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Billet de blog 21 juillet 2015

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L'islamophobie selon Ghylain Chevrier

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans une tribune publiée1 par le très à droite Atlantico, Ghylain Chevrier accumule erreurs, approximations et conclusions hâtives. Je donne quelques exemples, mais c'est l'ensemble qui pourrait être analysé.

La présentation de l'auteur est déjà biaisée :

« Il est membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. »
« A été » aurait été plus juste, car le bien mal nommé « Haut conseil à l'intégration » a été placé par le gouvernement en coma prolongé.

« Depuis le 24 décembre 2012, le Président et les membres du collège du Haut Conseil à l’intégration ne sont plus en fonction. A compter de cette date et en l’absence de collège, le HCI n’est donc plus en situation d’émettre des avis, ni de publier des rapports.

Le rôle, l’organisation et les attributions du Haut Conseil à l’intégration seront redéfinis à l’issue de la réflexion engagée par le Gouvernement visant à la refondation de la politique d’intégration. Eu égard aux travaux engagés, les agents affectés au HCI contribuent à ce travail.

A l’issue de cette réflexion, des propositions seront formulées pour déterminer notamment les modalités de gouvernance de la politique d’intégration en France.2 »

Quand cet organisme s'est avancé sur terrain de la laïcité, un des meilleurs spécialistes français de la question, Jean Baubérot, lui a décerné un « bonnet d'âne ostensible3 ».

Guylain Chevrier a aussi été rédacteur à « Riposte laïque », avant de s'en éloigner4 ,à cause des « apéros saucisson-pinard », selon le site.

Passons sur le fond de l'article, qui commence, à la manière de Caroline Fourest5, par énoncer une évidence, pour ensuite arriver à des conclusions contraires :

« Tout sophiste réactionnaire qui se respecte doit, pour se faire entendre par le plus grand nombre, commencer par se rendre sympathique, au moyen de ce que George Orwell a appelé des « pétitions de principe » : il s’agit d’afficher, de manière totalement formelle et abstraite, son attachement à des principes moraux hégémoniques ou quasi-hégémoniques parmi l’auditoire auquel on s’adresse – bref : caresser le lecteur dans le sens du poil. »

Ici, la raisonnement est simple : les actes anti-musulmans sont condamnables et je les condamne, mais :

  • il y a relativement encore plus d'actes antisémites ;

  • il ne faut pas parler d'islamophobie

  • ceux qui en parlent sont des « com-mu-nau-ta-ris-tes »

  • l'islamisme est en germe dans l'islam

  • il y a une menace globale : le « communautarisme musulman. »

La mise en cause initiale du CCIF « Collectif Contre l’Islamophobie en France, organisation communautariste qui rejette les lois de la République et milite pour le délit de blasphème » ne repose sur rien de sérieux et participe à la campagne de délégitimation de cet organisme, comme si casser le thermomètre était le meilleur moyen de faire tomber la fièvre.

Qu'est-ce que le communautarisme, qu'est-ce qu'une communauté ? Il faut commencer par bien définir les termes.

On parle toujours de communautés pour des groupes minoritaires, pas pour les autres. Pourquoi lit-on assez souvent « communauté homosexuelle » un peu partout, et beaucoup plus rarement « communauté hétérosexuelle ». Quant on parle de communauté se référant à une religion, parle-t-on de l'ensemble des personnes qui ont lien avec cette religion, fut-il très ténu et dû simplement à la naissance, ou bien de celles qui participent à des degrés divers à des structures liées à cette religion ? On peut alors parler de « communauté organisée.» ou de « religion X communautaire », qui ne représente qu'une partie de la « communauté » potentielle.

Quant au communautarisme, s'agit-il simplement de la défense des intérêts des membres d'une communauté (première ou deuxième définition) ou de la proclamation de la supériorité des règles propres de la communauté sur les lois du pays ?

La défense des intérêts particuliers n'a rien de répréhensible, même si on la juge parfois totalement injustifiée. Il faut l'analyser au cas par cas, comme on analyse les revendications des buralistes ou des artisans taxi.

Une association qui lutte contre le racisme qui vise les musulmans n'est pas plus communautariste qu'une autre qui lutterait contre le seul antisémitisme.

Dire que le CCIF rejette les lois de la République est complètement abusif, d'autant plus qu'il appuie toute son action sur une connaissance pointue desdites lois.

Quant à militer « pour le délit de blasphème », comprendre la définition et la pénalisation d'un éventuel délit de blasphème, cette accusation ne repose sur rien de concret.

Parlons maintenant chiffres, sans entrer dans une concurrence victimaire.

Les statistiques sur l'islamophobie (ou l'antisémitisme) reposent sur trois sources :

- les enquêtes sociologiques de « ressenti », qui sont à prendre avec les mêmes précautions que celles sur le « sentiment d'insécurité ».

- les plaintes ou signalement auprès des services de police ou de gendarmerie, et chacun sait qu'il y a des biais générés par des contraintes d'objectifs statistiques.

- les signalements auprès d'associations qui luttent contre le racisme, généralistes ou spécialisées. Et dans ce cas les données dépendent beaucoup du réseau d'alerte de ces associations et de leur notoriété.

La même remarque peut être faite à propos des violences faites aux femmes, dont les victimes hésitent moins à parler.

Il faut aussi savoir que « L'observatoire de l'islamophobie », dépendant du CFCM, se contente d'analyser les statistiques du ministère de l'intérieur, contrairement au CCIF ou au CRI6.

