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Billet de blog 15 janvier 2025

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Éducation : avec Bayrou, le grand flou ?

Le très long discours de François Bayrou n'a pas apporté les réponses aux questions des enseignants. La « première place » promise à l'Education nationale par le premier ministre reste virtuelle. Bayrou entend poursuivre les réformes Macron.

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Un hommage à l'éducation, pas aux enseignants 

Illustration 1
F Bayrou le 14 janvier 2025 © Flux vidéo Assemblée nationale

S'exprimant pendant 1 heure et demi devant l'Assemblée, le 14 janvier, le premier ministre avait tout le temps pour préciser sa politique éducative. Il n'en a rien été. F. Bayrou bafouille, oublie des éléments de son discours (qui est lu au même moment scrupuleusement par E. Borne devant le Sénat), s'enferre dans des explications qui obscurcissent encore le tableau. Surtout, il ne parle pas des sujets les plus importants, notamment la revalorisation des enseignants et le budget de la rue de Grenelle.

Pourtant F. Bayrou n'a pas manqué de rendre un hommage à l'Éducation nationale. "L’une des fiertés de ma vie est d’avoir été un enseignant de l’Éducatin nationale et d’avoir des enfants qui sont eux-mêmes enseignants. L’une des fiertés de ce gouvernement est d’avoir placé le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche au premier rang", affirme le Premier ministre. Mais c'est aussitôt pour doucher les enseignants. « Comment accepter que l’école française, qui était la première du monde, soit désormais classée au rang qui est le sien en mathématiques comme en lecture ? », déclare F. Bayrou. « C’est pour moi le plus grand de nos échecs". » Un échec qui est dû aux seuls enseignants. "Ma conviction est que les gisements de progrès sont du côté des enseignants… Ces enseignants magnifiques existent et ils sont nombreux. Mais l’organisation de l’Éducation nationale ne parvient pas à les repérer, ou les repère si peu". » François Bayrou recycle l'idée que les difficultés de l'école sont dues aux enseignants pas assez formés. 

Les enseignants vont perdre du pouvoir d'achat en 2025. 

Les enseignants attendaient des engagements sur la revalorisation. Ils en sont  pour leurs frais. Le Premier ministre lie bien la crise d'attractivité aux salaires, mais n'en tire aucune conclusion concrète. "Il y a des questions de salaire, c'est vrai. Il y a des questions d'organisation du travail, des questions de formation qui sont cruciales », ajoute-t-il aussitôt.

C'est Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, qui vient le lendemain sur TF1 apporter des précisions. Elle ne dit rien d'une éventuelle revalorisation, qui semble hors de la vue gouvernementale. Elle précise que le gouvernement n'imposera pas les 3 jours de carence envisagés, mais "il a été discuté de conserver  la mesure d'indemniser à 90% du salaire" les fonctionnaires malades. Les enseignants, comme les autres fonctionnaires, vont perdre en pouvoir d'achat en 2025 du fait du blocage du point fonction publique et de cette mesure frappant les congés maladie.

2000 postes rétablis, mais 10 000 emplois menacés

Bayrou n'est pas plus clair sur les suppressions de postes. « On ne peut pas durablement imaginer que le nombre d'élèves baisse sans qu'on n'adapte modérément », dit le premier ministre. Mais il ajoute : "Il n'y aura pas moins d'enseignants devant les classes." Et il repart sur un nouvel imbroglio. "Le nombre de postes mis aux concours ne baissera pas", promet-il alors que le Journal officiel a déjà annoncé cette baisse pour 2025 dans le 2ᵈ degré.

