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Billet de blog 13 février 2015

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The Wire à Toulouse: Une "Nouvelle Amsterdam" à dix minutes du Commissariat Central.

D'après Google Map, c'est à 13 minutes à pied du Commissariat central de l'Embouchure et à 27 minutes du Capitole. Cette proximité avec le cœur de ville fait aussi l'originalité du 20 rue Emile Caffort, notoirement connu pour être un des super-marchés de la drogue à Toulouse. C'est là où « on trouve la meilleure au meilleur prix ». L'adresse est fréquemment honorée par des descentes de police plus ou moins fructueuses : en décembre 2010, 100 grammes de cocaïne et 150 barrettes de shit avaient été saisis1. En mars 2011, un jeune homme avait été abattu par deux hommes dans ce qui ressemblait, d'après la Dépêche du Midi, à « un règlement de compte lié au trafic »2.

Selon la Dépêche du Midi 76 opérations de police ont été conduites dans la cité Caffort en 2014. On apprend plus loin que "Sept dealers sont toujours écroués depuis le 3 février 2014, et 25 individus ont été jugés en comparution immédiate et incarcérés. En 2009 une intervention dans la cité a donné lieu à l'interpellation de deux frères qui dirigeaient le trafic depuis un pavillon de Fenouillet. 160 000 € avaient alors été saisis."

Aujourd'hui en février 2015, la situation ne s'est pas améliorée.

 A l'entrée de l'immeuble, propriété de l'OPHLM Habitat Toulouse, un dealer contrôle les entrées et les sorties des habitant-e-s et de ceux qui les accompagnent. Le premier candide venu pourrait croire que l'office HLM, dont le directeur Franck Biasotto, est l'adjoint au logement de la Mairie de Toulouse, a embauché un portier pour le bien être des locataires, malheureusement il n'en est rien, et les manquements du bailleur semblent nombreux. A commencer par le laisser-faire sur une situation connue de tous et dont les locataires sont les premières victimes : menaces, règlements de compte entre dealers, descentes de police, manque de vides-ordures, aménagement sans concertation, caves inutilisables car murées par le bailleur alors que les locataires les payent dans leurs charges... La liste est longue. A croire que la Préfecture et Habitat Toulouse auraient décidé d'initier une "Nouvelle Amsterdam" à l'instar du Major Colvin dans The Wire. Dans la série de David Simon, ce policier a l'idée de créer un périmètre élargi où les dealers et les client peuvent commercer, le deal étant justement que cette zone concentre les activités délictuelles pour que les concitoyens de la ville de Baltimore aient l'impression de vivre en sécurité. La situation y ressemble: le ballet des clients est en flux continu et se fait de manière très peu discrète. De leur côté les équipes de dealers sont très organisées, une rotation d'équipes à lieu régulièrement, ils sont connus des employés d'Habitat Toulouse, de la police, des habitant-e-s, et disposent des mêmes pass vigik que ces derniers.

 Malgré l'agacement des habitant-e-s, ceux-ci ont un regard en demi teinte sur les dealers : « franchement parfois ils me font peine, on voit qu'ils sont paumés. Le vrai problème c'est pas les petits, c'est ceux qui sont au dessus ». Et il faut bien dire que les dealers que l'on croise dans la cage d'escalier semblent plus otages d'un avenir sans autre horizon que la case Pôle Emploi et le désœuvrement, qu'acteurs réfléchis du trafic.

 Une situation sensiblement similaire, et plus importante au vu du nombre d'habitants, avait fini de manière peu glorieuse à Toulouse. Il s'agissait de la Cité des Castalides, vidée de l'intégralité de ses habitant-e-s avec l'aide du GIPN en septembre 20133. Là encore Habitat Toulouse et la Préfecture étaient impliqués dans l'opération. L'intervention, que très peu de voix remirent en cause tant la situation était intenable dans l'immeuble délabré par la désertion des pouvoirs publics, avait débouché sur l'éloignement de la ville de nombre d'habitants voire de leur non relogement. Derrière la peinture de la rénovation urbaine, l'aubaine était belle de reléguer les plus pauvres en troisième, quatrième couronne, comme trop souvent sous prétexte de mixité sociale et de requalification urbaine. Est ce le but recherché pour la cité Négreneys ? Le 20 rue Emile Caffort est il une Nouvelle Amsterdam ou les nouvelles Castalides ? Les deux ?

Evacuation des Castalides par la police, le 29 août 2013.

La dernière intervention d'Habitat Toulouse dans l'immeuble du 20 rue Emile Caffort ne fait qu'alimenter les rumeurs. Le bailleur a en effet décidé de murer une dizaine d'appartements vides sans explication. Officieusement il est dit que se serait pour empêcher des personnes de squatter et les dealers de stocker. Mais cela n'a rien réglé au problème, des habitants, toujours selon les rumeurs, seraient contraints sous la menace de stocker la "marchandise" temporairement pour pallier à la fermeture des « nourrices ».

