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Billet de blog 25 octobre 2015

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Antisémitisme, ou antisionisme ?

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Ami de longue date des communautés juives en général et, plus particulièrement, de celles (traditionnelles et libérale) de Strasbourg, je ne peux que m’attrister de la situation actuelle, qui voit renaître une hostilité ambiante – lorsque ce ne sont pas des gestes criminels particulièrement lâches et odieux - poussant un certain nombre de membres de ces communautés envisager de quitter leur pays, la France, pour émigrer en Israël ou vers d’autres pays qui leur semblent plus accueillants.

C’est ainsi que le rabbin Stephen Berkovitz (1) rappelle qu’ « un nombre croissant de nos coreligionnaires est en train de quitter le pays pour Israël, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada et d'autres destinations, alors que les résultats du FN aux élections européennes confirment la popularité grandissante des idées d'extrême-droite, dont l'antisémitisme, et que 40% des actes racistes commis l'année dernière en France, ont été des actes antisémites. Presque chaque semaine, en France, des juifs religieux sont agressés sur le chemin de la synagogue ou de la maison et dans les transports en commun. »

D’où vient principalement cette hostilité ? