
"Il est temps de rebâtir un modèle éducatif qui permette à la jeunesse de trouver foi en l'avenir et à la société de lui adresser un discours de confiance et d'autorité. Cela passe par une promesse républicaine réalisée, aussi bien dans la garantie de la transmission des connaissances et des valeurs que dans l'égalité des chances". Le vocabulaire fleure bon la tradition. Pourtant Christophe Kerrero, dans "L'école n'a pas dit son dernier mot" (Robert Laffont) publie un programme pour "rebâtir" l'Ecole qui emprunte beaucoup à la gauche. Il s'y présente comme un fils du peuple, monté par son mérite au sommet des responsabilités et défenseur acharné de la mixité sociale à l'Ecole.
La force de l'ouvrage c'est qu'il entremêle vie personnelle, décisions prises comme recteur et un programme pour l'Ecole. C'est ce tissu qui donne de la crédibilité à l'ouvrage. Pour autant, tout tissu ne vaut que la qualité de chacun de ses fils. Observons les.
Un recteur pour la mixité sociale ?
Au coeur de l'ouvrage, la réforme majeure que C. Kerrero a portée comme recteur de Paris (2020-2024) : celle de l'affectation, par Affelnet, des collégiens dans les lycées publics de la capitale. C'est ce qui lui permet de se présenter en défenseur des classes populaires.
Il trouve en 2020 un système "d'une extraordinaire hypocrisie... mais qui ne gênait personne : il y avait un établissement pour chaque profil et les vaches étaient bien gardées". En effet, les larges secteurs parisiens permettent une hiérarchisation sociale et scolaire affutée des lycées. Sa réforme établit une bonification selon la proximité entre collège et lycées et selon l'indice de position sociale du collège d'où vient le jeune. "En resserrant le choix on fait mathématiquement baisser le taux de pression pesant sur les établissements les plus demandés", écrit C. Kerrero. "Et on invite les familles à s'intéresser à des établissements de proximité". Le résultat c'est effectivement la hausse de la mixité sociale dans les lycées publics. Elle est évaluée par une étude de J. Grenet, rappelle C. Kerrero. "La ségrégation sociale entre lycées a diminué de 30%, la ségrégation scolaire de 26%. De son propre aveu il a rarement vu des effets aussi massifs en aussi peu de temps", écrit C. Kerrero. Il se construit ainsi une réputation de champion social.
Si l'étude de Pauline Charousset (passée à la trappe !) et Julien Grenet confirme ce recul de la ségrégation sociale et scolaire, elle en montre aussi les limites. "Si des établissements réputés comme Chaptal, Charlemagne ou Condorcet ont vu leur composition sociale et scolaire se rapprocher sensiblement de la moyenne, tandis qu’à l’inverse, des lycées historiquement moins cotés comme Henri Bergson, Edgard Quinet ou Voltaire ont connu une augmentation spectaculaire de leur IPS moyen et du niveau scolaire des admis, les évolutions sont restées plus timides dans d’autres lycées. C’est le cas notamment de la plupart des établissements socialement favorisés de l’Ouest parisien, dont la composition sociale n’a que peu bougé". En clair, la réforme a peu d'effet sur les arrondissements privilégiés (16ème, 8ème, 7ème).
Et ailleurs aussi elle touche en réalité peu les plus favorisés. "Un second frein à la mixité provient du fait qu’un nombre non négligeable de formations proposées dans les lycées publics (sections internationales, orientales et binationales, parcours artistiques, sections sportives, etc.) continuent de recruter leurs élèves selon des critères propres qui ne font pas intervenir d’objectif explicite de mixité sociale et géographique", écrivent J. Grenet et P. Charousset. Ce n'est pas tout. "Le fait que les lycées privés ne soient pas intégrés à la procédure Affelnet constitue sans doute l’obstacle le plus sérieux au renforcement de la mixité sociale et scolaire dans les lycées de la capitale. Alors que les lycées publics accueillaient en moyenne 50% d’élèves de catégories sociales très favorisées à la rentrée 2022, cette proportion atteignait 78% dans les lycées privés (qui scolarisent 41% des élèves de seconde GT)". Ajoutons que, de l'aveu même de C. Kerrero, la réforme n'a pas eu d'effet sur le recrutement des lycées professionnels.
