Un trou d'un milliard

21 Février 2024 : le gouvernement annule 692 millions de dépenses dans le budget de l'Education nationale dont 479 millions de salaires. Cela alors que le budget était déjà reconnu insuffisant pour couvrir les dépenses salariales à hauteur de 314 millions. Nicole Belloubet puis Anne Genetet ont du faire face à un trou de plus d'un milliard.
Un milliard représente près de 20 000 emplois d'enseignants. Il était évidemment impossible, dans un ministère où la crise de recrutement sévit (3076 postes non pourvus encore en 2024), de retirer autant d'enseignants dans les classes. Les ministres ont du arbitrer pour dégager des économies. Elles l'ont fait sans renoncer au train de vie ministériel.
300 millions repris sur les salaires
Pour la partie salariale, la reprise , après négociation avec Bercy, a été ramenée à 332 millions au lieu de 470 (pour la partie Education nationale, le reste concernait l'enseignement agricole).
Le ministère a sacrifié le Pacte qui a été gelé dès avril 2024. Par rapport au budget prévu, 111 millions ont été économisés. Ce gel brutal n'a pas été sans créer des remous dans les écoles et établissements où des cadres locaux ont été désavoués par l'institution. Les enseignants ont aussi été touchés par la très forte diminution des heures supplémentaires effectives à hauteur de 36 millions. Et cela aussi n'est pas passé inaperçu.
Les enseignants sont aussi concernés par le Fonds d'innovation pédagogique (FIP). Cette mesure d'E Macron a elle aussi été rabotée pour environ 35 millions. A ces économies se sont ajoutées des économies imprévues. Il y a eu moins de grèves que ce que le ministère escomptait. Le glissement vieillesse technicité (les promotions) a été moins important. Le ministère a pu ainsi récupérer 59 millions. Ajoutons que le ministère a aussi sabré 19 millions de revalorisation prévue pour les non enseignants. Ils ont aussi économisé, en plus, sur les AED et les AESH à hauteur de 37 millions.
Au total, le ministère n'a économisé "que" 282 millions sur les salaires (soit l'équivalent de 5600 emplois) sur les 332 millions attendus. La différence a été prélevée sur les pensions qui ont été moins importantes que prévu. Les enseignants partent moins tôt pour assurer une meilleure retraite.
Les fonds sociaux essorés
Pour la partie non salariale, le ministère n'a pas oublié les élèves pauvres. 20 millions ont été repris sur les bourses et les fonds sociaux. Pour les fonds sociaux, le ministère n'a dépensé que 42 millions au lieu des 49 inscrits au budget. Ces fonds sont destinés aux élèves qui vivent dans une grande pauvreté pour payer des dépenses indispensables pour ne pas dire vitales. Très souvent ils permettent par exemple de payer la cantine. Les fonds sociaux avaient été augmentés sous F. Hollande. JM Blanquer les avait abaissé. C'est de nouveau une baisse importante qui a été faite en 2024.
Enfin le ministère a décidé d'annuler la labellisation des manuels scolaires , voulue par G Attal, qui représentait 33 millions.
La réserve secrète du ministère
Restent les 314 millions qui manquaient dès l'adoption de la loi de Finances. Là on entre dans quelque chose de plus flou. D'après la Cour des Comptes, le ministère pioche dans les dépenses de formation. En 2024, seuls 36% des crédits prévus pour la formation ont été dépensés. C'est plus d'un milliard (1.2 milliard) qui serait ainsi utilisé par le ministère pour d'autres dépenses. La Cour parle d'une "réserve de fait" qui est installée rue de Grenelle et qui permet à la ministre de s'affranchir de la pression de Bercy. Il est dommage que la Cour ne communique pas l'usage de ces sommes. Pourtant la Cour des Comptes est ulcérée. "Mesurant l’importance de la formation des enseignants pour la politique publique d’éducation", écrit-elle, "la Cour ne peut qu’appeler de nouveau à l’arrêt de cette pratique insincère, et à ventiler dès le PLF ces crédits dans les actions auxquelles ils concourent en pratique".
Les dépenses de la Centrale maintenues...
La situation de crise qu'a vécu le ministère du fait du trou d'un milliard ne l'a pas empêché de maintenir son train de vie. En décembre, alors qu'il rognait une dizaine de millions sur les fonds sociaux, le ministère a vu arriver une facture de 201 millions pour le bail de nouveaux locaux à Gentilly. La facture était prévue pour 2025. Plutôt que retarder son déménagement, le ministère a réglé rubis sur l'ongle les 201 millions. Au même moment, une facture informatique inattendue de 12 millions est arrivée. Elle a été réglée séance tenante.
Quelles sont les priorités budgétaires ?
De ministre en ministre, avec une remarquable continuité, le ministère de l'Education nationale a marqué ses priorités. Ce n'est pas faire face à la crise du recrutement et à celle des démissions. En 2024 il y a eu 1452 démissions (sensiblement autant qu'en 2023) dont 943 dans le premier degré. S'y ajoutent 757 ruptures conventionnelles (dont 477 dans le 1er degré). Le ministère a encore augmenté de 4407 emplois le nombre de contractuels en 2024. Il a aussi augmenté aussi les heures supplémentaires annuelles qui remplacent des emplois. Ce n'est pas non plus aider les élèves en grande pauvreté. Ce n'est pas non plus se renforcer face à l'enseignement privé : en 2024 69 millions ont été remboursés aux communes pour payer les maternelles privées en raison de la loi Blanquer, soit une quinzaine de millions de plus qu'en 2023.
Et en 2025 ? La dépense (hors pensions) du ministère en 2024 a été au final de 64,1 milliards. La dépense programmée pour 2025 est de 64,3 milliards. Le gouvernement devrait très bientôt annoncer un nouveau gel massif des crédits. Le ministère va rester expert en austérité. Aux dépens de qui ?
François Jarraud