J'ai écouté attentivement l'émission d'I-Télé, en suivant le lien proposé. Il y avait quatre invités : Geneviève Fioraso, Secrétaire d’État à l'Enseignement supérieur, Jean-Loup Salzmann, président de l'université Paris 13, Guylain Chevrier, (on n'est jamais si bien servi que par soi-même), et Jean-Claude Radier, avocat et ex-enseignant de droit à Paris 13 qui a été suspendu pour avoir refusé de faire cours devant une élève voilée. Mais pas M. Zekri, du CFCM.

« il (M. Zekri) a soutenu une jeune fille qui entendait entrer en « jupe longue » ostensible dans son collège à Charleville Mézières, qu’elle portait en réaction au fait de n’avoir pas pu la veille y rentrer parce qu’elle ne voulait pas ôter son voile, qu’il considérait comme une résistante »

A Charleville-Mézières, une élève a été exclue parce qu'elle portait une jupe longue, comme les femmes Roms, et beaucoup d'autres femmes qui se plaisent comme ça.

On a inventé dans cette affaire le signe religieux « par intention ». Je ne connais actuellement que deux exemples de conception téléologique du droit : le code pénal soviétique et la doctrine de la CJCE. Ce n'est pas fait pour me rassurer.

Dois-je en conclure que M. Chevrier a inventé ses références ?

« avec une accélération du développement du port du voile marquée depuis janvier 2015, qui est de plus en plus ostentatoire, d’abayas, de fillettes auxquelles on l’impose, de qamis ou  djellabas pour les hommes » 

M. Chevrier a-t-il compté les voiles au m² et tenu des statistiques avec des séries chronologiques. Qu'il nous donne les chiffres, avant et après janvier 2015 !

« Circulez, il n’y a rien à voir !» pour le CFCM. Ne serait-ce pas une conception de la foi au dessus de la loi, de la République, palpable à travers cette volonté d’afficher sa religion comme première dans l’ordre des valeurs, télescopant la sécularisation du religieux dans un pays où c’est la règle, qui poserait le problème principal ? »

« Afficher » sa religion en public est un droit garanti par la loi de 1905 et la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) , ratifiée par la France. Et « séculariser le religieux » ne veut rien dire.

« c’est celle qui se considère au-dessus de la loi commune qui n’aurait pas de prise sur elle, comme l’a affirmé dans un ouvrage l’actuel vice-président du CFCM, M. Chems-eddine Hafiz7 »

J'ai lu il y a longtemps l'ouvrage en question, très technique, et je viens de relire le passage incriminé, la citation exacte est la suivante, dans un développement sur la liberté de changer de religion, garanti par la DUDH, que les auteurs ne remettent pas en cause :

« Enfin, une religion peut prévoir des procédés de sortie de religion, en fonction de ses conceptions et intérêts, ou ignorer la perte de la foi. Dans tous les cas, ces procédés relèvent de la libre organisation interne des cultes, et non pas de la puissance publique qui s'interdit toute immixtion. Le droit est sans prise pour la foi. »

En clair, les auteurs parlent des religions en général, pour se féliciter que les pouvoirs publics n'ont à se mêler de savoir ou définir qui est, n'est pas, n'est plus, chrétien, juif, musulman, etc8. C'est très bien comme ça, ça n'a rien à voir avec le sens que lui donne M. Chevrier.

« ou encore qu’en Irlande du Nord plus près de nous, que ceux qui ont posé des bombes tuant des civils, dont de nombreux enfants des deux côtés, n’en étaient pas aussi ! »

Le conflit irlandais est d'abord un conflit de type colonial, l'appartenance religieuse n'étant qu'un marqueur identitaire.

« Rappelons au passage que le terme « islamophobie » a été utilisé par les Mollahs comme un instrument de combat pour imposer le voile en Iran aux femmes, et le délit de blasphème. »

Il y a un progrès par rapport aux inventions de Caroline Fourest : il n'ont plus inventé le terme !! Et ces mollahs sont à la fois très forts et très bêtes : Ils connaissaient un terme inventé par des administrateurs coloniaux et ethnologues français en 19109, et ils ont été incapable de créer un mot à partir de la langue perse, pourtant très riche.

Cela fait quand même beaucoup d'erreurs et de contresens pour un texte qui se veut de réflexion et d'analyse.

1 http://www.atlantico.fr/decryptage/actes-anti-musulmans-que-presentation-alarmiste-ces-indeniables-chiffres-cache-repli-communautaire-2244291.html

2 http://archives.hci.gouv.fr/AVERTISSEMENT.html

3 http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-bauberot/060813/le-haut-conseil-lintegration-et-le-bonnet-d-ane-ostensible

4 http://ripostelaique.com/lislamo-collabo-stalinien-brafman-empeche-guylain-chevrier-de-parler-laicite.html

5 Le tête-à-queue idéologique de cette dernière à propos du droit de vote des étrangers « a priori, c'est bien, mais je suis contre pour des raisons d'opportunité » a été analysé par le site LMSI.

http://lmsi.net/Retour-de-flamme

6 Collectif contre le racisme et l'islamophobie.

7 « Le droit est sans prise sur la foi », Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005, Pages 34 à 36 (référence donnée par M. Chevrier)

8 Pour enfoncer le clou, il y a une référence jurisprudentielle, qui concerne l'Église de scientologie, et la possibilité des demander sa radiation des fichiers, mais au nom de la loi « Informatique et libertés ».

9 Et qui n'a été employé à nouveau en dehors de la sphère universitaire en Occident qu'environ quinze ans après la révolution iranienne, et absolument pas par des partisans de cette révolution.

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