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Billet de blog 10 novembre 2016

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La LICRA s'en va-t-en guerre

Bel exemple de "fusil à tirer dans les coins". Un appel qui prétend viser l'extrémisme cible essentiellement les tenants de l'antiracisme politique.

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La LICRA s'en va-t-en guerre.

La LICRA et son président, Alain Jakubowicz (AJ), sont partis en guerre contre le racisme, mais pas n'importe lequel, car il ne faut pas se tromper d'adversaires, n'est-ce pas ?

Il y avait de nombreux signes avant-coureurs de cette campagne :

- une conférence où AJ s'effrayait du succès du CCIF,

- le « concept d'islamophobie » dénoncé comme une imposture,

- la montée en puissance de Mohammed Sifaoui dans l'organisation. Oui, celui qui ironise sur les poils des portugaises, qui veut renvoyer à ses fourneaux Mme Latifa Ibn Zaiten, mère d'un soldat assassiné par Mohamed Merah, celui qui, après s'être vanté de savoir tout ce qu'on voulait savoir sur les réseaux djihadistes, d'être capable de les infiltrer, etc.. s'est ensuite attaqué au « communautarisme chinois », en relayant les pires ragots et en mettant la police sur une fausse piste,

- la dénonciation du « racisme anti-blanc ».

Dans les faits, on assiste à la création d'une Sainte-Alliance entre ceux qui se veulent les « antiracistes universalistes » contre ceux qu'ils accusent d'être des communautaristes, et qui préfèrent se définir comme les tenants d'un antiracisme politique, c'est-à-dire qui va au delà de la simple condamnation morale et qui pose la question des rapports de force politiques.

Le texte de l'appel « pour la République et pour la France » est reproduit intégralement en annexe à ce billet, avec le lien ad hoc.

Décryptage.

On met la République à toutes les sauces, de nos jours, et comme dans certaines cuisines, le rôle de la sauce est de masquer le goût propre des aliments.

Je suis également surpris que des « universalistes » tombent dans le national-républicanisme, en évitant soigneusement d'essayer de comprendre la situation française au regard de celle des pays voisins.. et des autres.

Parce l'extrême-droite progresse partout en Europe, et elle ne menace pas que les « valeurs de la République », qui mériteraient d'ailleurs d'être définies.

Britanniques, Néerlandais, Belges, scandinaves, sont confrontés aux mêmes problèmes, et la « République » ne leur parle pas. Sans parler des Polonais, des Allemands, des citoyens des États-Unis, etc.. qui n'ont pas la même « République ».

Quand, avec d'autres, nous contestons certaines lois discriminatoires, on nous assène des arguments du type « la loi de 20041 est une loi de la République ». En oubliant que toutes les lois votées en France sont des « lois de la République », y compris les plus policières ou les plus régressives en matière de protection sociale.

L'appel à la « majorité silencieuse » me fait rire et m'agace à la fois. Parce que c'est un lieu commun que d'opposer la « majorité silencieuse » à une « minorité bruyante », et parce que ce sont les mêmes qui invoquent cette « majorité silencieuse » qui seront les premiers à ne pas tenir compte de ce qu'elle dit quand elle s'exprime.

Quoi de mieux qu'un menace (vraie ou fausse) pour mobiliser les gens ?

Effectivement, il y a un risque très sérieux de voir le Front national gagner l'élection présidentielle et faire dans la foulée un très bon score aux élections législatives.

Mais il faut admirer, après l'emphase « rendez-vous avec l'Histoire », le subtil glissement sémantique et l'amalgame. En effet, quoi qu'on pense des deux autres « extrémismes identitaires », de leur existence ou de leur nocivité, leurs représentants supposés auront peut-être une présence symbolique aux premiers tours de ces élections, mais leur influence sur le résultat final sera quasi-nulle. Quant à leur influence sur les « valeurs démocratiques », elle est au même niveau.

Commençons par l'extrême-droite « classique », le Front national.

Son influence électorale grandit régulièrement. Pourquoi ?

Comme pour l'élection de Donald Trump, il y a deux explications possibles :

A. La récupération des mécontentements d'une partie de la population, qui se croit, à tort ou à raison, abandonnée par des « élites » qui la méprisent. Ce serait le choc en retour de l'argument « TINA2 » avancé par les gouvernements successifs. Donc, on essayerait le FN « pour voir », puisque « gauche » et droite ont échoué. Sans s'arrêter au discours dénonçant « l'autre » comme source de tous les maux. Ni au fait qu'il a défendu pendant longtemps des thèses ultra-libérales.