Pour les auteurs, "bien que la réforme d’Affelnet ait permis de réduire de 30 à 40% les niveaux de ségrégation sociale et scolaire dans les lycées publics, cette réduction n’a été que de 15 à 20% à l’échelle de l’ensemble des lycées parisiens, qui restent les plus ségrégués de France".
Pour promouvoir une réelle mixité sociale, il aurait probablement fallu commencer par les collèges. N. Vallaud Belkacem s'y était attelée en créant 3 secteurs bi collèges dans les 18ème et 19ème arrondissements (particulièrement populaires). Comme l'écrivent J. Grenet et Y. Souidi, "le bilan des trois premières années d’expérimentation (rentrées 2017 à 2019) est encourageant.. Les secteurs multi-collèges constituent une piste prometteuse pour favoriser la mixité sociale dans l’enseignement secondaire public". Mais une telle réforme, pratiquée aussi en Haute Garonne, demande un ajustement des moyens dans les collèges. C'est peut-être ce que n'a pas voulu faire C. Kerrero. D'autant que l'expérience toulousaine montre qu'on peut impliquer le privé dans le financement de cette mesure.
En n'impliquant pas les établissements privés, en contournant les arrondissements et les publics les plus favorisés, en ciblant les lycées et non les collèges, C. Kerrero a circonscrit son objectif de mixité sociale aux élèves défavorisés et aux classes moyennes inférieures. Pour les plus privilégiés, rien n'a changé sous C. Kerrero.
Les deux autres réformes qu'il présente également comme des mesures sociales ont eu encore moins de succès. Le recteur de Paris met fin très vite à une tentative d'élargir marginalement le recrutement de Louis-le-Grand et Henri IV. Selon lui c'est E. Macron qui l'a exigé. Et c'est Amélie Oudéa-Castéra qui fait échouer le remplacement de 3 classes préparatoires par des classes préparatoires aux métiers de l'enseignement (PPPE). Désavoué par la ministre il démissionne.
Une carrière au mérite ?
Là on passe au second fil qui tisse l'ouvrage : la vie de C. Kerrero et sa carrière. Issu d'un milieu modeste mais passé par des classes préparatoires, il débute comme enseignant en 1991. En 2002 il devient personnel de direction. Et sa carrière décolle.
La chance de C. Kerrero c'est qu'il est nommé proviseur adjoint au lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine. Un établissement qui compte un élève dont il va prendre grand soin : Jean Sarkozy, le fils de N. Sarkozy. Dans l'ouvrage, C. Kerrero ne tarit pas d'éloges sur "ce vrai littéraire" qui illumine sa classe préparatoire. Il cueille rapidement les fruits de cette proximité domestique avec la famille Sarkozy. Avec l'arrivée de N Sarkozy au pouvoir en 2007, la carrière du très jeune adjoint décolle.
Devenu inspecteur IPR en 2007, C. Kerrero est immédiatement propulsé Dasen adjoint. Il arrive à Créteil auprès de la seconde personne qui va catapulter sa carrière : le recteur JM Blanquer. Avec son aide, l'ascension fulgurante se poursuit. JM Blanquer le recommande à son ami, Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale de N. Sarkozy. En 2009, il entre dans son cabinet. En 2012, avant de quitter la rue de Grenelle, Luc Chatel le recase à l'Inspection générale. Il y reste quelques années puis, en même temps qu'il rejoint le conseil d'administration du groupe de pression ultra libéral IFRAP, C. Kerrero est nommé directeur des lycées franciliens par la présidente du conseil régional d'Ile de France, Valérie Pécresse. Cela aurait pu être une fin de carrière. Mais la nomination de JM. Blanquer comme ministre de l'éducation nationale d'E. Macron, en 2017, le remet sur orbite. Il devient son directeur de cabinet et son bras droit. Il le sera pendant les trois années les plus actives de JM Blanquer de 2017 à 2020.
