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Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

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Billet de blog 17 juin 2025

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Groupes de niveau : ça ne marche pas, continuons !

« Fort de ces constats, la mission recommande une évolution de la démarche et en premier lieu un abandon du modèle actuel ». Le rapport de l'Inspection générale sur les groupes de besoins mis en place en 6ème et 5ème établit l'inefficacité de la mesure et la dégradation du niveau des élèves et du fonctionnement des établissements. Mais le ministère décide de maintenir cette réforme néfaste.

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Une réforme mise en oeuvre très diversement

Illustration 1
Dans un collège... © François Jarraud

Qu' apporte la réforme des groupes de niveau imposée par Gabriel Attal en décembre 2023 ? Première évaluation de la réforme, le rapport des inspecteurs généraux Bruno Claval et Christine Darnault montre que la mise en place des groupes creuse les écarts entre les élèves forts et faibles, décourage les plus faibles, complique le fonctionnement des établissements et atteint la vie de classe.

Ce rapport, établi à partir d'un, panel de 39 collèges choisis avec soin par les recteurs est totalement négatif. Il recommande clairement l'abandon de cette réforme qui consomme, pour un résultat négatif, 2300 emplois. Mais dans une lettre du 11 juin adressée aux recteurs et Dasen, le ministère annonce le maintien de la réforme. La ministre s'obstine.

Les inspecteurs généraux saluent d'abord une "très forte diversité dans les modalités de la mise en oeuvre de la mesure". "Cette diversité de mise en oeuvre de la mesure tient tout d’abord à une évolution notable du discours politique tout au long de l’année scolaire 2023-2024", disent-ils. P

our rappel, le 5 décembre 2023, G. Attal parle de "groupes de niveau" sur la totalité de l'horaire en 6eme et 5eme. Un peu plus tard, sa ministre Belloubet parle de "groupes de besoins". La note de service du 15 mars 2024, qui établit la réforme pour la rentrée 2024, n'est pas plus claire puisqu'elle parle de "groupes de besoins" et de "groupes" tout court alors que le 1er Ministre et sa ministre continuent à employer des appellations concurrentes.

Comme l'écrivent les rapporteurs, "Ces variations discursives, ainsi que les différences d’appréciation manifestes à l’égard de la mesure entre le premier ministre, qui en était l’initiateur, et sa ministre de l’éducation, ont induit, chez les acteurs, une difficulté à appréhender clairement ce qui était attendu d’eux et à agir en conséquence".

"Nombre d’établissements (en dehors de l’échantillon de collèges observés) ont choisi de ne pas la mettre en oeuvre", assurent les inspecteurs. C'est le cas, par exemple, des collèges qui n'ont pas pu le faire faute de professeurs en nombre suffisant. Pour ceux qui ont appliqué la réforme, les inspecteurs relèvent que la majorité ont mis en place des groupes de niveau et non de besoin, en se basant sur les moyennes des élèves en maths et en français, avec des groupes moins nombreux pour les faibles.

Cela a pu aller jusqu'à constituer des groupes d'élèves à besoins particuliers, ce qui est absolument contraire au principe d'inclusion.  Des collèges ont aussi constitué des groupes hétérogènes en réduisant dans chaque groupe la taille des effectifs. D'autres ont fait cela tout en constituant un groupe des élèves les plus faibles ou/et un groupe des élèves les plus forts.

Sur le terrain des groupe de niveaux, pas de besoins

"Une infime minorité d’établissements a réellement opté pour des groupes de besoins, c’est-à-dire constitués en se référant aux acquis des élèves « sur des compétences précises »", relève le rapport. Cela tient à la grande méfiance envers les évaluations nationales. "Celles-ci suscitent encore de la défiance en maints endroits ou a minima une mauvaise compréhension de leur visée et une difficulté à en faire une exploitation pédagogique".

Le rapport relève que l'administration n'a pas fait mieux : elle a réparti les moyens en partant du score global des établissements aux évaluations nationales sans tenir aucun compte des besoins !

Les 10 semaines de regroupement en classe entière institués par la circulaire ne sont pas plus au rendez-vous. La moitié des collèges n'en font pas et l'autre moitié le font sur un nombre varié de semaines. Le plus souvent, les établissements mettent les semaines de regroupement au début de l'année, parce que c'est plus pratique et que cela fait passer plus facilement la réforme !