B. La racine de ce vote serait justement la dénonciation de « l'autre », ce qui expliquerait pourquoi la désespérance sociale ne se traduit pas par un vote contestataire d'extrême-gauche3.

Effectivement, l'extrême-droite a déjà (presque) gagné la bataille des idées, notamment en utilisant les ressources d'Internet, en étant devenue experte dans la diffusion de fausses nouvelles, en produisant à la chaîne des analyses théoriques, des « réinformations », etc..

Mais l'appel de la LICRA zappe complètement les moyens de contrer cette emprise idéologique. Par exemple, faut-il relayer les analyses des syndicalistes démontrant le caractère nocif des propositions sociales du FN, propositions qu'il n'est d'ailleurs pas le seul à faire ?

Ce qui est aussi oublié, c'est le fait qu'il n'y a pas que « ceux qui aspirent à gouverner la France » qui reprennent les thèmes du Front national. Ils sont également repris par ceux qui la gouvernent actuellement. Dernier exemple en date : les commentaires de Manuel Valls après la victoire de Donald Trump : « Que nous dit la démocratie américaine et chacun bien sûr a son analyse: le besoin de frontières, le besoin de réguler l'immigration, la nécessité bien sûr (...) de combattre le terrorisme et de nommer le totalitarisme islamiste4. » Et ce n'est pas un accident de parcours, les mêmes thèmes sont développés régulièrement par le pouvoir.

Et on pourrait aussi parler des médias qui sont plus que complaisants avec le FN.

Mais finalement, la dénonciation du Front national n'est qu'une mise en bouche avant le plat de résistance : la dénonciation de l'islam politique et d'une « certaine extrême-gauche ».

On change ensuite de registre. Autant le premier danger était identifiable, quoique mal circonscrit, autant les deux suivants sont flous, mal définis.

L'islam politique, qu'est-ce que c'est ?

Il y a en Europe des partis politiques, des syndicats, qui font référence au christianisme comme source de leur engagement. C'est souvent explicite : les partis « démocrates-chrétiens ». Le MRP français était l'équivalent de la CDU allemande et de la DC italienne. On aime ou on n'aime pas, mais ces partis n'ont jamais représenté un danger raciste.

Existe-il un équivalent musulman en France ? Le groupusculaire PMF (Parti des musulmans de France) de Mohamed Latrèche a disparu, sans regrets. Alors, qui d'autre ?

Des citoyens français de confession musulmane s'engagent en politique, car ils estiment qu'ils ont des choses à dire, comme tous les autres Français, et que leur parole est aussi légitime que celle des représentants ou simples croyants des autres confessions. Au nom de quoi le leur interdire ? Être musulman croyant et affirmé serait-il incompatible avec l'engagement citoyen, social, politique ?

Au nom de quoi dénoncer, indépendamment du contenu, l'expression publique d'organisations se réclamant de l'islam, et non celle de leurs homologues chrétiennes, juives, etc.

Si c'est cela l'islam politique, il suffit d'avoir une réponse laïque, c'est-à-dire indépendante de toute référence religieuse5, et de rappeler que c'est le Parlement qui a le dernier mot.

L'appel évoque ceux qui cherchent à « imposer la primauté des lois religieuses sur celles de la Nation ».

Je ne me souviens pas d'avoir lu ou entendu des revendications pour par exemple supprimer le mariage civil, permettre la polygamie, modifier les règles de succession, etc..

Mais je me souviens très bien des manifestations orchestrées par la droite et l'extrême-droite, au nom des « valeurs chrétiennes » contre le mariage entre personnes du même sexe.

J'ai aussi en mémoire les actions violentes des adversaires de l'IVG.

Ne serait-ce pas plutôt de ce côté qu'il faudrait chercher ?

Il s'agit en réalité de faire l'amalgame entre toute expression publique se référant à l'islam et le terrorisme, présenté comme une horreur (ce qu'il est) mais non défini et sans explications sur ses causes, car il n'est pas tombé sur la France comme une météorite venue d’au-delà du système solaire. Car contrairement à ce qu'a dit Manuel Valls, comprendre ce n'est pas excuser, mais c'est le préalable à toute réponse pertinente.

L'appel n'échappe pas non plus à la contradiction, car souvent le repli communautariste (à définir) est incompatible avec l'engagement politique. Les Amishs, les salafistes quiétistes, qui se replient sur leur communauté confessionnelle, ne font pas de politique.

