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Billet de blog 14 juillet 2015

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Gramsci au Lycée Pro Episode 3: L'Education Civique à l'épreuve de la classe (populaire)....

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II : L’Éducation Civique à l'épreuve de la classe.

"Est citoyen quelqu'un qui est capable de gouverner et d'être gouverné"

La Politique, Aristote.(IVème siècle avant J.C).

Le observations sur l'enseignement de l’Éducation Civique se basent sur mon expérience auprès de trois classes auxquelles il m'a été donné l'opportunité d'enseigner. Deux classes de Seconde professionnelles (Aide Soin Santé à la Personne et Sciences Électroniques) et une de Première (Mode). Débutons par le premier niveau.

A :« Vivre en Citoyen ».

Le programme d’Éducation Civique en Seconde s'intitule « Vivre en Citoyen ». Le BO indique que « les thèmes invitent à construire la citoyenneté à partir de l'environnement quotidien de l'élève ou de l'apprenti pour l'élargir aux représentations et expériences de la vie sociale ». Les thèmes sont au nombre de quatre parmi lesquels un thème obligatoire et un thème au choix parmi les trois restants. Ces trois thèmes facultatifs sont : « Engagements individuels et collectifs » (associations-partis politiques-syndicats) ; « Égalité, différences, discriminations » ( un exemple d'exclusion lié au racisme, au sexisme ou au handicap, les salaires hommes-femmes, la discrimination positive) ; « Le citoyen et les médias »(le pouvoir de l'image, la liberté d'expression et les nouveaux médias, les sondages d'opinion). S'il m'a été compliqué d'aborder de plein pied ces sujets, j'ai essayé, nous le verrons plus loin, d'aborder ces thèmes de manière transversale au travers du Français ou de l'Histoire-Géographie. En revanche, je me suis fait un devoir d'enseigner dès les rentrée de septembre le thème obligatoire : « Droits et devoirs des membres de la communauté éducative » ayant pour situations possibles : Les instances de la vie lycéenne-Le droit d'expression au lycée-Le règlement intérieur.

Les Orientations fixées par Eduscol sont : « Au sein de la communauté éducative chacun a des droits et des devoirs qui sont différents selon le statut et la fonction. On réfléchit à la mise en œuvre par les élèves de leurs droits et obligations dans l'établissement, ce qui leur permet de faire l'apprentissage des principes et des méthodes de la démocratie et de se préparer à l'exercice de la citoyenneté ».1

Afin de répondre à ces objectifs, j'ai organisé ma séquence en deux séances. La première sur le règlement intérieur, ce qui me permettait, de manière très opportuniste je dois l'avouer, de faire un lien avec les règles de vie de classe. La seconde portait elle sur les instances de la vie lycéenne. Ne souhaitant pas que le lecteur souffre autant que les élèves de cette séquence, je ne la détaillerais que partiellement tant je la ressentis comme un échec par rapport aux objectifs. La première séance sur le règlement intérieur s'est appuyée sur deux exemplaires de règlements intérieurs. Bien sûr celui du lycée des élèves, mais aussi un plus ancien, mettant en miroir le leur. Cet autre règlement intérieur datait du début du XXème siècle et avait été affiché à l'école de Pouilly Le Fort, on le trouve dans de nombreux manuels. Certaines de ses prescriptions, comme celle de ne pas cracher à terre firent succinctement effet sur les élèves, qui comme je le leur avais demandé comparèrent sans grand enthousiasme les deux règlements intérieurs pour voir les concordances et les différences. Cela permit de poser une définition du règlement intérieur et d'évoquer Érasme et son Traité de Civilité Puérile (1530) ainsi que les travaux de Norbert Elias sur les codifications sociales dans La Société de cour (1969) en expliquant que toute époque a ses codes, ses interdits. Les écrits d’Érasme sont d'ailleurs une entrée sûrement plus efficace que l'exercice sans originalité que j'avais alors proposé. En descendant de cette perspective socio-historique il est évident que pour les élèves l'étude du règlement intérieur s'avère être celle de toutes les contraintes. Un enseignement repoussoir tant les droits qui leur sont accordés (droit d'expression, participation aux instances lycéennes) leur semble abstraits quand les devoirs eux sont beaucoup plus concrets : être à l'heure, interdiction d'objets et de denrées alimentaires dans la classe… Je n'ai en effet, eu aucun élève pour me dire à quel point il trouvait dans le règlement intérieur des espaces pour exercer pleinement sa citoyenneté ou plus simplement pour s'accomplir en tant que jeune homme ou femme désirant s'exprimer sur des sujets l'intéressant. M'appuyant sur ce désarroi et les soupirs d'exaspération des élèves, je leur demande où est élaboré le règlement intérieur une fois la réponse acquise, dans des instances comme le CVL ou le CA du lycée, je les interroge sur la manière dont ils peuvent y participer. Astuce il est vrai assez facile pour les amener à ma seconde séance sur ces fameuses « Instances de la Vie Lycéenne ». Pour se faire un schéma représentant celles-ci ainsi que leurs possibilités respectives est présenté aux élèves. Une série de questions est posée à partir du schéma: à quelles échelles se déploient t-elles ? Quelles sont leurs compétences ? De quel type de démocratie ces instances sont elles les héritières ? De manière plus concrète, qu'est ce qu'un délégué de classe ? Une fois l'étude faite, la connaissance de leurs droits et de leur pouvoir de participation acquise, qu'advient t-il de la pratique des élèves dans ces instances ? Ici se tend le fossé entre théorie et pratique.