C. Kerrero parle peu de ces années. Il en décrit les effets : baisse du niveau des élèves français, effondrement du niveau de vie des enseignants et même peur généralisée. Mais sans relier tout cela à son action au ministère ! Pourtant ces trois ont été celles des grandes réformes avant que le covid vienne geler les projets gouvernementaux. C'est à ce moment que sont lancées les politiques éducatives dont les évaluations internationales (Pisa , Pirls, Timss) établissent aujourd'hui l'inanité. Dans son livre, C. Kerrero met à son actif ses interventions contre les blocages lycéens suite à la réforme du lycée. Il se félicite d'avoir systématisé l'appel à la police contre les lycéens. On se rappelle les violences qui en ont résulté, les lycéens de Mantes-la-Jolie à genoux, mains sur la tête. C'est aussi l'époque où des enseignants syndicalistes sont déplacés d'office sans réel motif. Ceux qui ont eu le courage de mener leur plainte jusqu'au bout sont en 2025 en train d'en obtenir raison. Comme directeur de cabinet, C. Kerrero a été très efficace. Mais au prix d'une grande brutalité. En 2020, alors que l'Education nationale est en semi arrêt pour cause de covid, JM Blanquer le nomme recteur de Paris, recteur de la région francilienne. Une vraie promotion car cette grande académie, qui réunit près de la moitié des étudiants français, est habituellement réservée à un universitaire, ce que n'est pas C. Kerrero.
Ce second fil révèle un trait de caractère propre à C. Kerrero. On pourrait l'imaginer manifester de la reconnaissance pour cette carrière éclair. Il n'en est rien. C. Kerrero mord tous ceux qui l'ont sorti de l'anonymat. Sans surprise Amélie Oudéa Castéra en fait les frais. Il la dépeint en "représentante d'une certaine élite autoproclamée". Jean-Michel Blanquer reçoit lui aussi des flèches. Il décrit un ministre "tapant frénétiquement des messages et des tweets. Là où il y avait de l'hyperactivité, je ne vois plus que de la fébrilité", dit-il. Luc Chatel est lui aussi décrit comme diminué par un drame personnel. Emmanuel Macron est accusé d'avoir trahi ses propres projets. Mme Macron, qui pilote l'éducation pour son mari, est peinte en bourgeoise superficielle. Elle le reçoit à déjeuner et lui confie : "vous savez nous sommes de droite". G. Attal n'est pas oublié : "le Choc des savoirs est l'exemple par excellence des limites d'une action politique fondée sur ce que l'opinion publique a envie d'entendre", écrit C. Kerrero. Il ajoute : "le pouvoir préfère les laquais aux commis et les serviteurs zélés à la cause particulière d'une personne plutôt que le service du bien commun". Dommage que cette morale soit écrite après que l'auteur ait perdu la faveur des puissants...
Rebâtir l'Ecole ?
Reste le troisième fil de l'ouvrage qui est le plus important. C Kerrero dessine un programme pour une réforme de l'Ecole.
C. Kerrero propose un nouveau métier enseignant. Il dénonce la liberté pédagogique des enseignants comme "un leurre" et "la confiance accordée au terrain, une démission de fait" de l'institution scolaire. Pour lui elle doit imposer les pratiques pédagogiques aux professeurs. Pour cela il agite plusieurs leviers.
A commencer par une formation initiale contrôlée par le ministère. Il propose de recruter les enseignants à bac +3. Ils seraient détectés dès le lycée et suivraient une formation pilotée par le ministère selon le modèle des PPPE. Pour pouvoir avoir des candidats à cette formation maison, qui risque fort d'être sans valeur en dehors de l'Education nationale, il invite à recruter dans les catégories sociales défavorisées et parmi les AED. Au risque de garantir le décrochage salarial avec les cadres A.