Ce mercredi 11 février, un nouvel événement symptomatique de cette situation est advenu à une habitante.

Karima (le prénom a été changé) et ses quatre enfants remis à la rue d'un hébergement d'urgence sans qu'on lui propose d'autres solutions, ont atterri dans un appartement vide du 20 rue Emile Caffort. Elle fait constater dans la foulée son occupation sans droit ni titre par la police et Habitat Toulouse. Les problèmes ne vont pas tarder: suite au murage des appartements vacants de l'immeuble, les dealers cherchent une nouvelle « nourrice » pour stocker la marchandise, et se tournent notamment vers Karima seule avec ses enfants. Celle-ci refuse, dépose une main courante, et décide au bout de trois semaines de quitter l'appartement pour assurer la sécurité de ses enfants. Elle part pour le week end chez une cousine et revient le lundi récupérer des affaires. Voici l'état dans lequel elle trouve l'appartement: Toilettes réduites en miettes, placards vidés, écran plat de la télé brisé sur le sol, congélateur et réfrigérateurs débranchés et ouverts. En son absence les services de police auraient perquisitionné l'appartement où ils auraient saisi 465 euros en liquide, et 39 grammes de cocaïne. Ils y auraient également interpellé les deux dealers qui s'y étaient installés. La BAC auraient reconnu avoir cassé la cuvette des toilettes, mais nie être responsable du reste de la casse remettant la faute sur les dealers...

 La découverte de l'appartement se fait simultanément avec la venue d'un journaliste de La Dépêche invité par des militants du DAL Toulouse à venir constater le délabrement de l'immeuble. Karima et les militants appellent immédiatement le 17, précisant qu'une « femme est choquée et l'appartement dévasté ». Avertie à 12h45, la police ne viendra qu'à 14h30. Presque deux heures pour qu'une patrouille fasse le kilomètre séparant le 20 rue Emile Caffort, du Commissariat Central. Une habitante, Aïcha (le nom a été changé) déclare : « Ici on peut mourir, ils ne viendraient pas ». Karima accompagnée d'un militant du DAL Toulouse est allée porter plainte contre X pour le saccage de son appartement. Cet événement est révélateur de la manière dont les habitants sont pris en « otage » entre les menaces des dealers et l'arbitraire des interventions policières.

De son côté la préfecture a répondu sur la situation d'une "Nouvelle Amsterdam" à la Dépêche du Midi, par la voie de Marc Le Solleu, chef de la sûreté départementale de Haute-Garonne:

"C'est faux. Notre stratégie est même complètement à l'opposé de ce que les gens croient. Pour nous, contraindre le trafic à se déplacer c'est justement répondre aux attentes des populations qui le subissent. C'est notre travail. D'ailleurs, à Caffort, nos interventions commencent à porter leurs fruits car le deal se déplace de la tour vers un autre immeuble. Mais si le trafic perdure en dépit de nos interventions c'est qu'il constitue une activité économique illégale énorme. En 2014, nous avons saisi 48 000 € en liquide et en véhicule dans la seule cité Caffort. Sans compter les produits que nous avons confisqués. Visiblement, près de 50 000 € de manque à gagner n'ont eu aucun effet sur l'intensité du trafic. Il faut régler le problème hall d'immeuble par hall d'immeuble. Mais il faut être conscient qu'il y a aura du trafic aussi longtemps qu'il y aura de la demande."

De là à résoudre le problème par la légalisation, c'est un autre débat qui mériterait d'être posé.

Pour sortir de cette impasse, refuser de continuer à subir, combattre la peur, des habitants de la cité Négreneys ont décidé de prendre leur destin en main en créant leur AmiDal de locataires de la Cité Bleue, et demandé par la voix du DAL Toulouse, une rencontre avec les responsables d'Habitat Toulouse et de la Préfecture afin d'évoquer les nombreux problèmes de leur quotidien. A ce jour aucune réponse  n'est parvenue. Rien d'insurmontable, à Toulouse le DAL a l'habitude d'aller obtenir ses réponses par lui même....

1http://www.ladepeche.fr/article/2009/05/25/611667-exclusif-au-coeur-du-supermarche-du-shit-dans-une-cite.html

2http://www.ladepeche.fr/article/2011/03/28/1045433-abattu-par-deux-hommes-encagoules-au-pied-de-son-immeuble.html

3http://www.ladepeche.fr/article/2013/08/29/1697369-immeuble-des-castalides-aujourd-hui-on-ferme.html

http://www.ladepeche.fr/article/2015/02/15/2049809-negreneys-la-cite-livree-aux-dealers.html

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