L'écart est flagrant entre les intentions affichées dans la participation des élèves aux instances de gouvernance de leurs établissements (Conseils de classe, Conseil de Vie Lycéenne, Maisons des lycéens) et la réalité de cette participation. Cet écart est d'ailleurs confirmé par le rapport de la Mission sur l'enseignement de la morale laïque de 2013 : « Toutes les maisons des lycéens n'ont pas été créées, la majorité des élèves n'utilisent pas leurs droits, comme la liberté d'information et d'expression, et ne s'investissent pas dans les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (…) Ainsi, les instances représentatives restent-elles trop souvent des coquilles vides »1. Le taux de participation aux élections à la vie lycéenne de 2012 vient conforter ce constat avec moins de 50 % de participation globale, toujours selon le même rapport. Cela n'empêche pas que l'inégalité Homme-Femme ne se réalise à nouveau même à cette échelle où les filles restent minoritaires, particulièrement au Conseil National de la Vie Lycéenne. Les formations pour les fonctions de délégués participants aux différents conseils sont peu attrayantes : « les lycéens ont le sentiment que les adultes de l'établissement ne légitiment pas leur parole, qu'elle n'est pas prise en considération, que certains sujets ne peuvent être abordés. Ils vivent alors les instances comme un dispositif institutionnel, formel et éloignés de leurs intérêts ».1

Ce constat, je ne peux que le confirmer en tant qu'enseignant. Les élèves vivent les instances lycéennes comme un magma d'acronymes qui sert davantage de faire-valoir au « monde adulte » pour prétendre prendre en compte la parole et les avis des lycéens, que de réel lieu d'expression ou de droit pour eux. Les instances lycéennes reproduisent de plus un système politique en crise dans la société française. Une démocratie représentative en forme de pyramide dont la pointe paraît si lointaine à l'immense majorité des élèves qu'elle s'en retrouve forcément derrière sa ligne d'horizon. Que se passe t-il au CNVL (Conseil National de Vie Lycéenne) ? Et au CSE (Conseil Supérieur de l’Éducation Nationale) où paraît-il des représentants lycéens participent à  rendre des avis consultatifs sur les objectifs, le fonctionnement du service public de l'éducation et sur toutes les questions d'intérêt national concernant l'enseignement ou l’éducation ? Il serait intéressant, même après l'avoir étudié, de voir combien d'élèves se souviennent lors de leur scolarité de ces acronymes sensés représenter leur apprentissage des principes et des méthodes de la démocratie et des se préparer à l'exercice de la citoyenneté. Par ailleurs, une étude sociologique des lycéens accédant aux instances nationales mettrait certainement en valeur un habitus culturel plus élevé que la moyenne chez ceux-ci, voire un engagement dans des partis institutionnel coutumiers de l'exercice du pouvoir dans ce type d'institutions. Car pour accéder et être entendu dans des instances, encore faut-il en avoir les codes, que se soit dans l'expression orale et écrite, ce qui n'est pas donné à tous les élèves et fait également figure de distinction en créant une nouvelle reproduction sociale au sein même du système représentatif lycéen.

