Quand une administration du Ministère de la Justice va à l'encontre d'une décision de Justice, c'est le justiciable qui trinque.
Mon cas est révélateur de bien d'autres, que les situations ubuesques de l'administration judiciaire n'épargnent pas dans leur volonté de s'en sortir.
Jusqu'ici tout va bien….
En octobre 2014, titulaire d'une licence d'Histoire et d'un DEUG de droit, j'ai décidé de postuler au concours externe de Conseiller Pénitentiaire d'Insertion et de Probation organisé par le Ministère de la Justice. En me renseignant sur les conditions d'accès à ce concours, j'ai appris qu'il fallait disposer d'un casier judiciaire vierge de toute mention qui serait incompatible avec l'exercice des fonctions.
Il se trouve que j'avais été contrôlé positif à l'éthylomètre lors un contrôle routier en septembre 2013, et condamné à une amende par une ordonnance pénale en novembre de la même année. J'ai alors cherché à savoir si cette condamnation figurait à mon casier judiciaire en écrivant au procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Toulouse par voie électronique le 3 octobre 2014.
Un mois plus tard, étant sans réponse, je décidais tout de même de tenter ma chance et de valider le 10 novembre 2014 ma candidature pour les épreuves écrites . Le 9 décembre 2014, soit plus de 2 mois après ma demande, j'ai reçu un courrier daté du 3 décembre 2014 du procureur de la République de Toulouse, me demandant des informations complémentaires concernant la demande d'effacement de mon casier judiciaire. Je lui ai alors immédiatement fait remonter toutes ces pièces afin que la Justice puisse se pencher le plus rapidement possible sur mon cas.
Alors que j'ai reçu au début du mois d'avril une convocation à Paris le 28 mai 2015 pour passer les épreuves orales du concours, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse m'annonçait au même moment que le verdict concernant ma demande serait rendu le 7 avril 2015, soit plus de 7 mois après ma demande initiale. Ce verdict m'a été favorable: la justice décidait d'effacer la condamnation de novembre 2013 de mon casier judiciaire B2, qui se trouvait alors être vierge de toute mention comme on me l'a signalé. J'ai insisté à ce moment-là auprès de la juge et au bureau d'exécution des peines pour savoir si le verdict serait appliqué avant les épreuves orales. On m'a répondu qu'il n'y aurait aucun problème puisque le jugement avait court dès l'instant où il avait été prononcé.
C'est donc l'esprit rassuré que j'ai attendu les résultats du concours, et j'ai constaté le 23 juin 2015 que j'étais en 6e position sur liste complémentaire d'attente, en 136e position au total. J'ai suivi sur internet l'évolution des rappels des candidats inscrits sur cette liste, constatant qu'un certain nombre d'entre eux, figurant bien au-delà de la 30e place, avaient été rappelés entre le 10 et le 20 juillet. Confiant, je pensais simplement que l'Administration Pénitentiaire mettait un peu de temps avant de reprendre contact avec moi, comme il semble que cela puisse parfois arriver. En attendant, j'ai passé la visite médicale et ai ramené le résultat de celle-ci à la Direction Inter-Régionale de Toulouse, comme la procédure l'exige. Toutes les conditions semblaient remplies pour que je sois moi aussi appelé à rentrer à l'Ecole Nationale de l'Administration Pénitentiaire à Agen le 31 août 2015.
Quand les services du Ministère de la Justice se contredisent.
Pourtant, le 24 juillet, j'apprenais par un courrier recommandé de la DAP que ma candidature était refusée, car je ne remplissais pas les conditions d'accès à la fonction publique. En effet, m'étaient reprochés les faits que la Justice avait pourtant effacé de mon casier judiciaire selon son précédent jugement… Et pour continuer dans l'absurde on m'avançait une condamnation de 2011 pour violation d'une interdiction judiciaire de stade, or je n'ai jamais eu connaissance de ces faits et a fortiori été condamné pour ceux-ci…
D'ailleurs je l'avais signifié aux policiers chargés d'effectuer mon enquête de moralité exigée par la Direction de l'Administration Pénitentiaire, dans le cadre de mon concours. Ces derniers, après vérification, m'avaient d'ailleurs répondu qu'il n'y avait aucune trace d'une éventuelle condamnation à une interdiction de stade et qu'il devait effectivement y avoir une erreur dans mon dossier. Cette erreur, me promettaient-ils, serait alors corrigée pour ne pas porter atteinte à ma situation.
