Je suis né avec la première bombe à Hydrogène, deux ans après la fin du plan Marshall, dans un monde où la puissance pratique de cette société, détachée d'elle-même, s'est édifiée en un empire indépendant ; où toutes les forces sociales du travail se présentent comme forces productives du capital – comme Marx l'avait prévu –, se dressant face aux travailleurs comme une réalité étrangère et hostile ; où le capitalisme a élargi la sphère du salariat, intégrant dans son cycle la reproduction de la classe ouvrière et l’ensemble des conditions de sa mise en œuvre ; où les grandes compagnies qui rançonnent la planète sont bien placées pour profiter de tout, de la guerre, de la paix, des catastrophes naturelles et de leur réparation. Mais où l'économie criminelle n'a pas encore fusionné avec l’économie réelle.
Un monde où les scientifiques bénéficient d'une reconnaissance presque unanime, pour leur contribution à l'éradication des maladies les plus meurtrières et à l'amélioration des conditions de la vie, où l’industrie reste un domaine secret, fermé sur lui-même, ignorant le management et la communication, où les patrons ne sont pas devenus des chefs d’entreprise, où l’ordinateur n’a pas remplacé la machine comptable, où les hommes n’assistent pas à l’accouchement, et où ils se réservent tous les emplois dans les fonderies, dans les mines, sur les chantiers du bâtiment et sur les bateaux de pêche en haute mer ; où l'on ne parle pas de la qualité de la vie ni des droits de l'enfant, mais où les relations entre les sexes ne sont pas toujours sordides, comme on voudrait nous en convaincre maintenant ; où ce ne sont pas l'indignation, l'équité générationnelle, le principe de précaution ni la justice alimentaire qui mettent la jeunesse sur le pavé, sous le regard ému de leurs parents, mais l'appareil romantique du messianisme prolétarien, l’ivresse de se perdre dans des villes inconnues, ou l’amour fou. Et comme autant de certitudes perduraient les saisons, la distribution des prix, les colchiques, les pierres à feu, et les grandes vacances...
Billet de blog 9 janvier 2022
extrait n° 1: LES PIERRES À FEU
La flèche du progrès
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