Ce qui peut passer pour une querelle de clocher peut cacher une grande bataille politique et idéologique, même si tous les acteurs n'en ont pas conscience.
Rocroi est une petite ville des Ardennes, célèbre pour la victoire des troupes françaises sur les espagnoles en 1643.
Ses fortifications méritent un détour, mais leur intérêt se voit surtout du ciel.

Il y a bien sûr un collège, qui a longtemps porté le nom d'Andrée Viénot, femme politique ardennaise, élue locale, ayant eu des responsabilités nationales, et qui avait donné le terrain d'emprise pour construire ce collège.
A la suite d'une réorganisation, le collège devint en 2007 le « Collège multi-sites de Rocroi-Maubert », nom qui n'est certes pas très porteur.
L'équipe enseignante vient d'avoir une idée qu'elle a cru géniale : plutôt que revenir à l'ancien nom, il fallait donner au collège le nom d'une « personnalité d'envergure nationale », « un patronage prestigieux ». Et elle proposa Jean-Christophe Rufin !!
Cette initiative a déclenché une tempête locale, qui n'est pas terminée. Beaucoup des opposants à cette nouvelle dénomination le sont pour des raisons ardenno-ardennaises très respectables.
Je voudrais ajouter trois arguments plus généraux :
1. .Par principe et par prudence, il vaut mieux éviter de donner à une rue, un collège, etc.. le nom d'une personnalité vivante, car on ne peut pas préjuger de l'avenir. L'écrivain, l'élu respecté peut devenir une crapule, se révéler un s.., renier ce qui a fait son renom, avoir masqué un pan de sa vie. Les exemples abondent.
2. Andrée Mayrisch, épouse Viénot (1901-1976) fut une femme politique certes oubliée, mais qui a joué un rôle important dans les années d'après-guerre. Elle a continué les combats menés avec son mari Pierre (1897-1944) : socialisme, éducation populaire, décolonisation. Elle démissionna de la SFIO pour marquer son désaccord avec la politique de Guy Mollet (agression de Suez, guerre d'Algérie) : « Aujourd’hui, il ne m’est plus possible de rester dans un parti dont les dirigeants, ayant accédé au gouvernement, ont renié non seulement les promesses faites aux électeurs, mais toute leur morale et toute la tradition du socialisme et ont fini, pour dissimuler l’échec de leur politique en Algérie, par se lancer dans une guerre qui, malgré toutes les fautes de Nasser, est apparue au monde entier comme une guerre d’agression »
3. Quant à Jean-Christophe Rufin, son action humanitaire, ses succès littéraires ne doivent pas faire oublier son bilan politique :
Dans un rapport de 2004, il estime que l'antisémitisme ne doit pas être considéré comme un racisme de même nature que les autres, et il assimile antisionisme « radical » et antisémitisme1.
En 2007, Nicolas Sarkozy le nomme ambassadeur au Sénégal, et une déclaration fort peu diplomatique fâche les Sénégalais2.
1 https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2004-10-21-rufin
2 http://www.liberation.fr/planete/2008/12/26/jean-christophe-rufin-ambassadeur-trop-bavard_298557