Venant peu de temps après la publication du rapport de la Cour des Comptes, le rapport Paccaud en reprend les principales conclusions. Avec une signature particulière qui est la volonté de transférer les moyens de l'éducation prioritaire vers les zones rurales. Rappelons que celles-ci fournissent le plus grand nombre d'électeurs du Sénat, la "chambre du seigle et de la châtaigne". Seconde signature : des attaques sur le statut des enseignants qui vont un peu plus loin que la Cour des Comptes.
Supprimer les réseaux et relocaliser

Les recommandations communes avec la Cour des Comptes concernent d'abord la volonté de mettre à jour la carte de l'éducation prioritaire. Celle-ci devait être revue en 2019 mais JM Blanquer et ses successeurs ont déclassé l'éducation prioritaire dans les priorités ministérielles et n'ont rien fait. O Paccaud a raison de dire que la carte n'est plus à jour et que des établissements doivent en sortir au regard de leur composition sociale et d'autres y entrer. Le ministère a récemment promis (le 7 mai) qu'il allait faire cette mise à jour. Il est à noter que O. Paccaud et la Cour des Comptes partagent la même contradiction : recommander la mise à jour de la carte alors qu'en même temps ils demandent la dissolution des réseaux d'éducation prioritaire.
Car c'est bien la notion de réseau qu'attaque le rapport Paccaud. "Il serait souhaitable de sortir d’une logique de réseau d’éducation prioritaire concernant les écoles, et de leur attribuer les moyens propres à l’éducation prioritaire grâce à une étude par établissement", écrit O Paccaud. A la place, O Paccaud, comme la Cour, demandent une affectation progressive des moyens école par école et collège par collège.
" Une politique d’allocation progressive des moyens serait donc bienvenue, les établissements recevant plus ou moins de financements en fonction d’un indice national et d’un dialogue local, qui serait reconduit chaque année", écrit O Paccaud. "L’allocation progressive permettrait une allocation plus efficiente des crédits budgétaires entre les établissements. Elle pourrait s’accompagner d’une contractualisation unique entre les établissements et le rectorat, mise à jour chaque année". On retrouve là l'idée de la mise sous contrat des écoles et établissements envisagée dans la proposition de loi Brisson (LR) déjà adoptée par le Sénat. Cette contractualisation dans le cadre d'un "dialogue local" ouvrirait aux notables locaux un nouveau champ d'action où les communes et leurs établissements populaires pourraient bien laisser des plumes...
La plus value apportée par les réseaux est totalement passée sous silence. L'éducation, pour O Paccaud, est une affaire d'établissement. Une notion qu'il recadre.
Car, si O. Paccaud envisage " un seul continuum de moyens alloués aux établissements selon certains indicateurs socio-économiques", ses choix vont un peu plus loin. O Paccaud veut " passer d’une logique de réseau à une logique d’établissement pour définir les établissements du premier degré relevant de l’éducation prioritaire". Les écoles ne sont pas des établissements. Mais O Paccaud se situe dans la suite de la loi Brisson qui prévoit que des écoles primaires publiques deviennent des établissements sous contrat avec l'Etat, comme celles du privé qui ont déjà ce statut, dans une logique de privatisation de l'éducation.
Revenir sur les dédoublements
" La fixation d’un plafond à 12 élèves par classe dans les classes dédoublées ne fait pas l’objet d’une justification particulière en termes de résultats dans la littérature", écrit O Paccaud. "L’Inspection générale des finances a ainsi proposé dans une revue de dépense récente, de passer le plafond de 12 à 15 élèves par classe en grande section, CP et CE1, ce qui permettrait de fermer 839 classes, soit autant de postes qui se libéreraient pour les zones en tension. Au vu des tensions de recrutement d’enseignants dans certaines zones rurales en particulier, ainsi que du coût pour les finances publiques, le relèvement du nombre plafonné d’élèves par classe est bienvenu". Le sénateur suit le rapport de la Cour des Comptes et ses inclinations rurales là aussi.
Mais il va un peu plus loin. "De plus, dans certaines disciplines, la pertinence de la politique de dédoublement n’est pas complètement évidente, comme par exemple en sport. Il pourrait être utile de ne pas appliquer strictement la politique de dédoublement des classes pour certaines disciplines bien particulières". Comme les dédoublements ne concernent que le primaire et que le même maitre enseigne toutes les disciplines, on peut s'interroger sur la pertinence de ces propos.
Une signature : transférer les moyens au rural
Mais la vraie signature d'O Paccaud c'est le transfert des moyens de l'éducation prioritaire vers les zones rurales. "La qualification en REP ou en REP + d’établissements scolaires repose sur des critères essentiellement urbains", écrit-il. "Les problématiques spécifiques de la ruralité en termes d’inégalités sociales, conduisant à des difficultés scolaires, ne sont que très partiellement prises en compte par la politique de l’éducation prioritaire. Une meilleure prise en compte de la ruralité dans la définition des réseaux d’éducation prioritaire est indispensable pour permettre de résorber les inégalités scolaires.. Les difficultés de la ruralité sont très importantes. Ainsi, les résultats au diplôme national du brevet des territoires ruraux sont inférieurs de 10 points à ceux de la moyenne nationale. De même, comme le relève la Cour des comptes, « les élèves résidant dans les communes rurales ont un taux de passage en seconde générale et technologique de 10 points inférieur aux élèves des communes urbaines très denses ». En effet, les décisions d’orientation dépendent fortement également de la proximité géographique des lycées généraux et technologiques avec le foyer des élèves. En zone rurale, les élèves subissent ainsi une difficulté complémentaire liée à l’isolement géographique. Ainsi, dans la redéfinition de la carte de l’éducation prioritaire, il faut utiliser des critères permettant d’intégrer les difficultés propres à la ruralité. Par exemple, le critère de l’indice d’éloignement constituerait un apport bénéfique pour prendre en compte la ruralité".