Là aussi, c'est Amélie de Montchalin qui est contrainte de clarifier la situation. Les 4000 postes d'enseignants supprimés dans la précédente loi de finances sont rétablis, mais sous forme de 2000 postes d'enseignants et 2000 d'AESH. Il serait plus clair de dire que l'Éducation nationale devrait gagner une rallonge de 100 millions. Mais on sait, depuis les propos de Nicole Belloubet, qu'il manque 500 à 600 millions pour simplement assurer la paye en 2025. Cela représentait 12 000 emplois. Elisabeth Borne doit toujours économiser l'équivalent de 10 000 emplois en 2025 pour équilibrer son budget. Le mouvement de fermeture de classes, particulièrement en zone rurale, et d'abaissement de l'offre éducative en renvoyant des contractuels, est toujours en tête de ses urgences. Elisabeth Borne a rencontré le ministre des Finances le 14 janvier au soir. Elle connait peut-être l'enveloppe budgétaire définitive de son ministère pour 2025.

De nouvelles économies à dégager 

François Bayrou a fixé quelques grandes lignes du budget. "Cette orientation vers un retour à l’équilibre, qui sera pluriannuelle et respectueuse de nos engagements européens, passera nécessairement par des efforts de l’État lui-même. Nous ne changerons pas l’objectif de retour à 3 % de déficit public en 2029. Le gouvernement a donc décidé de revoir sa prévision de croissance pour 2025. Avant la censure, celle-ci était de 1,1 % ; nous la fixons à 0,9 %, conformément aux prévisions de la Banque de France. Il sera proposé de fixer l’objectif de déficit public pour 2025 à 5,4 % du PIB. Des économies importantes seront proposées". » C'est environ 30 milliards d'économies qui devraient être demandés à l'État. À l'Éducation nationale, les seules économies possibles sont des emplois…

La réforme de la formation maintenue

La grande réforme que veut annoncer François Bayrou en éducation, c'est celle de la formation des enseignants. "Je sais qu’un chemin est possible, notamment en formant davantage nos professeurs afin de mieux les préparer", dit le premier ministre devant l'Assemblée. Mais il saute à ce moment le paragraphe suivant qui sera lu exactement par E. Borne devant le Sénat. "C'est une des réformes les plus importantes à mener, celle de la formation initiale et surtout continue, en engageant une grande consultation sur le temps scolaire", avait écrit le premier ministre.

François Bayrou devrait donc maintenir la réforme de la formation initiale des enseignants annoncée par E. Macron le 5 avril 2024. Les enseignants du 1ᵉʳ degré suivraient une formation maison dès la première année du supérieur aboutissant à une licence maison. Tous les enseignants seraient recrutés au niveau licence avant de suivre un cursus de master en étant rémunérés. En abaissant le niveau de recrutement, le ministère espère augmenter le nombre de candidats aux concours. En faisant suivre aux enseignants du 1ᵉʳ degré une formation maison, il souhaite empêcher les départs et aussi,peut-être, séparer la rémunération des professeurs des écoles de celle des enseignants du 2ᵑᵈ degré. François Bayrou souhaite maintenir cette réforme. Mais il reste à trouver son financement. E. Macron estimait son coût à 600 à 700 millions. Cela semble hors de portée du budget de l'Éducation nationale en 2025.

Une consultation sur le temps scolaire

Seconde réforme annoncée : la consultation sur le temps scolaire. Là aussi F. Bayrou reprend un thème ancien. Il y a déjà eu des consultations menées sur le temps scolaire, par exemple sous Luc Chatel. Aucune n'a abouti à quelque chose de concret. Le temps scolaire impacte la société bien au-delà de l'Éducation nationale. Et les lobbys, touristiques par exemple, sont à l'affût de tout changement. Il faudra quand même surveiller que ce ne soit pas un instrument  pour baisser l'offre éducative.