« Marche après marche ». Visiblement, la dernière en date, la « MAFED », « marche des femmes pour la dignité », est restée en travers de la gorge de la LICRA. Serait-ce parce que ce sont des femmes qui l'ont conçue et menée de bout en bout ? Serait-ce parce qu'elle a été un succès ?

J'ai retrouvé le texte de l'appel6. Il n'y a aucune référence à l'islam ou toute autre religion. On y parle des violences policières, de la colonisation et de ses suites, des droits des femmes, de politique internationale, mais pas de revendications religieuses.

« Une certaine extrême-gauche ». Mélenchon, le NPA, LO ? Donner des noms serait prendre le risque de procès pour diffamation, puisque ses partisans sont accusés d'antisémitisme, curieusement séparé du racisme7 dont il n'est pourtant qu'un cas particulier et de xénophobie.

Effectivement, il existe des individus et des groupes qui saupoudrent de références sociales un discours identitaire, raciste, du type « gauche du travail, droite des valeurs ». On les appelle communément les « rouges-bruns », plus bruns que rouges. Mais il n'y a guère que ceux qu'ils égarent, et la LICRA, pour croire qu'il s'agit de l'extrême-gauche.

Complaisance pour l'islamisme ? Comme ni l'islamisme, ni cette extrême-gauche ne sont définis, on reste sur notre faim, à moins que cette diatribe ne vise le refus des discriminations à l'encontre des musulmans (et surtout des musulmanes).

Le racisme anti-blanc existe, selon la LICRA, mais le racisme d'État n'existe pas (sic). Or, il existe aujourd'hui des textes législatifs, des circulaires, des pratiques institutionnelles qui ségrèguent et discriminent. La Cour de Cassation vient de juger qu'il y avait faute lourde de l'État à cause de contrôles au faciès. Des responsables politiques, qui ont des responsabilités nationales, encouragent et justifient les discriminations. Les lois et pratiques officielles concernant les réfugiés sont inhumaines et discrimnatoires. Et il n'y aurait pas de racisme d'État !

On ne peut pas réduire le racisme à des comportements individuels, des erreurs de jugement de « gens (mal éduqués) qui se trompent de colère ».

Diviser la société en groupes ethniques ? Ça veut dire quoi ? Séparer les Blancs et les Noirs, comme au temps de l'apartheid ? On bien, serait-il interdit d'analyser les conflits au sein de la société française aussi en termes de groupes raciaux ? Non pas pour expliquer les comportements des uns ou des autres par un quelconque atavisme génétique, mais pour constater que les superstructures idéologiques distinguent aussi selon ces critères. L'élection de Donald Trump donne lieu actuellement, en France, à une avalanche de commentaires sur le vote et le ressenti des Blancs, des Noirs, des Hispaniques, etc..

Pourquoi une telle analyse serait-elle licite (et pas forcément juste) concernant les États-Unis et immorale concernant la France ?

Qui effectivement menace la paix civile ? Qui pousse à la guerre et à l'action violente ? La LICRA ne nous le dit pas. L'adversaire n'est pas connu, mais il faut le combattre.

Si on croit la LICRA, ce sont les partisans de l'islam politique et une certaine extrême-gauche qui favorisent la montée l'extrême-droite. Un bon point : on a échappé aux « islamo-gauchistes ». Pour combien de temps ?

Posons les vraies bonnes questions :

Qui relaie les thèses du Front national sur les risques de l'immigration, la montée du communautarisme, forcément musulman, etc. ?

Qui explique que « TINA », qui s'assoit sur la volonté des Français (ou des Néerlandais), etc..et font croire qu'il n'y aura de vraie alternance que transgressive ?

Ce sont ces gens-là qu'il faut dénoncer, ceux qui tendent le micro aux Le Pens, Philippot, etc.

Après de tels prémices, et une analyse aussi fine et argumentée de la société française, vient le temps des propositions concrètes.

« Il faut réagir », « il faut en parler autour de nous ». « Et n'oublions pas de voter pour empêcher le PIR et ses alliés de prendre le pouvoir. »

Les complotistes ne sont pas forcément là où on les dénonce.


Appel pour la République et pour la France

Cet appel citoyen est lancé à l’initiative de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA).

Il a vocation à être partagé, repris, diffusé, signé par tous ceux qui sont attachés aux valeurs de la République.