Il y a donc une contradiction dans cet enseignement obligatoire qui n'agit pas comme une accroche à une éventuelle mise en pratique de la citoyenneté mais bien plus comme un repoussoir à celle-ci. Une réflexion doit être menée sur l'utilité pour les élèves de ces instances, est il besoin de les étendre au-delà des échelles de l'établissement ou de la commune ? Une présence aux seules échelles locales permettrait sans doute de rendre plus concrète une participation des élèves à des instances représentatives. Par ailleurs, si les élèves ont des droits, pourquoi ne pas les inciter à se syndiquer dans des syndicats lycéens, qui pourraient s'organiser au sein des Maisons des Lycéens plutôt que leur donner la parole devant un parterre d'adultes les inhibant dans leurs expressions et éventuelles revendications. Les élèves sont très souvent dans une dialectique adolescente oscillant entre l'envie d'appartenir à la société des adultes et le rejet de celle-ci. C'est ce que l'on nommera ici « la radicalité adolescente » amenant à transgresser les règles de la société adulte ou à les affronter. Ce passage est formateur pour poser des limites, comprendre aussi qu'une société est faite de tabous ou interdits qui au-delà de leur fonctions contraignantes servent paradoxalement de ciment pour le vivre-ensemble. Pouvoir s'organiser entre élèves pour défendre un certain nombre de revendications qui peuvent aller des plus politiques (exemple baisse du coût de la cantine) au plus désuètes (le droit de fumer dans la cour) est un moyen de donner une voie constructive à cette recherche de la radicalité. En faisant l'expérience de leurs droits, les lycéens font aussi celle du droit des autres. Cela pourrait mener justement au rapprochement avec les personnels et enseignants d'un établissement visant au mieux vivre-ensemble de toutes les composantes de la communauté éducative. Dès lors, le règlement intérieur n'est plus le fruit d'un adoubement par des représentants d'élèves, sans réelle légitimité, des propositions des adultes, mais celui d'un rapport de force où s'exprime la revendications des élèves mais aussi les droits des personnels et enseignants. Cet exercice peut paraître périlleux, et il l'est, comme tout réel effort démocratique. Voici donc ce que nous suggérons pour permettre aux élèves de participer réellement à la vie de leur lycée et à l'exercice de leurs droits. Tout d'abord une relocalisation des instances où ils peuvent participer aux échelles du lycée, de la ville, du département. Utiliser les Maisons des Lycéens non plus comme des « foyers baby-foot » mais aussi comme des lieux où les élèves peuvent créer leur amicale de fait portant sur une discipline (scientifiques, littéraire), une occupation (tuning, foot, cinéma, séries, jeux vidéos...), où ils puissent se regrouper pour faire vivre leurs centres d'intérêts et pourquoi pas solliciter des intervenants extérieurs ou des professeurs. Inciter à la création de syndicats lycéens où ils puissent s'organiser pour défendre leur droit en autonomie. L'auto-formation des élèves pour leurs droits peut être un complément très efficace de celle dispensée jusqu'ici sur le règlement intérieur et les instances de la vie lycéenne, et cela permettra aux élèves d'acquérir davantage d'autonomie dans leurs activités. Bien sûr, ces propositions sont à affiner et expliciter, mais elles sont une amorce pour ce que pourrait être une réelle éducation à la citoyenneté et à la politique.