Les classes prépa lycée retoquées

Finalement, le point sur lequel s'est exprimé le plus F. Bayrou concerne l'orientation. Mais là aussi, il l'a fait en brouillant les cartes. " Les enfants ne sont pas comme les poireaux : ils ne poussent pas tous à la même vitesse", affirme le premier ministre. "Vouloir sélectionner précocement, sans que l’esprit et les attentes aient mûri, est une erreur, ou en tout cas une faiblesse. Notre système scolaire et universitaire doit accepter, si ce n’est favoriser, les réorientations et les changements de formation. Vous avez raison, la question de Parcoursup se pose ; c’est précisément ce que je suis en train d’expliquer. Il faut ouvrir les portes, sans doute en inventant une année d’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Ce qu’on appelait autrefois la propédeutique, c’est-à-dire la préparation à un enseignement dont on ne maîtrise ni les bases ni les compétences, devrait devenir une préoccupation majeure dans l’organisation du système éducatif. En écartant certains jeunes dès la classe de seconde, on rend à la nation le plus mauvais des services… Ce qui est regrettable dans notre système éducatif, c’est que les choses se jouent très tôt, trop tôt même, pour ceux qui n’appartiennent pas aux milieux les plus favorisés". »

F. Bayrou évoque donc au moins trois sujets. Le plus intéressant est la condamnation de l'orientation précoce. Le Premier ministre ne veut pas qu'on écarte "dès la 2ᵉ" certains élèves. On peut y lire la condamnation des classes « prépa lycée » imaginées par Gabriel Attal. Sous prétexte de mieux préparer les élèves ayant échoué au brevet, l'ancien ministre de l'Éducation orientait d'office vers l'apprentissage ou faisait décrocher les élèves les plus faibles, c'est à dire à plus de 90% des enfants des familles défavorisées. Il atteignait ainsi deux objectifs : réduire les coûts et relever le niveau dans Pisa. Cette condamnation d'une réforme Attal est une bonne nouvelle, si elle est confirmée. D'autant qu'elle donne à penser que d'autres réformes Attal pourraient être abandonnées.

L'idée de la classe "propédeutique" n'est pas non plus une nouveauté. Elle a deux avantages. Elle permettrait de donner une reconnaissance académique aux séjours à l'étranger réalisés par les enfants des familles les plus favorisées. En ajoutant une année au cursus universitaire, avec ce que cela implique de coût pour le jeune et sa famille, elle décourage les enfants des familles les moins riches de poursuivre des études. Cela allège d'autant le budget de l'enseignement supérieur qui est un des plus sacrifiés. À cette aune, on mesure la sincérité du discours sur « les plus faibles » de F. Bayrou… 

La réforme du LP confirmée

Le dernier sujet , de taille, est à peine évoqué par F. Bayrou. « Il nous faudra poursuivre la grande réforme de l’enseignement professionnel engagé par les gouvernements précédents », dit le premier ministre. Pourtant, on est là sur une réforme qui ne concerne que les élèves « les plus faibles » et qui est rejetée par les enseignants des LP. Cette réforme très controversée, qui abaisse le niveau de formation de ces jeunes et va se traduire par de nombreuses suppressions d'emplois, a été portée par E. Macron avec constance depuis 2017.

L'éducation selon Macron, pas Attal

Cela signe ce qu'on devine de la politique éducative de F. Bayrou. Les réformes lancées par G. Attal semblent mal parties. Soit elles sont dénoncées, comme les prépas lycée, soit elles ne sont pas financées, comme l'extension des groupes de niveau en 4ᵉ et 3ᵉ. Ce n'est pas pour rien que E. Borne, l'autre figure concurrente du parti présidentiel, a été choisie pour la rue de Grenelle. On peut y lier le souhait du premier ministre de faire appel au local pour réformer l'État.

Les réformes voulues par E. Macron sont maintenues : formation des enseignants et enseignement professionnel. Apparemment, c'est à E. Borne de trouver comment les financer. Elle ne le pourra qu'en abaissant l'offre éducative, c'est-à-dire en fermant des classes et des établissements dans les zones peu denses, en revenant à bas bruit sur les dédoublements et en réduisant l'offre de formation.

Ceux qui attendent un sursaut éducatif après un nouveau choc PISA, ceux qui veulent une réelle revalorisation du métier enseignant en sont pour leurs frais. Dans la tradition de la droite, le prof bashing, son autre versant de promotion des "professeurs innovants", va être relancé par un ministère qui n'a pas les moyens de sa mission.

François Jarraud

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