Ils sont tous deux parus en 2009. Le premier est celui de Jacques Leclercq : Dictionnaire de la mouvance droitiste et nationale de 1945 à nos jours1. Le second celui de Jean-Paul Gautier : Les extrêmes-droites en France, de la traversée du désert à l'ascension du Front national (1945-2008).2
Ils différent par la personnalité de leurs auteurs, le domaine étudié, la conception de l'ouvrage.
Jacques Leclercq n'est pas un historien de formation ou de métier. C'est un passionné, qui a recensé et collationné tout ce qu'il trouvait sur le sujet, de la feuille confidentielle éditée par un groupuscule éphémère à la presse institutionnelle de partis reconnus. L'information n'est pas toujours hiérarchisée.
Jean-Paul Gautier est un historien spécialiste de l'extrême-droite, qui a déjà écrit un livre sur le mouvement royaliste3.
Jacques Leclercq a fait un dictionnaire des mouvements et publications, auquel il manque malheureusement un index des noms cités. Cet index serait serait d'autant plus utile que quelques-uns des activistes de l'extrême-droite sont devenus ministres, que d'autres ont navigué par exemple de la droite néo-païenne au catholicisme intégral ou bien après avoir mangé aux deux râteliers ont fait leur fond de commerce de l'islamophobie.
Jean-Paul Gauthier a écrit un ouvrage plus classique dans sa forme, en respectant autant que possible la chronologie et les filiations idéologiques.
Jacques Leclercq ne s'est pas limité à l'extrême-droite classique, mais il a inclus à juste titre dans son dictionnaire le PMF4 de Mohammed Latreche, les négationniste de « La vielle taupe », la LDJ5 et le Betar6.
Jean-Paul Gautier exclut délibérément de son étude les royalistes (il leur a consacré un livre distinct) et les négationnistes, au motif contestable que certains d'entre eux venaient de la gauche.
Le monde décrit dans ces deux ouvrages est extrêmement complexe et varié, les mutations, permanences et recompositions sont comparables à celle observées en virologie.
En 1945, l'extrême-droite est discréditée à cause de son soutien à Vichy, voire même au nazisme. Elle tente de se reconstruire avec les guerres coloniales et « la défense de l'Empire », mais l'indépendance de l'Algérie en 1962 scelle son échec dans ce combat.
Les rescapés de la collaboration, de l'OAS vont se diviser sur les moyens : alors que les uns multiplient les groupuscules activistes et violents, d'autres essaient le gramscisme de droite. Persuadés que les révolutions culturelles et politiques sont les préalables nécessaires aux révolutions politiques, ils vont habiller de mots nouveaux des concepts classiques de l'extrême-droite.
A partir de 1974, on voit l'unification politique de presque toute l'extrême-droite, autour du FN, avec malgré tout des scissions et querelles d'égo. En 2002, Le Pen obtient plus de voix que Jospin et est présent au second tour de l'élection présidentielle.
Les clivages ont toujours été nombreux au sein de l'extrême-droite, y compris au sein du FN.
Références religieuses : les héritiers du catholicisme intégral (Bernard Antony) dénoncent les néo-païens (Pierre Vial) et réciproquement.
Conflit Israël-Palestine : il y a ceux qui veulent d'abord « casser de l'arabe », en s'alliant aux « juifs », d'autres dont l'antisémitisme se déguise en antisionisme, d'autres enfin pour qui ces conflits entre « sémites monothéistes » ne concernent pas les « vrais européens païens ».
Quelle nation ? Nationalistes hexagonaux, régionalistes anti-français, partisans d'une Europe unie (et blanche) s'opposent.
Face à la politique américaine, il y a les inconditionnels de l'OTAN et de la guerre des civilisations, et ceux pour qui les États-Unis sont les artisans du cosmopolitisme et du « nivellement des identités ». Ils vont soutenir Poutine, Saddam Hussein, Ahmadinedjad, Chavez.
Lors de la guerre civile en ex-Yougoslavie, des militants d'extrême-droite combattront dans les rangs croates, et d'autres avec les Serbes.
Il y a les ultra-libéraux et les dirigistes.
La stratégie fait aussi débat : activisme ou entrisme dans les partis de la droite institutionnelle ?
L'analyse des sites et blogs montrent que s'il y a de grandes familles idéologiques, beaucoup d'individualités s'alimentent à plusieurs sources, les points communs restant les plus forts :
anticommunisme (le communisme pouvant commencer à François Bayrou), haine de la démocratie, culte de la force, racisme plus ou moins avoué, de l'antisémitisme à l'islamophobie.
Pour conclure, le citoyen aura besoin des deux ouvrages, l'un pour distinguer une perspective historique et les grandes tendances, l'autre pour rechercher des informations ponctuelles.
1L'Harmattan 696 pages 59 €
2Syllepse 464 pages 22 €
3La Restauration nationale. Un mouvement royaliste sous la 5ème République. Syllepse 2002,
4Parti des Musulmans de France
5Ligue de défense juive
6Mouvement de jeunesse du sionisme révisionniste, à l'origine du Likoud.