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Billet de blog 31 mars 2025

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Violence scolaire : Le ministère entre insuffisances et petits arrangements

Auditionné devant la commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires de l'Assemblée nationale, l'état-major du ministère de l'Education nationale a étalé ses insuffisances et les petits arrangements conclus avec l'enseignement catholique.

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Combien il y a t-il de ministres de l'Education en France ? Au moins deux si on en juge par l'audition des hauts fonctionnaires de la rue de Grenelle le 31 mars devant la commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires de l'Assemblée nationale. Il y a Elisabeth Borne et Philippe Delorme, le secrétaire général de l'enseignement catholique (SGEC). C'est ce qui ressort de l'audition des chefs de toutes les directions du ministère de l'Education nationale. Ils ont été déstabilisés par les questions des deux rapporteurs, Paul Vannier (LFI) et Violette Spillebout (EPR macroniste) et de la présidente de la commission de la Culture Fatiha Kelou Hachi (PS).

Aucun suivi central des violences scolaires

Illustration 1
P Vannier et V Spillebout © Flux vidéo de l'Assemblée nationale

La commission d'enquête a d'abord mis en évidence l'absence de pilotage des violences commises dans les établissements scolaires. A la question de V. Spillebout sur ce pilotage, répond un très long silence des hauts fonctionnaires. Si le chef du service défense et sécurité du ministère, Christophe Peyrel, est capable de chiffrer le nombre de violences mettant en cause des personnels remonté par le logiciel Fait établissement (1198 en 2023), personne n'est capable de dire ce qui en est fait !

Le directeur général des relations humaines, Boris Melmoux-Eude est capable de citer le nombre de sanctions communiqué à la Direction générale de la Fonction publique. Mais cela ne concerne que 204 cas (et non 1198) et exclusivement dans l'enseignement public. Il n'a aucune donnée pour le privé. Il n'y a pas plus de suivi du coté de la Justice. "On n'a pas la possibilité de s'assurer que tous les faits aient fait l'objet d'une suite adéquate", reconnait C. Peyrel. Le suivi est de la responsabilité des chefs d'établissement et des services académiques. Au ministère personne ne suit les dossiers. Et encore moins ceux du privé.

L'étrange cogestion avec l'enseignement catholique

Car c'est de là que viennent les scandales. Et les rapporteurs vont mettre en évidence l'étrange cogestion entre le ministère de l'éducation nationale et le Secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC). Dans leur rapport sur l'enseignement privé sous contrat, P. Vannier et C. Weissberg avaient déjà mis en évidence le rôle central de cet organisme privé qui n'existe pas dans la loi Debré et dans les autres textes qui régissent l'enseignement privé sous contrat. Ils dénonçaient un "système hors contrôle". Et c'est ce qui apparait aussi dans la gestion des cas de violences.

Ainsi quand Paul Vannier interroge le ministère sur l'élaboration du plan de contrôle des établissements privés, Marine Camiade, directrice des affaires financières (c'est la direction dont dépend dans les faits le privé), déclare que le SGEC n'est rencontré que pour "affiner notre analyse". P. Vannier sort alors une note, que les rapporteurs sont allés chercher au ministère, qui montre que "l'enseignement catholique est entré dans la boucle". Pire, il met en évidence une intervention d'une conseillère, Cécile Laloux, devenue depuis conseillère éducation de F. Bayrou, pour diminuer les moyens affectés aux contrôles des établissements privés.

Idem pour l'utilisation par les établissements privés du logiciel "Fait établissement", qui recueille les signalements des violences dans les établissements scolaires. Il était proposé au privé depuis 2019 mais le ministère a cédé jusque là aux objections du SGEC. M. Camiade déclare que l'extension du logiciel au privé n'est pas discutée avec le SGEC. Mais il apparait que le décret qui va introduire le logiciel dans les établissements privés fait bien l'objet d'une négociation avec le privé. Il inclura d'ailleurs les directeurs diocésains dans la remontée des faits.

Le poids du SGEC, c'est celui des évêques. Et il pèse lourd au ministère de l'Education nationale. Quand P. Vannier demande quel cadre juridique organise ces relations, Guillaume Odinet, directeur des affaires juridiques du ministère, s'en tire avec des pirouettes. "Il n'y a pas besoin d'une loi pour dialoguer... Les ministères ne s'interdisent pas de dialoguer avec les cultes".

Négociations et complaisances

Un exemple a été donné par le protocole en faveur de davantage de mixité sociale dans le privé. Il a été négocié entre Pap Ndiaye, alors ministre de l'Education nationale, et le SGEC. Il devrait être lancé à la rentrée prochaine. Les académies ont reçu des instructions pour privilégier les ouvertures de classes dans les établissements déjà mixtes socialement. Les moyens du Pacte seront aussi modulés selon l'ouverture sociale.

Ils ne s'interdisent pas non plus ce qui ressemble à des complaisances. Dans un média, Caroline Pascal, Dgesco, avait déclaré qu'il n'y avait pas d'homophobie au lycée Stanislas. "Je le regrette si les élèves n'ont rien osé dire aux inspecteurs généraux", dit-elle. Paul Vannier donne alors des témoignages extraits du rapport de l'Inspection générale qui sont autant de témoignages contraires. "Les faits n'étaient pas suffisants", répond C Pascal. "J'ai dit qu'il n'y a pas d'homophobie institutionnelle". Elle concède "un climat fortement genré" à Stanislas...

Cette longue audition, faite sous serment, révèle trois faits. D'abord l'inefficacité du ministère qui est incapable de suivre réellement les cas de violences commises par des membres du personnel sur des élèves. Il n'y a pas de remontée automatique des cas au ministère pour l'enseignement privé. Il n'y a aucune centralisation du suivi des personnels mis en cause. Le deuxième fait c'est le poids de l'enseignement catholique sur le ministère de l'Education nationale. Le représentant des évêques apparait comme un ministre bis avec qui l'administration négocie alors qu'il n'existe dans aucune loi régissant le privé sous contrat. Philippe Delorme sera auditionné par la commission d'enquête le 2 avril. Mais peut-être le pire est l'attitude de la haute administration de la rue de Grenelle. Auditionnés sous serment, les directeurs du ministère, incapables de montrer leur efficacité, s'en tirent par des saillies.

François Jarraud

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