Remis en juillet, le rapport de la "mission flash sur les impacts des réformes successives du baccalauréat professionnel" rédigé par les députés Géraldine Bannier (Modem) et Jean-Claude Raux (écologiste) veut "donner un aperçu des conséquences des réformes successives : il s’agissait de comprendre et d’évaluer les modifications majeures qu’elles ont apportées à la voie professionnelle, aussi bien pour les élèves que pour les personnels". Il va en fait bien au-delà. Il chiffre les prélèvements budgétaires réalisés aux dépens de l'enseignement professionnel grâce aux réformes, il montre l'échec de ces réformes et il laisse apercevoir les renoncements et la véritable rupture qu'a connue la voie professionnelle sous E. Macron.
L'enseignement professionnel vache à lait de l'Education nationale
Le rapport montre à quel point l'enseignement professionnel est la vache à lait de l'éducation nationale. Chaque réforme, sous Sarkozy en 2009, puis sous Macron en 2018 et en 2023, a sucé les moyens de la voie professionnelle.
Depuis 2009, on assiste à une réduction continue des temps d'enseignement. Le saut majeur a lieu en 2009 quand le bac professionnel passe de 4 à 3 ans. C'est un quart du temps de formation qui disparait aux dépens des élèves qui ont le plus besoin de l'école pour atteindre un niveau correct en enseignement général et se former aux disciplines professionnelles.
Avec l'hypocrisie habituelle (une caractéristique du discours des officiels sur cette voie de formation),cette réforme a été présentée comme un moyen d'assurer "l'égale dignité" entre les 3 voies du baccalauréat et l'attractivité de l'enseignement professionnel. Le rapport parle pour cette décision de "mère des contre réformes". Un rapport de l'Inspection générale avait pourtant souligné "qu’une grande majorité d’élèves ne peut pas suivre un parcours vers un baccalauréat professionnel en trois ans au terme du collège". Mais dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques, la réforme a immédiatement permis d'économiser 6 milliards.
La réforme de 2018 va dans le même sens. On passe de 2900 h de formation à 2520 h, soit 380h d'enseignement en moins. Les enseignements professionnels passent de 1472 h à 1260 h. Avec la réforme de 2023,le volume d'enseignement diminue encore de 2520 h à 2350 h. Les enseignement professionnels passent à 1189 h.
Une baisse de la qualité des formations
Au terme de ces réformes on a des élèves nettement plus jeunes et moins matures et surtout nettement moins bien formés aussi bien en enseignement général qu'en professionnel. "Comment prétendre que le niveau de qualification s’est élevé alors même que les diplômés du baccalauréat professionnel ont perdu deux années de formation depuis le début des années 2000 – perte résultant de la réforme de 2009 et de la réduction massive des taux de redoublement à l’école primaire comme au collège ?", écrivent les rapporteurs. On peut ajouter que la formation proprement lycée est passé de 4 à 2 ans car l'année de 2de avec ses "familles de métier" n'est pas vraiment professionnalisante.
Le rapport montre le désastre que constitue cette évolution. Selon un expert, D Bloch, cela conduit à ce que les jeunes bacheliers professionnels n'aient plus accès aux emplois qualifiés car ils sont inemployables. Des Notes Depp établissent la chute des compétences en littératie et numératie. Le Medef critique aussi cette évolution : " trois années s’avèrent souvent trop courtes pour atteindre un niveau de qualification réellement opérationnel sur le marché du travail".
N Sarkozy et E Macron ont clairement décidé de faire des économies budgétaires aux dépens des élèves les plus défavorisés et les plus fragiles scolairement.
L'hypocrisie des politiques
Et là on rejoint la deuxième caractéristique de cette voie d'enseignement : l'hypocrisie. Le rapport propose un florilège des discours hypocrites des responsables politiques. "Les voies technologiques et professionnelles sont tenues dans un mépris qui est insupportable, qui est intolérable, intolérable socialement et insupportable, parce que de surcroît cela est faux", s'indigne N Sarkozy en 2009. E Macron lui fait écho en 2023 en parlant de "parcours d'excellence". "Ces discours récurrents et peu suivis d’effets promouvant l’excellence de la voie professionnelle ne relèvent-ils pas d’une forme d’hypocrisie", se demandent les rapporteurs. "Le comble de l’hypocrisie est atteint lorsque des mesures ayant pour effet de réduire le volume des enseignements dispensés aux élèves préparant un baccalauréat professionnel sont justifiées au nom de l’égale dignité des filières. Viser l’égalité suppose de veiller à ce que les élèves ayant le plus de besoins soient davantage soutenus".