"La constitution des groupes n’a presque jamais évolué", établit le rapport. "Ils ne concernent dans la plupart des cas que quelques élèves", et sont motivés souvent par des considérations de comportement. Les enseignants relèvent que changer la composition des groupes entraine des contraintes de rythmes de progression et de respect du calendrier commun.

La réforme rend impossible le travail en commun des professeurs

La réforme voulait imposer travail et progression en commun aux enseignants de français et de maths sans donner les moyens de la collaboration. Selon le rapport, cela a totalement échoué. "De manière très minoritaire, les équipes disciplinaires de certains collèges sont allées jusqu’à élaborer des ressources et des supports de cours communs, des scenarios différenciés pour une même séance dans des groupes différents, partagées via un espace de travail collaboratif. Dans d’autres collèges, la mise en oeuvre de la mesure a, au contraire, généré des tensions au sein des équipes de mathématiques ou de français, ou encore entre ces dernières et les équipes des autres disciplines. Si la répartition des professeurs entre les différents groupes a généralement été faite de manière consensuelle, en équipe disciplinaire, elle a pu générer, dans certains cas, des insatisfactions sourdes (frustration de ne pas avoir d’élèves « forts », sentiments de s’être fait léser, etc.)".

L'inspection générale relève "une très faible inflexion des pratiques pédagogiques". "Faute de temps sans doute, d’accompagnement ou de compétences professionnelles suffisamment étayées, la plupart des enseignants rencontrés ne se sont pas saisis de cette opportunité, ce qui a généré un sentiment d’impuissance pour certains d’entre eux, en particulier pour ceux qui, dans le cadre de groupes de niveaux, prennent en charge les groupes d’élèves « faibles »... Très rares sont les séances au cours desquelles des pratiques pédagogiques adaptées à la configuration et à la constitution particulière du groupe concerné ont été proposées. Le plus souvent, la même séance aurait pu être proposée en classe entière ou à d’autres profils d’élèves, si bien que la mise en groupe ne présente pas de réelle plus-value."

Les professeurs ne croient pas dans la réforme

Selon les inspecteurs, après avoir échangé avec 468 professeurs, "le principal avantage ressenti de la mesure est l’amélioration de la dimension relationnelle et psychosociale avec les élèves les plus en difficulté. L’effet presque unanimement relevé est que ce dispositif permet de « redonner confiance », « redonner envie », « remobiliser les élèves ». Les professeurs évoquent une ambiance de classe plus sereine dans laquelle les élèves tirent profit de leur présence au sein de petits groupes pour ce qui est de la confiance en soi". Mais "Ce constat est à moduler lorsque trop d’élèves, aux comportements perturbateurs, se trouvent dans le groupe de niveau « faible ». Les enseignants sont alors dépassés par la gestion de classe voire placés dans l’impossibilité d’enseigner. D’autres établissements ont regroupé des élèves à besoins éducatifs particuliers. Les enseignants se disent alors dans l’incapacité de prendre en charge ce type de groupe, faute de formation adaptée". Parfois il a fallu mettre en place une rotation des enseignants pour gérer le groupe faible !

Les professeurs sont sans illusions sur le bénéfice de la réforme. "Les équipes pédagogiques expriment majoritairement leur doute quant à l’efficacité cognitive réelle de cette mesure. La majorité des enseignants rencontrés sont dubitatifs quant aux progrès et à la stabilisation de nouveaux acquis. Beaucoup d’entre eux ne cachent pas leur scepticisme quant à leur capacité à e faire progresser les élèves les plus fragiles dans le cadre de la mesure : « Des progrès, ça c’est autre chose » et « On ne fera pas de miracles ! »". Une exception : les professeurs à qui on a confié le groupe des forts expriment parfois leur satisfaction. Certains caracolent bien au delà des programmes en abandonnant les élèves moyens du groupe !

"Globalement, la mesure n’apparaît pas comme unanimement convaincante ; elle divise fortement les équipes", écrivent les inspecteurs généraux. "Compte tenu de leurs retours et des observations de la mission, il parait envisageable que les effets sur les apprentissages ne soient pas réellement signifiants et que les écarts entre les élèves se creusent".