Ce que montrent les études c'est que la réussite au brevet ne suit pas fidèlement l'indice social (IPS). Pour autant les élèves des zones rurales, contrairement à ce qu'écrit O Paccaud, ont de meilleurs résultats scolaires que ceux des zones urbaines. " Les communes rurales éloignées sont plus défavorisées que la moyenne nationale (IPS = 98 contre 104), mais ont des résultats au DNB assez proches (+ 2 % d’écart-type de note contre 1 %). Le taux de passage en seconde GT est par contre sensiblement plus bas (57 % contre 65 % pour l’ensemble des élèves). Les zones périphériques ont un milieu social légèrement au-dessus de la moyenne (IPS = 106) et des notes au DNB sensiblement meilleures (+ 9 % d’écart-type de note), alors que le taux de passage en seconde GT est très légèrement plus bas (64 %)",indique cette étude de F. Murat (Depp).
Il n'y a pas de problématique scolaire particulière pour les zones rurales si ce n'est qu'elles ont déjà un rapport professeur/élève très favorable. Il n'y a donc aucune raison de leur concéder davantage de moyens scolaires comme le demande O. Paccaud, si ce n'est satisfaire une clientèle électorale. On se demande en quoi cette attribution de moyens scolaires aurait un impact sur l'orientation post bac. Il y a là un intérêt électoraliste au moment où ce monde rural, largement oublié, bascule vers l'extrême droite. Mais il y a aussi le choix moins avouable, mais bien dans l'air du temps, en défaveur d'une population plus mélangée dans ses origines...
Frapper les enseignants
O Paccaud reconnait que la politique de bonifications en Rep et Rep+ a porté ses fruits en retenant des enseignants expérimentés dans ces territoires. " Le renforcement de l’attractivité des postes en éducation prioritaire est bénéfique au fonctionnement des établissements, les équipes de personnels étant plus stables et plus engagées dans la dynamique de progression des élèves", écrit-il.
Mais il recommande de " revoir les modalités de définition de la quantité d’heures libérées pour les enseignants des REP + et renforcer la participation de ces enseignants au temps de travail collectif de l’établissement". Il s'agit de revenir sur les bonifications horaires des professeurs (pondération d'une heure 38 dans le 2d degré ou 18 demi journées dans le premier degré) particulièrement dans le second degré. Supprimer ces avantages c'est récupérer 155 millions.
C'est aussi prendre le risque de voir les enseignants expérimentés partir. O Paccaud propose une parade : les postes à profil. "Un système intéressant de recrutement des enseignants, en particulier en REP +, existe depuis 2022. Il s’agit d’un système de profilage : les académies peuvent proposer chaque année une liste de postes d’enseignement requérant des compétences particulières, qui fait l’objet d’un contrôle par la direction générale des ressources humaines et qui sont pourvus via le mouvement national ou par des procédures ad hoc. Au vu des spécificités de l’éducation prioritaire, et des opportunités offertes aux enseignants en termes d’innovation pédagogique, la procédure de profilage parait particulièrement adaptée aux établissements REP et REP +". L'expérience a déjà été tentée. Ce profilage peut intéresser quelques enseignants en quête de mutation. Mais les postes proposés sont très loin d'être couverts !
Le vrai cri du coeur est ailleurs : la politique de bonifications " assèche le vivier des enseignants disponibles, alors que la profession subit des problèmes d’attractivité. Comme le relève la Cour des comptes, « si les postes en éducation prioritaire, et surtout en REP +, ont connu un gain important en matière d’attractivité, d’autres établissements connaissent quant à eux un déficit de candidatures », surtout en zone rurale". O. Paccaud retombe sur son objectif de déshabiller les quartiers populaires et mélangés des villes au bénéfice des communes déjà surdotées du monde rural.
La force de ce rapport
La force du rapport Paccaud c'est qu'il se situe dans l'air du temps. Depuis 2017, on a vu une série de rapports qui ont remis en question fortement la politique impulsée en 2013-2014 pour les enfants défavorisés. Il y a eu un premier rapport de la Cour des comptes en 2018 qui préconisait, déjà, la suppression des Rep et leur remplacement par une politique d'affectation graduelle de moyens. Puis France Stratégie a carrément proposé la suppression des Rep et Rep+. En 2019, le rapport des sénateurs Lafon Roux préconisait la délabellisation et, lui aussi, un indice d'affectation graduelle de moyens. Enfin en novembre 2019, le rapport Azéma Mathiot voulait réduire l'EP aux seuls Rep+ avec une affectation rectorale de moyens pour des écoles et établissements défavorisés ou ruraux. En 2023, le rapport de la députée Horizons Agnès Carel et du député RN Roger Chudeau invite lui aussi à supprimer les Rep en mettant en place une affectation progressive des moyens. Les crédits libérés seraient redirigés vers les territoires ruraux. C'est aussi qu'il anticipe sur l'adoption de la loi Brisson. Déjà votée par le Sénat , elle arrive fin juillet devant l'Assemblée.
François Jarraud