Les perdirs responsables de la fouille des élèves

"Protéger l'école de la République et les personnels qui y travaillent". La proposition de loi Lafon, adoptée à l'unanimité par le seul Sénat, aborde la question sous le seul angle judiciaire en renforçant les peines des auteurs de violence contre les personnels éducatifs. Un seul article introduit un dispositif concret : celui sur la fouille des sacs. Il se retrouve maintenant au coeur d'un affrontement politique.
L'article 6bis de la proposition de loi précise que "En cas de menace pour l’ordre et la sécurité au sein de l’établissement, le chef d’établissement, son adjoint ou le conseiller principal d’éducation peut procéder à l’inspection visuelle des effets personnels d’un élève et, avec l’accord de celui‑ci ou dans le cas d’un élève mineur de son représentant légal, à la fouille des effets personnels".
Un article porté pour faire des économies
Cet article est ajouté par un amendement en commission de la sénatrice centriste Annick Billon. Il fait débat en séance le 6 mars. " Le recours aux portiques à l’entrée des établissements scolaires coûterait très cher" argumente A. Billon qui ajoute que les fouilles de sac sont devenues courantes dans la vie quotidienne. "C’est pourquoi j’ai proposé une solution intermédiaire en commission, qui a adopté un nouvel article avec un objectif double : sécuriser la base juridique de l’inspection visuelle des sacs et autoriser la fouille des sacs par un professionnel référent – le chef d’établissement, par exemple –, avec l’accord de l’élève ou de ses représentants légaux s’il est mineur". La sénatrice n'a pas eu à aller loin pour imaginer cet article. Il semble qu'il lui ait été soufflé par un syndicat enseignant. Mais l'idée de faire fouiller les élèves par les chefs d'établissement était déjà inscrite dans le 11ème plan anti-violence présenté par Xavier Darcos le 22 mai 2009.
Contesté en séance
Et ce n'est pas par hasard si depuis 2009 cette nouvelle mission des personnels de direction n'a pas pris forme. Le 6 mars 2025, l'article 6bis est contesté par la sénatrice Ecologistes Monique de Marco. "L’article 6 bis a ainsi pour objet un transfert de responsabilité de la fouille depuis les forces de l’ordre, formées et équipées pour cela, vers des chefs d’établissement, dépourvus de moyens", dit-elle. "Lequel parmi eux, avisé d’une menace, prendra le risque de fouiller les individus se présentant à la porte de son établissement pour les désarmer ? Quelles conséquences judiciaires aurait son refus, si cette disposition était inscrite dans la loi ? Je rappelle que trois personnes ont été blessées en tentant de s’opposer à l’assassin de Dominique Bernard avec de simples chaises ! Je crains que cette mesure, en visant à protéger la communauté éducative, ne conduise, au contraire, à l’exposer frontalement".
Borne démine
Lors du débat en séance, E. Borne marque une opposition non frontale au texte et s'en remet à "la sagesse" du Sénat. " En ce qui concerne les fouilles, je souhaite que l’éducation nationale travaille avec tous ses partenaires à l’échelon local pour qu’elles puissent être organisées par les forces de l’ordre sous le contrôle de l’autorité judiciaire", dit-elle.
C'est ce qu'elle met en pratique le 27 mars en annonçant superviser avec B. Retailleau une fouille de sacs devant un lycée professionnel parisien... qui finalement n'a pas lieu. Les ministres se contentent d'échanger devant la presse. La veille, les deux ministres ont envoyé une circulaire aux préfets et recteurs prévoyant " des contrôles aléatoires aux abords des établissements par les forces de sécurité intérieure sous l'autorité des parquets". Ces contrôles doivent être faits devant des établissements inscrits sur une liste "actualisée en permanence" d'établissements " nécessitant une action prioritaire". Une procédure qui va discriminer encore davantage certains établissements. Le choix le 27 mars d'un lycée professionnel pour mettre en images cette question, la réalisation d'une liste d'établissements susceptibles de subir ces fouilles : tout cela va pointer du doigt certains établissements et leurs élèves.
Mais E. Borne établit ainsi un pare feu face cet article 6bis. Dès l'adoption en commission, les syndicats de personnels de direction ont manifesté leur opposition à l'article. Ainsi Agnès Andersen, secrétaire générale de ID Fo, déplore cette nouvelle responsabilité portée sur les personnels de direction. "Il faudra fouiller. On sera responsables en cas de problème si on ne l'a pas fait. Mais c'est infaisable dans la réalité. Cette proposition de loi nous met en difficulté". Elle dénonce "une dérive" et la "paresse politique" des sénateurs.
François Jarraud