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Billet de blog 23 mars 2013

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Tenue vestimentaire et prosélytisme.

Tenue vestimentaire et prosélytisme.Régulièrement , on lit que le port de certaines tenues est un acte de prosélytisme, et que c'est inadmissible. Et comme par hasard, il s'agit toujours du voile que portent certaines femmes musulmanes. Alors, remettons les pendules à l'heure.

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Tenue vestimentaire et prosélytisme.

Régulièrement , on lit que le port de certaines tenues est un acte de prosélytisme, et que c'est inadmissible. Et comme par hasard, il s'agit toujours du voile que portent certaines femmes musulmanes. Alors, remettons les pendules à l'heure.

Qu'est-ce que le prosélytisme ?

Un prosélyte (du grec προσήλυτος), c'est le nouveau venu. Le sens originel vise le nouveau venu dans un pays. La Bible des Septante l'enploie pour désigner les païens convertis au judaïsme. Par extension, il désigne les nouveaux venus dans une religion, les convertis.

Le prosélytisme, c'est donc l'action de faire des prosélytes, de recruter des nouveaux venus dans une religion. Ce n'est pas plus illégal que de chercher à convaincre quelqu'un du bien-fondé d'une doctrine politique, syndicale, philosophique.

Dans une société qui garantit la liberté de conscience et d'expression, le prosélytisme est par principe légal, autorisé. La loi peut interdire certains prosélytismes, pour des raisons de fond ou de méthode. Il est évident que la propagande en faveur d'une religion qui prônerait les sacrifices humains, les meurtres rituels doit être interdite, comme on interdit la propagande pour les idées nazies. Elle peut également sanctionner certaines méthodes : abus de faiblesse, harcèlement, chantage.

Sans que ce soit forcément illégal, certains comportements sont très contestables. A la grande époque de l'Église du révérend coréen Moon, ses fidèles français accrochaient les passants dans la rue en leur proposant une revue éditée « par des jeunes chrétiens missionnaires ». Et c'est ainsi que des milliers de braves catholiques se sont fait délester de 5 francs (vers 1970, cela représente plus d'une heure de SMIC) au profit de « Association pour l’unification du christianisme mondial ».

Au moins, les missionnaires mormons, pantalon sombre, cravate et chemise blanche impeccables, badge bien visible, annoncent la couleur.

Il y a aussi ceux qui insistent longuement et ceux qui comprennent tout de suite quand on leur répond « non merci, je ne suis pas intéressé ». Ce n'est d'ailleurs pas propre aux propagandistes religieux, certains vendeurs à domicile peuvent être aussi intrusifs.

Enfin, le prosélytisme ne doit pas s'appuyer sur un appareil d'État, et l'État ne doit pas apparaître comme l'instrument d'une croyance ou d'une incroyance déterminée.

Si ces conditions sont respectées, le prosélytisme fait partie de la vie sociale. Je me souviens avoir vu sur la même place d'une ville, chacun à un angle, essayant de convaincre les passants : l'AFPS, les Verts, les Raéliens et un groupe évangélique. Au nom de quoi autoriser les uns et exclure les autres ?

Porter un vêtement peut-il être un acte de prosélytisme ?

En principe, pour convaincre quelqu'un de « changer de crèmerie », il faut faire appel à son raisonnement ou à ses sentiments. Un vêtement avec un slogan percutant, une caricature qui interpelle, peuvent être un argument de propagande, mais pas plus qu'un tract, une affiche. Et en général, il en faut beaucoup plus pour non seulement accrocher, mais encore convaincre définitivement.

Concernant les vêtements qui peuvent être rattachés à une expression religieuse, l'interprétation et la réaction éventuelles de ceux qui les voient sont fonction de leur référentiel personnel et de leur connaissance de la religion concernée.

Exemples à propos de la religion catholique :

Avant Vatican II, le prêtre en soutane pouvait inspirer, selon les gens, le respect, l'indifférence ou l'envie de faire « croâ, croâ ». Aujourd'hui, la première réaction sera de penser, à tort ou à raison : « tiens, un curé intégriste ». L'interprétation du signe ostensible sera encore différente s'il s'agit de la tenue propre à certains ordres religieux. Et ceux qui les connaissent bien ne verront pas de la même manière le dominicain et le capucin.

Le signe n'a donc pas de sens en lui-même, le sens dépend d'un ensemble de codes sociaux acquis. On pourrait donner aussi comme exemple les sens différents de la couleur blanche du vêtement selon les pays et les cultures.

Celui qui reçoit le signal va donc l’interpréter en fonction de ses acquis personnels.

Maintenant, abordons la question de fond : le port d'un vêtement déterminé a-t-il pour but de convaincre celui qui le voit de changer de religion ? Et surtout, est-ce que ça marche ? Certains affirment que oui.

Depuis plusieurs siècles, le judaïsme ne fait plus de prosélytisme. Les personnes qui souhaitent se convertir au judaïsme doivent faire preuve de beaucoup de motivation et de patience. On peut donc être certain que le juif qui porte une kippa n'a aucune intention prosélyte.

Si on pose la question : « Voir un curé en soutane va-t-il vous convaincre de (re)devenir catholique ? », la réponse unanime sera « Non, bien sûr ».

Alors, pourquoi serait-elle différente pour une musulmane qui porte le hidjab, un juif la kippa, un sikh le turban ?

Le prosélytisme le plus dangereux est habillé de manière « neutre ».

J'ai connu un exemple de tenue adaptée à une intention prosélyte. Le groupe fondé par « Moïse David », les « Enfants de Dieu », devenu « la famille d'amour », a pratiqué dans les années 1970 le « flirty fishing », la pêche aux nouveaux adeptes mâles (friqués de préférence) par la séduction féminine. Les filles portaient des jupes courtes, de larges décolletés. C'est je crois le seul cas de prosélytisme par le vêtement.

Je lis régulièrement des choses du genre : « la nounou (voilée) va inculquer sa religion à l'enfant que je lui confie ». Personne ne pose la question inverse, dans le cas où une famille musulmane confierait son enfant à une nounou « en cheveux », comme on disait autrefois. Il est évident que, dans les deux cas, la nounou n'a pas à faire de la propagande pour quoi que ce soit. D'ailleurs, en général elle sera suffisamment occupée par les soins aux enfants qui lui sont confiés.

Quand l'enfant s'éveille à son environnement, fait des comparaisons, pose des questions, il pourra demander pourquoi ce n'est pas pareil chez lui et chez la nounou.

Dans tous les cas, la réponse doit être la même, et c'est une éducation au « vivre ensemble » : « elle a ses convictions religieuses, tes parents les leurs, et chacun doit respecter l'autre. »

Les organismes qui luttent contre les dérives sectaires savent que le danger vient des groupes qui créent des succursales spécialisées dans les « médecines douces », les « thérapies d'éveil », le « coaching personnel », les activités périscolaires (musiques, yoga, etc.).

Et bien entendu, cela est fait par des hommes et des femmes habillés de manière très standardisée, sans aucun signe distinctif d'appartenance à un mouvement sectaire.

Et c'est là que réside le danger, non seulement de prosélytisme, mais surtout de destruction de la personnalité et de pertes financières1.

Alors, contentons-nous de combattre les mouvements qui sont dangereux, quels que soient les tenues portées, et fichons la paix aux gens qui se contentent d'afficher leur convictions.

1 A titre d'exemple, cette mise en garde :

http://www.miviludes.gouv.fr/quest-ce-quune-d%C3%A9rive-sectaire/o%C3%B9-la-d%C3%A9celer/enfance-et-%C3%A9ducation-les-mineurs/enfance-en-danger-et-r

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