L'échec des réformes Blanquer
Sans surprise, le rapport établit aussi l'échec des réformes menées depuis 2009 et notamment celui de la réforme Blanquer de 2018. Le rapport voit dans les "familles de métiers" installées en 2de "un dispositif contre productif". Avec la réforme, les enseignements professionnels "désormais très généralistes, retardent ainsi l’acquisition de compétences professionnelles précises et susceptibles d’être mobilisées ultérieurement par les élèves dans leur parcours". La formation est aussi devenue plus illisible aux yeux des familles. Et à la fin de l'année de 2de, l'orientation est "plus contrainte" car les lycées n'offrent pas toutes les spécialités. Selon le rapport, "Il s’agit d’une autre forme d’orientation contrainte, susceptible de nourrir encore davantage le sentiment de relégation de certains élèves".
La "co-intervention" et "le chef d'oeuvre" sont aussi très critiquées. Pour les rapporteurs, la co-intervention est surtout "une variable d'ajustement" pour économiser sur les postes en utilisant au maximum les emplois existants. Pour le rapport c'est "un objectif d’économies budgétaires dissimulé derrière des objectifs pédagogiques". Quant au "chef d'oeuvre" c'est un "dispositif inadapté" qui fait perdre du temps d'enseignement.
Quant à la réforme de 2023, avec son "parcours en Y", elle sème "le chaos" dans les lycées. Des élèves disparaissent et l'objectif de former une partie des élèves au supérieur en 6 semaines est risible. Les employeurs (U2P) critiquent de leur coté la multiplication des stages au même moment.
On ne sera donc pas étonné que le rapport demande de revoir de nombreux points des réformes. Les rapporteurs ne demandent pas le retour au bac pro en 4 ans, mais souhaitent "permettre aux élèves volontaires de la voie professionnelle de suivre une quatrième année de formation en lycée professionnel, en effectifs réduits et centrée sur les savoirs fondamentaux". Ils demandent aussi de "rendre obligatoire le respect du choix de spécialité exprimé par les élèves à l’issue de la classe de seconde professionnelle".
Ils sont plus radicaux sur les réformes plus récentes. Ils demandent la suppression de la co-intervention et du chef d'oeuvre et de " rétablir les volumes horaires disciplinaires correspondants". Ils veulent aussi la suppression du parcours en Y "et, en conséquence, rétablir le volume d’enseignements correspondants pour tous. Organiser de nouveau les épreuves du baccalauréat professionnel au mois de juin". De même ils demandent de revenir sur la règle des 6% des formations modifiées dans chaque académie " en fonction d’une analyse précise de la situation des territoires".
La trahison de la promesse républicaine
Mais ce qui ressort de cette "mission flash", c'est, pour ceux qui connaissent l'histoire de l'Ecole, un fort sentiment de trahison. La création du bac professionnel répondait à un objectif politique de démocratisation de l'enseignement. Il s'agissait d'ouvrir une voie qui permette, avec une pédagogie différente, aux enfants dominés des classes populaires, d'accéder aux emplois qualifiés et à l'enseignement supérieur. Cette décision politique visait à assurer la promesse républicaine que la création du "collège unique" n'avait pas atteint. Dans "L'argent de l'école" (Presses de Sciences Po 2025), C. Cardon-Quint montre que, dès sa mise en place, le ministère des Finances a refusé les moyens qui devaient accompagner pédagogiquement cette grande réforme de démocratisation scolaire.
Le bac professionnel devait répondre aux ambitions des familles populaires. "L'ensemble de la population a adhéré à l'idée qu'il faut poursuivre des études pour échapper au chômage", me disait Vincent Troger en 2016 au moment de la publication de son ouvrage Le baccalauréat professionnel : impasse ou nouvelle chance ? (PUF). Pour lui, le bac professionnel " a permis que cette idée soit déclinée dans une culture populaire avec un rapport au savoir plus instrumental dont j'ai toujours pensé, en opposition avec les héritiers de Bourdieu, que c'est une voie qui peut permettre l'émancipation. Cette réforme décline cette idée dans le cadre d'une formation technologique. Les dominés ont aussi dans leur forme de refus de la culture académique la revendication d'une autre forme de réussite. La réforme ouvre cela en disant aux jeunes bacheliers pro qu'ils peuvent accéder à un BTS par exemple".
Cette promesse émancipatrice, les réformes menées par N Sarkozy et E Macron l'ont systématiquement sabotée. Alors que la République a promis à ces jeunes un "vrai bac" et un accès au supérieur ou aux emplois qualifiés, ils ont trahi la promesse et engagé les jeunes dans une formation dont ils ont réduit les moyens. Les deux réformes de la voie professionnelle d'E Macron ont porté des coups décisifs à ce grand projet de société. Elles sacrifient l'avenir des plus faibles au destin des favorisés.
François Jarraud