Revenons toutefois aux trois autres thèmes du programme de Seconde. J'ai tenté avec certaines classes d'aborder deux des thèmes. Le premier « Engagements individuels et collectifs » a été effectué par des exposés oraux où les élèves par groupe devaient présenter un syndicat ou une association : CGT, CFDT, Restos du Cœur, ACT UP, Aides... Il s'est avéré qu'une bonne partie des élèves eu bien du mal à comprendre les actions des uns et des autres. Là encore par manque de temps, le travail de terrain n'a pu être mené à bien ce qui rend l'étude du sujet trop abstraite malgré les documents à disposition. L'autre thème fut « Égalité, différences, discriminations » avec ma classe de Seconde ASSP composée de trente-deux filles. Je décidais de choisir comme sujet d'étude le sexisme prenant au bond le programme de l'ABCD de l’Égalité, plan d'action pour l'égalité entre les filles et les garçons à l'école lancé en 2013 par Vincent Peillon alors Ministre de l’Éducation Nationale. Je décidais d'inviter une personnalité extérieure, une doctorante en anthropologie de l'Université Jean Jaurès à Toulouse. Cette rencontre fut préparée avec les élèves et l'anthropologue Anaïs Garcia qui travaille notamment sur les moyens de contraception et la construction du genre. Lors de cette rencontre de deux heures, qui fut très riche, les élèves purent poser des questions, et à l'aide de vidéos nous montrâmes comment les stéréotypes sexistes pouvaient être à l’œuvre encore de nos jours dans la société française. La parole fut ensuite donnée aux élèves pour faire part de leurs expériences personnelles et quotidiennes. À la suite de cela et d'une piste proposée par Anaïs Garcia, une étude fut menée à la cantine scolaire par les élèves pendant une semaine pour vérifier que les garçons étaient bien davantage servis en nourriture que les filles, dévoilant ici une différence marquante mais quasi inconsciente faite entre les filles et les garçons. Le débat, la rencontre d'une personnalité extérieure, et l'expérience concrète par le terrain permit aux élèves de s'approprier le thème d’Éducation Civique. Cette séquence fut assurément la plus aboutie qu'il me fut donné de construire et de mener dans cette matière, où le cour théorique prend bien trop souvent le pas sur le concret et ne permet aux élèves de n'avoir qu'une approche que partielle des sujets abordés, comme c'est le cas également en Première.

B: Première : « Le citoyen et la République » !

Derrière le titre « Le Citoyen et la République », le programme vise à mettre « l'accent sur le fonctionnement des institutions et réfléchir sur l'engagement responsable du citoyen ». À l'instar du programme de Seconde en Éducation Civique, trois thèmes sont au choix parmi lesquels : « Droits et devoirs des citoyens » (Le parcours civique, les impôts, la couverture maladie universelle), « Citoyen français, citoyen européen » (Le droit de vote ; La Cour européenne de justice ; acquérir la nationalité française), « Le citoyen et la justice » (Être juré en cour d'assises ; Le droit, la loi, la liberté ; Être citoyen en prison). Des thèmes et des sujets intéressants et qui peuvent dans la grande majorité susciter l'intérêt des adolescents, malheureusement par manque de temps je n'ai pu proposer une séquence sur l'un d'eux, le programme d'Histoire-Géographie en Première étant particulièrement chargé. Je n'ai donc eu l'occasion que d'aborder le thème obligatoire intitulé « La Constitution et l'exercice des pouvoirs ». Ce thème propose trois sujets d'étude : les systèmes électoraux, l'élaboration d'une loi, le rôle du Président de la République. Nous avons étudié avec les élèves les deux premiers au travers d'articles, de schémas et de caricatures autour de la réforme des retraites de 2010. Cet événement permettait à mon sens de bien comprendre les trajets d'un projet de loi jusqu'à sa promulgation : la navette parlementaire, la différence entre projet et proposition de loi. Cette loi, contestée à l'époque, offre la possibilité de voir également au travers des mobilisations syndicales le rôle que peuvent jouer les citoyens dans ce processus d'élaboration en faisant entendre leurs protestations. Un autre moyen de faire entendre sa voix est le droit de vote, ce qui amène à l'étude des systèmes électoraux. Les conditions pour pouvoir voter, les types de scrutins directs et indirects, comment l'élection permet d'élire dans une démocratie représentative ses représentants à diverses échelles. Si l'on parvint à se frayer un chemin entre l'Assemblée Nationale, le Sénat, les Conseils Généraux, Régionaux, les principales préoccupations se portèrent ailleurs. En effet, d'abord sur la question de la loi des retraites, les question posées portaient essentiellement sur la pertinence de la loi, je répondais à celles-ci en exposant les arguments pour la prolongation de la durée du travail et ceux pour la baisse du temps de travail. Puis, sur les systèmes électoraux, les élèves me demandèrent quelle différence y avait-t-il entre la gauche et la droite. Je m'efforçais d'y répondre en traçant au tableau une ligne plaçant chaque parti se présentant régulièrement aux élections selon l'échiquier politique traditionnel. Cela alla du Nouveau Parti Anticapitaliste à gauche au Front National à droite, cependant il était compliqué de mettre une fracture franche entre droite et gauche. Expliquons-nous, dans le cadre du programme de Première, nous avions déjà étudié le premier thème du programme d'Histoire : « Être ouvrier en France (1830-1975) » où le marxisme et la lutte des classes avait été étudiés comme la grille de lecture traditionnelle de ce que l'on nomme la gauche pour représenter les classes populaires. Cette grille de lecture n'est plus celle appliquée par le Parti Socialiste, qui porte pourtant le nom de socialiste, puisque la stratégie est désormais de parler et fédérer les classes moyennes, comme l'indiquait la Fondation Terra Nova. Bien sûr, on pourra objecter que cette analyse est subjective, mais elle met en avant la difficulté dans laquelle l'explication des forces politiques de « gauche » devient aussi complexe au professeur que floue aux élèves. Pour les élèves, la distinction entre les deux partis au pouvoir est incarnée par les personnalités de François Hollande et Nicolas Sarkozy, et s'apparente davantage à une question de personnes que d'idées politiques. Cette absence de clivage idéologique ou factuel n'est pas anodin dans la réflexion que l'on doit porter sur l'enseignement de la citoyenneté aux élèves. Le monde politique via les médias donne un reflet qui n'est guère à son avantage, et les élèves se font l'écho d'un rejet plus large dans la société : « ils sont tous corrompus », « voter ça change rien », des phrases âgées mais qui ont le vent en poupe dans leurs bouches.