Meurtri de la décision de la DAP, j'ai alors tenté de joindre les services de cette institution pour lui expliquer ma situation et proposant d'envoyer la décision du TGI de Toulouse du 7 avril 2015 actant de la virginité de mon casier judiciaire. En vain…
Opacité et lenteur judiciaire
Assisté d'un avocat, nous avons alors monté une demande de recours en référé, expliquant que ma situation représentait un préjudice suffisant, sur le plan moral (me voir reprocher des faits pour lesquels j'ai payé et qu'une décision de justice a effacé, voir pour lesquels je n'ai jamais été condamné), sur le plan financier (je travaille à temps partiel pour 800 euros par mois, et ai dû engager mes économies pour passer les oraux à Paris) comme sur le plan temporel (la rentrée à l'ENAP avait eu lieu depuis quelques jours…). Notre objectif étant que la procédure soit accélérée et que je puisse intégrer au plus tôt l'ENAP.
Hélas, par décision du Tribunal Administratif, notre demande de référé-suspension a été rejetée, sans débat contradictoire, ce qui m'empêche de suivre la formation jusqu'à ce qu'une décision de fond soit rendue, ce qui peut prendre jusqu'à plusieurs années.
Indignés, nous avons alors formé un recours en cassation au Conseil d’État. Ce dernier a rejeté mon recours le 11 décembre 2015, ce qui signifie que je vais devoir attendre les délais classiques (pouvant aller jusqu'à plusieurs années) avant d'être fixé sur mon sort. Pendant ce temps, les erreurs qui figurent sur mon dossier m'empêchent de postuler à quelque concours d'entrée à la fonction publique que ce soit puisqu'elles n'ont toujours pas été corrigées par les juges qui sont les seuls habilités à le faire.
Parallèlement à ces recours, je me suis rendu au début du mois de septembre 2015 au bureau d'exécution des peines du Palais de Justice de Toulouse afin de savoir si la décision du 7 avril 2015 avait été appliquée . On m'a répondu que le bureau d'exécution des peines avait été informé de la décision le 16 juin 2015 (plus de 2 mois après le verdict) et qu'avec les vacances estivales il était fort possible que mon casier judiciaire n'ait toujours pas été effacé à l'heure où nous parlions. J'ai alors demandé à le consulter, on m'a répondu qu'il fallait que j'adresse un courrier au Procureur de la République - comme tout un chacun en a le droit - ce que je me suis empressé de faire. Nous sommes le 10 décembre 2015, je n'ai toujours pas eu la moindre réponse concernant une possible consultation, plus de 3 mois après en avoir fait la demande…
Une situation kafkaïenne.
Me voici donc dans une situation kafkaïenne. Cela fait désormais plus d'une année entière que j'ai entamé les démarches me permettant d'effacer le bulletin numéro 2 de mon casier judiciaire, et je n'ai toujours pas la certitude, malgré un jugement rendu il y a 8 mois maintenant, que ma situation ait été régularisée.
Je n'ai eu de cesse tout au long des différentes procédures de demander si les délais allaient pouvoir être tenus pour que je puisse bénéficier de ce concours dans le cas où je l'obtiendrai, la Justice, la Police tous m'ont alors répondu favorablement.
Aujourd'hui je me retrouve dans une situation absurde où une administration du Ministère de la Justice, ici la DAP, ne tient pas compte d'une décision de Justice… Ces décisions pourraient prêter à sourire si elles n'impactaient pas directement ma vie. Alors que j'ai fait des études pour pouvoir entrer dans la fonction publique, je me retrouve travailleur précaire, renvoyé sans cesse à des erreurs de jeunesse même quand la Justice décide de les effacer….
J'aimerais que mon cas, qui est loin d'être unique soit pris en compte, et que l'opacité et la lenteur judiciaire ne soit pas un frein à la volonté des individus de s'en sortir.
Marc De Biasi