C'était il y a bien longtemps, au ciné-club, quand j'étais étudiant. J'avais découvert le cinéaste hongrois Miklos Jancso et je garde le souvenir de quelques images fortes, notamment celles de « Sirocco d'hiver. »
L'histoire, filmée à un rythme très lent – treize plans-séquences en tout – est celle d'un groupe oustachi réfugie dans la Hongrie de l'amiral Horty. Ces nationalistes croates sont presque tous des fascistes, sauf un, anarchiste : Marko Lazar. Celui-ci est le héros que tout le monde admire, un exemple à suivre, et un problème politique.
Au douzième plan, il est assassiné par ses compagnons.
Le treizième plan montre la prestation de serment des nouvelles recrues de l'organisation, sur le masque du « héros mort au combat », Marko Lazar.
L'anarchiste est devenu une icône fasciste. Vivant, il était dangereux, mort, il est utile.
Cette histoire me revient en lisant l'article que « Le Monde » consacre à Marek Edelman, qui porte bien son nom d'« homme noble », mort à Varsovie en octobre 2009.
Il milita au Bund, mouvement qui prône la lutte des classes, l'émancipation des ouvriers juifs, l'autonomie culturelle juive. Antisionistes, les Bundistes jugent irréaliste la création d'un Etat juif en Palestine, et dangereuse sa déviance nationaliste.
Il fut un des dirigeants de l'insurrection du Ghetto de Varsovie, puis un des militants des droits de l'homme dans la Pologne communiste.
Il fut tout cela, et l'article qui lui est consacré le dit bien.
Mais il fut aussi plus que cela : il fut cohérent dans sa lutte pour les droits de l'homme, et n'admit jamais le sort fait aux Palestiniens.
Alors, pourquoi l'auteur anonyme de l'article du« Monde » ne le dit-il pas ? Il lui suffisait de consulter le portrait de Marek Edelman paru dans ce même journal le 20 avril 2008 et un article du 14 août 2002. Edelman s'adresse alors aux « partisans » et aux « soldats » des « organisations armées palestiniennes ».