Une étude sur les clivages politiques qui peuvent exister, ou pas, entre les partis aurait dès lors parue plus pertinente avant de s'attaquer aux formes permettant de régir les clivages politiques et donner le pouvoir politique au parti majoritaire. Certaines élèves ont d'ailleurs fait part de leur incompréhension face à la non mise en place de la proportionnelle, remarquant à la lecture des résultats du premier tour de l'élection présidentielle que le premier parti ne recueillait « que » 28% des suffrages. La séquence a donc fait place à des questions intéressantes des élèves et suscité des curiosités qui auraient mérité d'être explorées, mais qu'encore une fois le volume horaire de permet pas de satisfaire. L'idéal eut été que par groupes les élèves aillent dans les permanences locales des partis traditionnels leur demander leur programme et ce qu'ils avaient de différent des autres partis. Une mise en commun amenant les élèves à restituer leur travail de terrain et à le soumettre aux avis des autres groupes d'élèves.

C :Vers des croisements disciplinaires.

Les programmes d'Histoire, de Géographie et de Français permettent un certain nombre de croisements avec le programme d’Éducation Civique. Nous allons en donner quelques exemples.

En Seconde , le thème obligatoire d’Éducation Civique, « Droits et devoirs de la communauté éducative » peut voir l'une de ses situations, « le droit d'expression au lycée » se croiser avec des sujets d 'étude d'Histoire comme « La controverse de Valladolid » dans Humanisme et Renaissance. De même, ce sujet d'étude a des échos avec celui d'Histoire « Les Lumières, la Révolution française et l'Europe : les droits de l'Homme, la liberté de conscience, l'égalité des droits », les droits de l'Homme et les principes universels y étant abordés. En outre, dans l'objet d'étude de Français « Des goûts et des couleurs » une des questions principales que l'on doit aborder est : « Comment faire partager ses goûts dans une démarche de dialogue et de respect ? », ce qui peut être une occasion d'évoquer les droits et devoirs de chacun. Le croisement en Géographie est plus complexe, même si des sujets d'étude comme « Nourrir les hommes » ou « L'enjeu énergétique » en appellent aux droits humains d'accès à la nourriture et à l'énergie et invitent les élèves de voir que les habitants de la planète ne sont pas tous égaux face à cela. Un autre sujet d'étude d’Éducation Civique pouvant être abordé de manière transversale est « Le citoyen et les médias » contenant les situations suivantes : « le pouvoir et l'image », « La liberté d'expression et les nouveaux médias », « les sondages d'opinion ». Ce sujet d'étude résonne avec l'objet d'étude de Français « Construction de l'Information » dont les trois questions directrices sont : «  Les médias disent-ils la vérité ? »,  « Comment s’assurer du bien-fondé d’une information? » et « Peut-on vivre sans s’informer ?  ». Dans le contexte actuel de questionnement face aux nouveaux médias fleurissant sur le web, relayant parfois des théories complotistes, le sujet d'étude « Le citoyen et les médias » paraît d'actualité et intéressant à traiter avec les élèves. Le cours de Français, via l'objet d'étude « Construction de l'Information » peut aider à creuser ce sillon. Ainsi, des parallèles avec les situations d'Histoire suivantes peuvent être réalisés « Érasme et l'Europe » (Humanisme et Renaissance) où l'on aborde l'essor de l'imprimerie tout comme le sujet d'étude « Les Lumières, la révolution française et l'Europe : les droits de l'Homme » où l'Encyclopédie comme vecteur d'information à vocation savante mais aussi politique peut être comparée à Wikipédia dénuée de volonté de transformation politique de la société. Cette voie pourra être poursuivie en Première avec l'objet d'étude de « Français » « Les philosophes des Lumières et le combat contre les injustices ».

