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Billet de blog 8 décembre 2024

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TIMSS : le futur gouvernement doit changer de politique éducative

Les résultats de l'enquête internationale TIMSS sur le niveau en maths des écoliers français sont sans appel : le « plan maths » et les choix pédagogiques de l'Education nationale n'ont pas porté de fruits. Quelque soit le futur gouvernement, il devra changer de politique éducative.

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Que nous dit TIMSS ?

Illustration 1
Calcul dans une école élémentaire © François Jarraud

Il y a une bonne nouvelle dans les résultats de l'enquête internationale TIMSS : ils démontrent l'inutilité des évaluations nationales imposées petit à petit à toutes les classes du 1er degré depuis 2017. Il y a peu, N. Belloubet, puis A. Genetet annonçaient une hausse des résultats dans ces évaluations "maison" particulièrement en maths. TIMSS affirme le contraire. Cela confirme le caractère ascientifique de ces évaluations nationales qui sont avant tout un objet de communication politique et de pilotage, erroné, du système éducatif. Alors que l'Etat cherche à réaliser des économies, il peut supprimer ce poste budgétaire.

TIMSS est une enquête internationale, réunissant 57 pays ou provinces. Elle évalue le niveau en maths et sciences des élèves de CM1 et de 4ème grâce à un protocole sérieux appliqué à un échantillon représentatif d'élèves dont on suit aussi de nombreuses caractéristiques sociales, culturelles ou propres au système scolaire. Dans cet article, pour simplifier, nous ne retiendrons que les résultats en maths en CM1.

Lors de la précédente édition, en 2019, on croyait avoir atteint le fond. La France était loin derrière la moyenne OCDE ou celle de l'U.E. Dans l'enquête TIMSS 2023, rien n'a changé. Avec 484 points, la France est environ 50 points derrière la moyenne de l'OCDE ou de l'U.E.  Les jeunes français ont le plus faible score en maths de tous les pays développés. En Europe, seuls de micro états balkaniques (Bosnie, Kosovo) sont derrière nous. L'Allemagne est à 524, l'Angleterre à 552, l'Italie à 513, les Etats-Unis à 517. C'est comme si les écoliers de ces pays avaient fait une année de scolarité de plus que les jeunes Français.

Le niveau des écoliers français a baissé depuis 2019. Pas tant pour la moyenne, qui n'a qu'un peu baissé, que pour la répartition des élèves. Quand en moyenne les 57 pays comptent 7 de très bons élèves et 35% de bons, nous  n'en avons que 3 et 20%. 44% de nos élèves ont un niveau faible ou très faible contre 30% en moyenne dans TIMSS. La pyramide s'est déplacée vers le bas depuis 2019 avec davantage d'élèves faibles et encore moins d'élèves forts en maths.

Il y a une dernière évolution qu'il faut noter où la France est au dernier rang. Dans de nombreux pays l'écart de genre se réduit ou reste faible. En France l'écart de niveau entre ces très jeunes garçons et filles ne cesse de s'accroitre. En 2015 il n'y avait que 6 points d'écart au bénéfice des garçons. En 2019, c'était 13 points. En 2023 on en est à 23 points. C'est presque un semestre d'enseignement qui sépare le niveau des garçons et des filles en maths. Et c'est le plus fort écart constaté dans les 57 pays.

La faute aux profs ?

Les médias ne manqueront pas d'aller voir du coté des enseignants. Effectivement les professeurs des écoles sont généralement des littéraires. Leur niveau mathématique   explique t-il la chute du niveau des élèves ? Ce n'est pas ce que dit TIMSS. En CM1 les élèves des professeurs des écoles diplômés en maths ont de moins bons résultats que ceux qui ont un diplôme dans une autre discipline (479 points contre 488). C'est un point important pour un ministère qui a largement misé sur la formation des enseignants en maths.

Ce que nous dit TIMSS, c'est que après 8 années de programmes Blanquer, le niveau des écoliers français en maths est le plus bas des pays développés. Ces programmes ont été appuyés, depuis la remise du rapport Villani-Torossian, par un plan de formation continue imposé à tous les professeurs des écoles. Il est focalisé sur les marottes ministérielles : formation en "constellations" pour pouvoir contrôler ce qui se passe en classe, enseignement de plus en plus précoce des opérations, repères de progression annuels à la place des cycles qui ont pour principal effet de jeter les parents sur les enseignants, nombreux guides et manuels ministériels pour recadrer les pratiques des enseignants. En cette fin 2024, un nouveau pas devait être franchi avec l'imposition de nouveaux manuels labellisés par le ministère. Ces derniers ne seraient pas obligatoires mais offerts aux municipalités pour qu'elles les imposent aux enseignants.