Ces nouveaux enseignants seraient ensuite recrutés par des chefs d'établissement qui pourraient choisir une partie de leur équipe. Ce système mettrait fin à la gestion actuelle des affectations. Des contrats spéciaux, plus rémunérateurs, seraient signés pour les secondes carrière, ce qui remet aussi en question la grille nationale de rémunération.
Une autre idée forte c'est de créer une hiérarchie, des "grades intermédiaires", parmi les enseignants. Le chef d'établissement pourrait choisir parmi les enseignants ceux qui auraient des missions de coordination. Dans l'esprit de C Kerrero ce ne serait pas de simples référents mais des catégories nouvelles de petits chefs enseignants. Leur mission pourrait être par exemple d'imposer des progressions communes, un dispositif sur lequel il revient à plusieurs reprises.
Parce que C. Kerrero sait quelles sont les bonnes méthodes d'enseignement. Il veut mettre fin à l'enseignement simultané pour le remplacer par un enseignement "individualisé" "où chacun avance à son rythme". Sous JM Blanquer c'était un slogan. Avec C Kerrero cela prend corps. Sous sa plume ressurgissent des idées qui ont eu cours sous Sarkozy. Par exemple que les enseignants fassent des conférences à plusieurs classes et confient le reste à des assistants d'éducation. "Il est possible de penser d'autres organisations dans les établissements, mobilisant d'autres adultes, des assistants d'éducation aux missions enrichies notamment sur des séances d'entrainement ou encore de définir autrement le service des professeurs". Là dessus C Kerrero envisage d'imposer 22 heures hebdomadaires aux professeurs du 2d degré : 16h de cours, 3h de tutorat et 3 h de concertation obligatoire sous la houlette des grades intermédiaires pour imposer la progression commune. La formation continue serait obligatoire.
C. Kerrero avance peu d'idées neuves. Ce nouveau métier enseignant, qui les prolétarise, est celui qui se construit depuis 2017. La formation maison des enseignants avec concours à bac +3 c'est ce que la ministre actuelle veut mettre en place. L'autonomie renforcée des chefs d'établissement et des directeurs (C Kerrero parle "d'autonomie médiane") c'est une idée qui fait son chemin aussi depuis Blanquer. La formation continue obligatoire c'est ce qui est inscrit dans la loi Blanquer.
Vers une nouvelle carrière
Que C Kerrero défende la libéralisation de l'enseignement, avec des écoles gérées par des chefs et des sous chefs et l'encadrement étroit des pratiques pédagogiques des enseignants n'étonnera pas ceux qui ont connu les années Blanquer. Ce que ne semble pas voir C Kerrero c'est à quel point ces méthodes sont en contradiction avec la promotion d'une école républicaine qu'il prétend défendre. Il est vrai qu'il croit à "l'égalité des chances" et non à la justice sociale.
Kerrero appelle à "rebâtir" une Ecole qu'il a pourtant largement contribué à construire. Au final, chacun des 3 fils de l'ouvrage, une fois décryptés, a des faiblesses qui fragilisent l'ouvrage de C Kerrero. Ce que défend C. Kerrero ce n'est pas l'Ecole républicaine. C'est une vision très libérale du système éducatif qui a déjà largement pénétré le haut encadrement de l'Education nationale. Ce projet éducatif rejoint celui de la droite, voir de la droite extrême. Pour ces formations, qui ont peu de candidats crédibles à la rue de Grenelle, C. Kerrero, qui a renié les macronistes, pourrait être l'homme du moment. A l'image de ce que JM Blanquer avait fait en 2016 avec "L'école de demain", ce livre est l'appel à une nouvelle carrière.
François Jarraud
Christophe Kerrero, L'école n'a pas dit son dernier mot, Robert Laffont.