Une "refondation" de l'Ecole ?

"Notre idée c'est de retrouver l'esprit des écoles normales". François Bayrou a présenté, de façon assez pataude, ce qu'il présente comme une "refondation de l'école". La formule avait été utilisée en 2012 dans un contexte d'investissements massifs dans l'éducation. On en est bien loin avec les mesures annoncées le 28 mars.
F. Bayrou parle de "reconquête de l'écrit". Il annonce que "chaque jour à l'école et jusqu'à l'université on va essayer que les élèves lisent et écrivent tous les jours". On se demande ce qui se fait d'autre dans les écoles, collège et lycées ! Mais F Bayrou n'est pas le premier à utiliser la formule. N Vallaud Belkacem puis JM Blanquer ont eux brandi cette "innovation" en présentant les programmes du primaire. En oubliant de préciser qu'elle est inscrite dans les instructions officielles depuis le début du siècle.
La nouvelle formation pour le 1er degré
Mais l'essentiel c'est la nouvelle refonte des concours de recrutement des enseignants. Dès la rentrée 2026, les bacheliers pourront s'inscrire partout à une nouvelle licence, la Licence Professorat des écoles (LPE). Il s'agit d'une "formation spécifique au métier" et au concours du CRPE. Largement inspirée des PPPE lancées par JM Blanquer, cette LPE comprend 70% de savoirs disciplinaires, surtout maths français, et 10 semaines de stage professionnel. La formation pédagogique ne compte que pour 10% du temps de formation, autant que la formation de fonctionnaire. Le nouveau concours, en fin de L3, reflète cette formation. Il y a deux épreuves d'admissibilité : une en maths et français, une pour toutes les autres disciplines sauf EPS. Suivent deux épreuves d'admission orales: une sur les maths ou le français et une autre sur "le sens du service public... et l'EPS ! Autant dire que la formation des futurs PE sera largement assurée par des professeurs de maths et français du 2d degré. La formation en sciences de l'éducation est fortement réduite. Le ministère prend très largement la main pour cette licence où les universitaires sont éliminés. Les niveaux L1 et L2 seront ouverts en 2026 et le niveau L3 en 2027.La première session du nouveau concours de recrutement de aura lieu en 2028. Les titulaires de la LPE ne passeront que les épreuves d'admission. Les candidats venant d'une vraie licence passeront toutes les épreuves dès 2026.
La formation des enseignants du 2d degré
Les futurs enseignants du 2d degré auront une formation radicalement différente. Ils suivront une licence disciplinaire classique mais avec la possibilité de suivre des modules de préparation à l'enseignement et au concours, en L3 dès la rentrée 2025. Le nouveau concours de recrutement pour les professeurs du 2d degré, en L3, comprendra des épreuves d'admissibilité strictement disciplinaires et des épreuves d'admission largement disciplinaires. Le ministère garde les sections Capes, Capeps, Capet, Caplp, Cpe. L'agrégation n'est pas concernée par cette réforme.
Tous les reçus aux concours suivront deux années de formation en master. Les formations auront lieu en Inspe. Le principal changement c'est que cette formation sera rémunérée 1400 € net en M1 et 1800 € net en M2. Pour atténuer l'effet budgétaire, les futurs enseignants feront 12 semaines de stage de "pratique accompagnée" en M1. En M2 les étudiants enseigneront à mi-temps. Le ministère promet "des enseignements académiques de qualité" mais la durée des stages, qui divise par deux le coût de la réforme, va limiter le temps de la formation universitaire (300h en M2). Ajoutons que les reçus au concours de PE n'ayant pas suivi le cursus LPE auront droit à 50h de formation supplémentaire en M1.
Une réforme annoncée depuis 2022
Cette réforme ne surprend personne. Elle clôt provisoirement une longue suite de réformes de la formation initiale. En 2010 les concours sont fixés en fin de M2 ce qui envoie en classe des adultes sans formation, mais permet de dégager des postes. En 2012, le nouveau gouvernement fixe le concours en fin de M1. JM BLanquer le remet en fin de M2 en 2019. En août 2022, E Macron dit : "il faut assumer que des gens s'engagent dans ce métier dès le bac". Début février 2023, la Cour des Comptes critiquait les concours en master et demandait une formation spécifique pour les futurs professeurs des écoles (PE) au terme d'une licence professionnelle. En mars 2023, le Conseil supérieur des programmes demande une formation spéciale pour les PE avec déjà un concours reposant sur le français et les maths, et déjà cette surprenante épreuve orale d'EPS. Un an plus tard, début septembre 2023, E. Macron annonce le retour des écoles normales. Le 5 octobre 2023, G. Attal "souhaite inventer les écoles normales du XXIème siècle qui puissent former des élèves après le bac" En novembre 2023,le ministre réunit les syndicats et propose trois scénarios dont un est celui qui a été présenté par E. Borne.