La hausse du nombre d'élèves très faible interroge une autre politique. Près de 16 000 postes ont été utilisés pour des dédoublements en éducation prioritaire depuis 2017. Des postes dégagés en déshabillant le second degré. La hausse du nombre d'élèves très faible est clairement un échec pour cette politique. Diminuer le nombre d'élèves par classe aurait du porter des fruits. Mais l'encadrement très strict, les pressions sur les enseignants,  le sectarisme pédagogique du ministère ont transformé une mesure intéressante en fiasco.

Comment redéfinir une autre politique ?

Regardons TIMSS. Car l'analyse précise des données de TIMSS ouvre bien d'autres portes que la communication du ministère préfère laisser fermées.

Quand on regarde exactement les points faibles en maths des élèves français on voit que la numération arrive en premier. Le niveau en géométrie est meilleur.

L'ordre scolaire a aussi sa responsabilité dans le faible niveau des écoliers. Ainsi le harcèlement de certains élèves leur est très préjudiciable (écart de 79 points). Les questions de discipline jouent un rôle important : 36 points d'écart entre le niveau des élèves entre les classes calmes et les classes perturbées, 33 points entre disciplinés et indisciplinés, 33 aussi entre les classes où les élèves sont distraits par la faim ou le manque de sommeil et celles où ils ne le sont pas.

Et là on passe à la question sociale. L'écart de niveau entre les écoliers français issus de milieu favorisé et ceux de famille défavorisée est énorme : 524 points pour les premiers contre 430 pour ces derniers. Une centaine de points c'est l'équivalent de deux années d'enseignement d'écart ! On trouve le même écart quand on compare les ressources éducatives dans les familles : les mieux dotées (32% des familles) sont à 527, les moins bien (22%) à 424. Là aussi 100 points. Le ministère a beau dire que "la pédagogie va vaincre la sociologie", pour reprendre les mots de G. Attal, la sociologie se rappelle à l'Ecole.

Pourquoi ? D'abord parce qu'elle organise le tissu scolaire. La ségrégation sociale scolaire est déjà présente à l'école. Les enfants les plus défavorisés sont regroupés dans des quartiers particuliers et, plus encore, dans des écoles spécifiques. La ségrégation scolaire est plus forte que la ségrégation géographique. La politique des dédoublements en éducation prioritaire ne peut pas compenser la paupérisation accrue des familles populaires et l'absence de politique culturelle populaire.

Il faut changer de politique

Le risque existe qu'avec un nouveau gouvernement de droite, celle-ci applique le programme éducatif qu'elle a déjà défini. La proposition de loi Brisson, déjà adoptée par le Sénat, reprend les éléments du programme d'E. Macron, ceux des L.R. et du R.N. Pour la droite la solution ce n'est pas de luter contre la paupérisation. C'est de "responsabiliser" chaque famille en imposant une privatisation de l'Ecole publique. Ecoles et établissements publics auraient une large autonomie incluant le recrutement des enseignants et la définition des enseignements. Une autonomie beaucoup plus large que celle des établissements privés sous contrat. Cette levée de toutes les règles nationales ne ferait pas que faire disparaitre l'éducation prioritaire. Elle aggraverait les inégalités entre écoles et élèves et sonnerait le glas de l'Education nationale.

Une autre politique est possible. Il ne faut certainement pas réduire les moyens de l'éducation prioritaire. Mais on n'évitera pas une politique de mixité sociale dans les écoles et établissements. PISA le montre clairement : les pays qui ont le meilleur niveau sont aussi ceux qui ont la ségrégation sociale la plus réduite. Réunir dans les mêmes établissements ou les mêmes groupes les élèves les plus faibles c'est sceller leur destin. Il faut également une politique culturelle à destination des familles. De nombreuses études en France (Carlo Barone) et à l'étranger montrent l'impact positif de ces politiques qui sont peu couteuses.

On n'évitera pas non plus la revalorisation nécessaire des enseignants. Pas seulement la revalorisation salariale. Mais aussi la reconnaissance de la professionnalité enseignante. C'est en niant systématiquement depuis 8 ans les compétences des enseignants, en rabaissant au quotidien leur métier qu'on en arrive au décrochage éducatif.

La question de l'enseignement des maths n'est pas anecdotique. Le niveau en maths impacte fortement l'avenir économique du pays. Et c'est par les maths que sont sélectionnées les élites du pays. Sans démocratisation de la culture mathématique il n'y a pas de développement économique possible. Sans cette démocratisation, la sélection des élites s'opère dans un cercle social de plus en plus restreint. On nourrit ainsi la crise démocratique et politique du pays.  Quelque soit le gouvernement en place, s'il ne se résout pas au déclassement durable de la France, il va bien falloir qu'il prenne tous ces facteurs en compte.

François Jarraud

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Extrait de TIMSS 2023 © IEA
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Extrait de TIMSS 2023 © IEA
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Extrait de TIMSS 2023 © IEA
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Extrait de TIMSS 2023 © IEA

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