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Billet de blog 17 juin 2024

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L'école de Le Pen

Plus qu'une rupture, l'arrivée au pouvoir du Rassemblement national devrait mettre en place la politique éducative voulue par Emmanuel Macron et déjà acceptée par la hiérarchie de l'Education nationale.Elle aboutirait bien à une remise en cause importante des principes et de l'organisation de l'Ecole de la République.

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Plus qu'une rupture, l'arrivée au pouvoir du Rassemblement national devrait mettre en place la politique éducative voulue par Emmanuel Macron. Cette politique aboutirait bien à une remise en cause importante des principes et de l'organisation de l'Ecole de la République. Mais, située dans la continuité, elle devrait permettre le ralliement des cadres du système éducatif, et d'une partie des enseignants, au nouveau régime.

Des vieilles chaussettes aux managers

Illustration 1
Le Pen en 2022 © François Jarraud

Comment imaginer ce que sera l'Ecole après l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir ? Le Rassemblement national ne semble pas lire son programme comme un contrat avec le peuple. On le voit évoluer sur des points essentiels, comme le droit à la retraite ou, en matière éducative, l'éducation prioritaire. Cette évolution est d'ailleurs inévitable pour un parti politique qui connait une croissance aussi rapide accompagnée d'un glissement sociologique et politique. Le parti des "vieilles chaussettes", pour reprendre la formule de Véronique Soulé en 2016, est devenu un parti attrape tout, même s'il est encore marqué par un électorat peu diplômé et donc peut-être un peu fâché avec l'Education nationale. Sa stratégie l'amène à s'ouvrir à la droite classique ce qui influe aussi sur sa politique éducative.

Pour concevoir ce que serait l'Ecole de Bardella il ne suffit pas de tenir compte de ces mouvements. Il faut aussi voir ce qu'a réalisé le Rassemblement national durant la dernière législature. Car le RN a abattu du travail  dans la Commission de la culture et de l'éducation de l'Assemblée. Son représentant, le député Roger Chudeau, y a été très présent. Il a déposé pas moins de 10 propositions de loi dont 9 portant sur l'enseignement scolaire. Ancien directeur du ministère de l'éducation nationale, conseiller de Fillon et de Robien, inspecteur général, sur certains points, il a fait évoluer la position du RN. Sa carrière personnelle illustre aussi la perméabilité entre les idées et les personnels de la droite et le RN.

L'école de l'assimilation

L'Ecole de Bardella sera d'abord l'école de l'assimilation. Assimilation à la vision que le RN se fait de la France et de son histoire. D'où l'obsession du RN pour les "fondamentaux" que sont pour lui le français , les maths et l'Histoire. Ces trois disciplines doivent totalement dominer l'enseignement primaire. D'où aussi la labellisation des manuels scolaires demandée avec obstination par le RN.

Ce sera aussi l'école de l'autorité. Cela ne concerne pas que la criminalisation de la justice scolaire, avec signalements systématiques aux procureurs des atteintes à l'autorité des professeurs. Cela rejoint le port de l'uniforme à l'école primaire comme au collège. Ou encore l'application de la loi Ciotti sur la responsabilisation des familles en cas d'absentéisme scolaire. Cette autorité s'applique aussi aux enseignants dont on n'attend pas seulement une "neutralité politique" totale mais dont la carrière évoluera uniquement en fonction du "mérite" reconnu par leur hiérarchie.

Les "folies pédagogistes"

Cette autorité concerne aussi les méthodes pédagogiques. Le RN a conservé un grand dédain envers les pédagogues, même s'il ne dénonce plus "les folies pédagogistes". Toujours est-il que le RN veut mettre fin aux Inspe et confier la formation des enseignants à des professeurs sélectionnés par la hiérarchie selon un modèle qui rappelle les PPPE ou les "écoles normales du XXIème siècle". Ils transmettront les méthodes pédagogiques officielles qui, selon le programme de 2024, s'imposeront.

Cela se lit très bien dans le programme et les interventions de R Chudeau à propos de l'école primaire. Il y a une convergence totale entre les conceptions du RN et celles du rapport Genevard (LR) et Le Vigoureux (Renaissance) sur l'apprentissage de la lecture. Selon ce rapport, approuvé par R Chudeau, seule la méthode syllabique stricte doit s'imposer. Toute utilisation de mots outils est à proscrire. La maternelle est la "propédeutique" de l'école primaire. Le ministère doit labelliser les manuels scolaires pour imposer cette méthode. L'Ecole primaire soit se recentrer sur les "fondamentaux", c'est à dire le français, les maths et l'histoire. Ses horaires doivent augmenter de 5 heures hebdomadaires, soit une journée, pour revenir aux horaires des années 1970.