En Première justement, l’Éducation Civique met l'accent sur le « citoyen », ses droits et devoirs, son appartenance à la France et à l'Europe, face à la justice. Le thème obligatoire « La constitution et l'exercice des pouvoirs » pourrait apparaître comme un aboutissement du programme d'Histoire « État et société en France de 1830 à nos jours » et qui passe en revue l'intégration à la République des ouvriers et des femmes, l'établissement de la laïcité et le passage obscur de la seconde guerre mondiale. Ces moments importants de la vie républicaine française ont été poussés par de nombreuses luttes afin de faire aboutir des droits : droits du travail, droits des femmes, droit d'expression et de séparation du temporel et spirituel, résistance au Régime de Vichy. Pourtant aucune des situations d’Éducation Civique n'amène les élèves à réfléchir sur les luttes et rapports de force dans la société française actuelle. Les situations que l'on peut étudier semblent figées : « les systèmes électoraux », « le rôle du Président de la République » dans « La Constitution et l'exercice des pouvoirs », « Le parcours civique (JAPD) », « Les impôts », « la CMU » dans « Droits et Devoirs des citoyens ». Plus loin, dans l'objet d'étude « Citoyen français, citoyen européen » se trouve « Le droit de vote », « La cour Européenne de Justice », « Acquérir la nationalité française » et enfin, dans le thème « Le citoyen et la justice » « Être juré en cour d'assises », « Le droit, la loi, la liberté » « Être citoyen en prison ». Si cette dernière situation aurait fait sans nul doute plaisir à Michel Foucault, il n'en reste pas moins que ces neuf situations n'ont qu'un intérêt informatif et peu participatif. Cela joue en leur défaveur, et l'objet d'étude de Français « Les philosophes des Lumières et le combat contre les injustices » avec ces deux questions « Une action juste l’est-elle pour tout le monde ? », « Quelles armes littéraires les philosophes des Lumières ont- ils léguées aux générations suivantes pour dénoncer l’injustice ? » paraît plus pertinente pour ancrer des questionnements dans le présent des élèves et construire leur citoyenneté. Il en va de même avec un autre objet d'étude de Français ayant pour question : « En quoi les avancées scientifiques et techniques nécessitent-elles une réflexion individuelle et collective ? », « Le dépassement des limites de l’être humain peut-il faire craindre une perte d’humanité ?  ».

Les croisements disciplinaires permettent donc parfois de pouvoir « étirer » un thème d’Éducation Civique voire de mêler ce dernier avec du Français ou de l'Histoire-Géographie afin de faire de précieuses économies sur le volume horaire annuel. Néanmoins, cela ne suffit pas à pallier les carences criantes de l'enseignement de l’Éducation Civique en Lycée Professionnel.

1BO n°42 du 14 novembre 2013.

1MEN (2013) Rapport Morale laïque-Pour un enseignement laïque de la morale, Mission sur l'enseignement de la morale laïque, Paris.

1MEN (2013) Rapport Morale laïque-Pour un enseignement laïque de la morale, Mission sur l'enseignement de la morale laïque, Paris.

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