L’objectif est de faire se lever une majorité aujourd’hui très largement silencieuse qui refuse le fatalisme et la prolifération des extrémismes politiques et religieux. Partant du principe que « celui qui ne combat pas a déjà perdu », cet appel est une invitation à la mobilisation et à la résistance.

Au printemps prochain, la France a rendez-vous avec l’Histoire : jamais sans doute, depuis le début de la Ve République, l’issue d’un scrutin n’aura été aussi lourde de conséquences, ni les valeurs démocratiques autant menacées par la convergence de trois extrémismes identitaires, qui se nourrissent mutuellement et renforcent le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, dont on connaît la puissance historiquement explosive et contagieuse.

D’abord l’extrême-droite. Jamais, depuis 1940, elle n’a été aussi proche de conquérir le pouvoir. Cette hypothèse, jusqu’ici saugrenue, est devenue au fil des ans de moins en moins improbable. Et si tout le monde a les yeux rivés sur l’Élysée, l’entrée en nombre des représentants de l’extrême-droite à l’Assemblée nationale ne constitue pas un risque moins important.

D’ailleurs, quel que soit le sort des urnes, elle a d’ores et déjà remporté une victoire, puisque ses thèmes favoris – le racisme et la peur de l’autre – sont au cœur de tous les débats et qu’ils sont repris – et parfois même amplifiés ! – par des hommes politiques qui aspirent à gouverner la France.

Ensuite, l’islam politique. Les attentats terroristes qui ont ensanglanté notre pays n’en sont que la manifestation la plus visible. Il s’emploie à attiser la haine et encourage le repli communautariste. Il teste, marche après marche, la résistance de nos valeurs et cherche à imposer la primauté des lois religieuses sur celles de la Nation. Il renforce ainsi l’extrême-droite, qui prétend le combattre mais se réjouit secrètement de ses excès.

Enfin, une certaine extrême-gauche raciste et antisémite, adepte des théories du complot, complaisante avec l’islamisme. Elle est obsédée par un prétendu « racisme d’État » et divise la société en groupes ethniques. Elle aussi favorise la montée de l’extrême-droite, dont elle affecte d’être le pire ennemi.

La paix civile est menacée. Se taire, c’est être complice.

Face à l’offensive extrémiste, trop de nos concitoyens demeurent silencieux, dans un état de sidération dont il est urgent de sortir.

Il est encore temps de réagir. L’heure est venue de refuser le fatalisme, d’entrer en résistance et de proclamer, partout et en tous lieux, notre attachement à la République et à la démocratie.

Dans la rue, au bureau, dans les associations, à l’usine, au café ou à la fac, dans la presse ou les réseaux sociaux, et demain dans les urnes, faisons entendre notre voix ! Faisons ensemble barrage à tous les extrémismes.

C’est pourquoi, parce que nous refusons la honte de les voir triompher sans avoir même combattu, nous, signataires de cet appel, nous engageons à la mobilisation générale contre les extrémismes, pour la République, pour la France :

– en diffusant cet appel autour de nous et en le partageant sur les réseaux sociaux

– en invitant nos concitoyens à s’inscrire sur les listes électorales avant le 31 décembre 2016

–  en les appelant à voter lors des élections présidentielles et législatives

– en mettant tous les moyens démocratiques en œuvre pour faire battre dans les urnes les candidats défiant les valeurs de la République

1 Sur les « signes religieux ostentatoires à l'école », en fait sur le foulard islamique, et tant pis pour les garçons sikhs, victimes de « dommages collatéraux ».

2 « There is not alternative »

3 Et le discours amalgamant et dénonçant les « populismes », sans discernement, fait à la fois le jeu du pouvoir en place, les « TINA », en dénonçant comme des méchants tous les adversaires, et celui du FN en noyant son discours avec d'autres. Comme si le FN et le NPA étaient porteurs des mêmes valeurs.

4 http://www.lepoint.fr/politique/la-victoire-de-trump-marque-le-besoin-de-frontieres-et-de-reguler-l-immigration-valls-09-11-2016-2082022_20.php

5 Une c.. reste une c.., qu'elle soit proférée par un clerc ou un laïc de n'importe quelle obédience, et une bonne idée reste une bonne idée, dans les mêmes conditions.

6 http://www.liberation.fr/france/2015/10/29/marche-de-la-dignite-l-heure-de-nous-memes-a-sonne_1409806

7 Un peu comme si on disait « les fruits et les oranges », « les maladies et la variole », etc.

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