Abaisser le niveau pour accroitre le vivier de recrutement
Selon E. Borne cette réforme doit permettre d'améliorer le niveau des élèves en facilitant le recrutement de professeurs. Elle relève à juste titre que les inscriptions aux concours de l'enseignement ont fortement chuté et que 4000 postes sont restés vacants en 2024.
En mettant les concours en fin de licence avec une formation de deux années rémunérée, le gouvernement augmente réellement le vivier de recrutement. On avait observé une forte chute avec la masterisation (de 61 000 candidats en 2010 à 18 000 en 2012). Mais celle ci avait ensuite remonté à 30 000 dès 2015 avec la création de nombreux postes sous F Hollande. Le gouvernement compte avec les deux années de rémunération attirer des candidats de milieu modeste.
Une politique contredite par les choix ministériels
Mais cette logique est contredite par le type de formation offert. La licence LPE est tout sauf une vraie licence universitaire tant dans son contenu, qui reste du niveau du 2d degré, que par ses formateurs, qui en viennent presque tous. Elle se rapproche d'une licence professionnelle. Les titulaires de cette licence LPE auront un titre qui ne sera pas reconnu en dehors de l'éducation nationale. C'est peut -être l'objectif. Cette formation différente des professeurs du 2d degré dans sa nature peut aussi désaligner les statuts et les échelles de rémunération.
Des critiques portent aussi sur la qualité des formations annoncées. En novembre 2023, Didier Delignières estimait déjà devant les premières annonces que " au-delà de la question du positionnement du concours, c’est une évolution profonde de la formation des enseignants qui se joue, et une redéfinition de leurs missions. C’est la perspective d’une École sous contrôle, verrouillée par les prescriptions du ministère, centrée sur l’apprentissage de savoirs fondamentaux, misant davantage sur le formatage des élèves que sur leur émancipation".
La logique ministérielle est aussi contredite par tous les efforts faits pour une contractualisation du métier enseignant. Le ministère fait déjà largement appel aux contractuels. Il est appelé , avec la baisse démographique, à anticiper la baisse des besoins plutôt qu'embaucher des fonctionnaires pour 40 ans. Si la réforme rémunère les futurs enseignants en M1 et M2, cette rémunération est largement payée par les emplois libérés par eux.
Améliorer le recrutement sans payer mieux ?
Le ministère veut résoudre la crise du recrutement et attirer vers les métiers enseignants. Mais il le fait en les abaissant. Pas en les rémunérant mieux. Pourtant plusieurs études montrent que la rémunération est un élément clé. Ainsi dans "En quête d'enseignants" (PUR 2024), cinq universitaires montrent que la baisse des candidats provient surtout de la chute des 2des carrières. ""L'éventail des choix professionnels pour les femmes titulaires d'une licence ou d'un master 2 s'est considérablement ouvert au cours des 20 dernières années", disent les auteurs. "Aussi le professorat des écoles a t-il perdu de son attractivité au cours de cette période au profit d'autres emplois plus rémunérateurs ou tout autant, voire mieux considérés socialement... Le métier d'enseignante apparait de moins en moins à celles qui côtoient des professeurs comme un métier qui laisse du temps libre pour la sphère privée et de plus en plus comme une activité qui crée des tensions et génère une charge de travail importante... L'armée de réserve des femmes a disparu". Pour eux il est clair que sans réelle revalorisation, et on ne est loin, il n'y a pas de redressement possible du recrutement.
Le ministère de la parole
En repoussant à 2028 les premières sessions du concours, le gouvernement ne fait pas que repasser la patate chaude budgétaire au gouvernement suivant. Il suit la pente des gouvernements précédents et prétend avoir trouvé la solution à la crise de l'Ecole. En attendant celle-ci souffre des échecs des élèves, des inégalités criantes, des choix budgétaires désastreux, de l'autoritarisme, du scientisme triomphant d'un ministère qui communique sur la baisse de niveau sans rien changer à ses politiques éducatives. Parler de "refondation" pour une politique qui abaisse le niveau des enseignants est osé. Il n'est pas sur que l'Ecole puisse attendre longtemps une nouvelle politique.
François Jarraud