soit trop tard. Il fera campagne en ce sens auprès de la ministre et des parlementaires.
Une question au coeur de toutes les tensions du système éducatif
On le voit, l'inclusion scolaire est au coeur de toutes les tensions du système éducatif. Elle pose la question des effectifs dans les classes. Rappelons qu'ils sont les plus élevés d'Europe. Il est impossible pour une enseignante d'accorder suffisamment d'attention à un ou des élèves à besoin particulier quand elle a 23 (en moyenne) et souvent près de 30 enfants à gérer. L'inclusion pose aussi la question de l'ouverture des classes. Avoir un élève explosif dans sa classe, dans le 1er degré c'est devoir le gérer tous les jours toute la journée. Les enseignants sont peu habitués à ouvrir leur classe et cela se voit dans le faible score des équipes pluridisciplinaires dans l'enquête. Le ministère continue à renvoyer aux enseignants l'image du maitre qui "tient" sa classe grâce à son "autorité naturelle" alors que le travail en équipe s'impose. L'inclusion remet aussi en question l'évaluation. Le ministère ne cesse de vanter la sélection, se félicite de la baisse du taux de réussite aux examens. Il prône la compétition ce qui semble contradictoire avec l'inclusion. La ministre veut une nouvelle formation des enseignants. Mais en réalité sur le terrain on bloque les formations demandées par les enseignants faute de remplaçants et on leur impose des formations maison dont ils n'ont cure. C'est rappeler que l'ignorance volontaire du terrain est devenu le mérite des cadres. Or c'est de souffrances des élèves et des enseignants dont il est question. Enfin, la question reflète aussi les choix budgétaires du gouvernement. On rogne sur les moyens. On embauche des personnels non formés mais très peu payés (les AESH) et on ferme des établissements spécialisés au lieu de former et de recruter des enseignants spécialisés.
L'inclusion scolaire aurait du être la base de la construction d'une société plus solidaire. C'est devenu une souffrance qui divise l'Ecole. A faire l'inclusion sans moyens, le ministère est en train de construire son rejet.
François Jarraud