L'école du tri

Le collège et le lycée doivent être l'école du tri. Après avoir hésité, le RN s'est rallié à la fin du collège unique. Il recommande l'orientation des élèves dès la 5ème, comme cela existait avec la fin du "primaire supérieur". Son programme veut faire du brevet (DNB) un examen filtrant l'entrée au lycée, orientant une bonne partie des enfants vers la vie professionnelle via l'apprentissage. Il assume l'objectif de diminuer le nombre de lycéens et de bacheliers.

Reste l'éducation prioritaire, qui a été l'objet d'hésitations au RN. Le FN était très hostile à l'éducation prioritaire (EP). En 2022 encore, le RN demandait sa suppression. L'EP a fait l'objet d'une proposition de loi de R Chudeau. Il en fait un instrument d'assimilation."L'enjeu de l'action éducatrice dans les Rep+ n'est autre que l'assimilation à la République et à la nation française des enfants qui sont confiés aux écoles et collèges publics de ces secteurs", affirme t-il dans la proposition de loi. Il demande la réduction du nombre de Rep aux seuls Rep+. Ceux-ci feraient l'objet d'un programme particulier eu budget. Ils auraient des programmes d'enseignement et des horaires dérogatoires. Autrement dit, le RN envisage de faire des écoles des quartiers populaires des écoles spéciales, une forme d'apartheid scolaire. Le RN semble d'ailleurs hésiter car il veut faire inscrire dans la constitution la fin de toute discrimination positive en matière scolaire.

Reste l'enseignement privé. R Chudeau est vivement intervenu à l'Assemblée pour sa défense en réaction au rapport Vannier Weissberg. Il s'inscrit en cela dans la tradition du RN. C'est que l'école privée correspond au modèle d'école qui plait au RN. Le RN a abandonné le soutien au principe du chèque éducation. Mais il apprécie l'autorité qu'il pense trouver dans ces écoles et qui est pour lui gage d'efficacité.

Continuité plus que rupture

A travers cette revue de ce que serait l'école de Bardella, bien des points font écho aux débats lancés par E Macron sur l'Ecole. Roger Chudeau a eu beau jeu de souligner, le 20 décembre 2023 en Commission de l'éducation, que les projets du "choc des savoirs" reprenaient les idées du programme du RN. Le DNB comme examen d'entré au lycée. La fin du collège unique. La labellisation des manuels scolaires. L'imposition des méthodes pédagogiques et l'évaluation des résultats des enseignants. La méthode syllabique stricte. L'accent sur les fondamentaux. L'autorité et la criminalisation de la discipline scolaire. L'obéissance des enseignants assurée par la réforme de leur formation. La transformation des directeurs d'école en supérieurs hiérarchiques. La réforme de l'éducation prioritaire en passant de moyens ciblés en contrats locaux. Il y a une porosité complète entre le modèle d'Ecole du RN, de la droite "républicaine" et des réformes portées par Emmanuel Macron.

On ne s'étonnera donc pas de constater la même porosité dans les personnels portant cette réforme. Bardella n'aura pas à les chercher bien loin. En dehors de quelques rares cas individuels il n'y aura pas de démissions ou de résistance de la hiérarchie de l'éducation nationale à l'application de programmes qui sont déjà portés par cette hiérarchie. Au contraire, on pourrait voir revenir tel ou tel haut cadre qui a opportunément récemment claqué la porte.

L'Ecole de Bardella ne sera  pas une rupture. Elle sera la prolongation des politiques menées par E. Macron en totale convergence avec les Républicains. Cette politique renvoie à une vision commune de l'Ecole, celle du nouveau management publique. Bardella pourrait faire ce qu'Emmanuel Macron a encore évoqué le 12 juin mais n'a pas réussi à faire. Transformer le système éducatif en un archipel d'écoles sous contrat avec des enseignants rémunérés et embauchés localement sous le controle de recteurs imposant la formation et les méthodes. Rappelons nous le programme de Marseille. Rappelons nous, très récemment, que la principale nouveauté de la réforme de la formation des enseignants portée par N Belloubet c'est de ne plus lier le concours au statut de fonctionnaire. Le concours sera une habilitation à l'image de ce qui existe dans la fonction territoriale. C'est en allant au bout des réforme voulues par Macron que Bardella pratiquera une rupture systémique dans l'Ecole française.

François Jarraud

Le programme de 2024

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