Une hausse des écarts de niveau entre les élèves

Au final, le rapport évoque "un risque fort d’accroître les écarts entre les élèves, une « dérive programmée des continents »". "La pauvreté des contenus enseignés dans certains groupes de niveau « faible » est non seulement peu garante de progrès, mais induit un risque fort de dérive des savoirs et des compétences enseignés entre les groupes et par conséquent, entre les élèves. Comme évoqué précédemment, les contenus les plus exigeants sont parallèlement proposés aux élèves appartenant aux groupes les plus performants... L’absence de garde-fous que peuvent constituer les semaines en classe de référence ou des évaluations concertées laisse donc les groupes souvent dériver autour de réalités scolaires tout à fait différentes selon le groupe auquel l’élève appartient. Face à la dérive d’exigence des contenus enseignés entre les groupes, assortie à la fixité de ces groupes, la mission souligne le risque que la mesure accroisse les écarts entre les élèves plus qu’elle ne les réduise, ce qui pourrait engendrer de réelles difficultés à procéder à un retour en classe entière en début de 4e. De nombreux enseignants eux-mêmes évoquent cette peur de perte du commun".

 L'Inspection générale demande l'abandon de la réforme

En conclusion, les rapporteurs demandent l'abandon de la réforme. "Fort de ces constats, la mission recommande une évolution de la démarche et en premier lieu un abandon du modèle actuel consistant à proposer une mise en oeuvre uniforme des enseignements en groupes pour tous les élèves de 6e et 5e sur l’ensemble des horaires disciplinaires de français et de mathématiques. La mission propose de renforcer l’autonomie des acteurs que sont les chefs d’établissement en les mettant en situation de définir avec leurs équipes une stratégie de réussite propre à chaque collège". Autrement dit, chaque établissement gèrerait les 2300 emplois à sa guise.

Ainsi les inspecteurs proposent, pour les collèges qui garderaient un enseignement en groupes, de le faire que sur une partie de l'année seulement ou de proposer une demi-heure de plus en français ou en maths aux élèves. Pour ceux qui abandonneront les groupes, les rapporteurs proposent "d'inventer Plus de professeurs que de classes en collège (PPCC)". Un professeur surnuméraire intervient dans les classes pour accompagner les élèves les plus fragiles. C'est la reprise du dispositif "Plus de professeurs que de classes" installés dans le premier degré que JM BLanquer a supprimé dès son arrivée. Ils proposent aussi de réintroduire l'heure hebdomadaire de soutien et approfondissement en maths et français que la réforme Attal a supprimé ! Dans tous les cas, ils recommandent une heure hebdomadaire de concertation pour les professeurs de maths et français.

L'Ecole est une organisation sociale

Cet échec de la réforme Attal avait été annoncé par les syndicats et la plupart des enseignants qui, en se souvenant d'initiatives identiques dans le passé, avaient prédit la montée des inégalités entre les élèves et la mise à l'écart définitive des plus faibles.

La réforme Attal a totalement fait l'impasse sur le fait que l'enseignement est une activité sociale. Elle agit dans un contexte et une organisation. Or elle remet profondément en question le fonctionnement des établissements. Elle impose des contraintes d'emplois du temps par la mise en place de barrettes qui sont difficiles à gérer et pèsent sur la vie quotidienne de tous les enseignants et des élèves.  Ces contraintes pèsent aussi sur les salles. Il n'y a là rien de nouveau et l'exemple des réformes du lycée aurait pu permettre d'anticiper le problème. Il est amusant de constater qu'un des effets de la réforme a été de rendre plus difficiles les remplacements de courte durée, grande priorité du ministère !

Alors que la réforme prétend imposer le travail en commun des enseignants, elle a des effets contraires. "L’écart de compétences se creusant entre les groupes au fur et à mesure de l’année, les professeurs ont progressivement renoncé au commun pour revenir à des progressions distinctes. Ce renoncement s’est accompagné d’un sentiment d’amertume dans certains collèges, nourri par le fait d’avoir beaucoup travaillé en amont à produire des progressions communes pour un résultat rendu paradoxalement inutile par le fonctionnement en groupes lui-même : là où des classes hétérogènes auraient pu permettre le déploiement et l’utilisation de progressions communes, la disparité de niveau entre les groupes les a, aux yeux de nombreuses équipes disciplinaires, rendues, de fait, inutilisables. Au sein des équipes pédagogiques, la répartition des élèves d’une même classe entre différents groupes a souvent eu pour effet de complexifier la communication entre les enseignants de la classe en raison de la multiplication du nombre de professeurs de mathématiques et de français impliqués dans la classe (jusqu’à quatre par discipline)".

Elle a des effets sur la vie de classe. A commencer par la place des professeurs principaux, de français et de maths. Les deux derniers n'ont pu rester professeurs principaux. Quant à ceux-ci leur tâche s'est complexifiée. "Paradoxalement, alors que les moyens sont déployés pour renforcer les savoirs fondamentaux, les professeurs de mathématiques et de français deviennent des acteurs secondaires des équipes pédagogiques", relève le rapport !

Elle a des effets négatifs sur les élèves qui vont au-delà de l'absence des élèves moteurs dans les groupes faibles. Les élèves sont attachés à leur groupe ce qui rend impossible le passage d'un groupe à un autre comme le recommande la réforme. "Les élèves ne sont pas demandeurs, ils ne veulent pas être séparés de leurs camarades". Quant aux élèves du groupe faible, "l’impact est fort sur les comportements et le ressenti des élèves. Certains expriment une véritable colère d’être assignés à ce type de groupe. Ils ne le comprennent pas et se mettent dans une posture de refus. Le résultat est alors particulièrement négatif. Par ailleurs, dans certains établissements, des élèves se moquent de ceux qui sont dans le groupe surnommé « des nuls ». Cela induit un sentiment fort de dévalorisation".

La réforme a également eu des effets négatifs globaux sur l'offre d'enseignement des collèges. Faute de moyens, la plupart ont du ou supprimer des enseignements optionnels ou ne pas appliquer totalement la réforme.

Un choix politique : le ministère s'obstine

Après un rapport aussi négatif, on pourrait penser que le ministère abandonne une réforme aussi malheureuse, comme il l'avait fait en décembre 2023 de la réforme précédente. Et bien non ! Dans une lettre du 11 juin envoyée aux recteurs et Dasen, le ministère, par la voix de la Dgesco, confirme la poursuite des groupes de besoins en 6eme et 5eme. Le ministère recommande de prendre en compte pour la constitution des groupes de compétences précises plutot que le niveau général. "La capacité à lire de manière fluide, la maitrise du lexique, les stratégies élémentaires de compréhension, la connaissance des nombres, les automatismes des faits et des procédures mathématiques ainsi que les bases de la résolution de problèmes seront privilégiés pour la constitution des groupes". Mais une telle liste revient à réaliser des groupes de niveaux. Le ministère se garde de recommander les échanges entre groupes, pourtant prévus par la réforme, que le fonctionnement du collège rend très difficile. Tout au plus le ministère cible t-il les pratiques les plus négatives : "il vous est demandé de veiller à ne pas constituer des groupes d'élèves dont la nature des besoins est différente : élèves de Segpa, élèves d'Ulis, élèves allophones, élèves en situation de pré-décrochage, élèves au comportement perturbateur".

Le ministère de l'éducation nationale est, lui aussi, une organisation sociale. Alors que cette réforme est une erreur, il se refuse à l'assumer et à perdre la face alors qu'il exerce une pression maximum sur ses agents... qui ont annoncé l'échec. Mais, au-delà on peut s'nterroger sur les finalités politiques de cette réforme. De Pisa en Pisa, de Timss en Timss, de Pirls en Pirls et même d'une évaluation nationale à l'autre, le diagnostic d'un creusement des inégalités scolaires est bien établi. L'école fonctionne correctement pour la majorité des élèves. Si les scores de l'école française sont tout  juste moyens c'est que ceux des élèves les plus faibles sont très bas. Pour ces 20% les plus faibles, la société française semble s'accommoder de leur échec. La fin décidée du collège unique est l'acceptation de la montée des inégalités. Les groupes de niveaux organisent ouvertement cette rupture et cette perte d'ambition pour l'Ecole. C'est pour cela aussi (surtout ?) que le ministère s'obstine dans une réforme politique.

François Jarraud

Le rapport

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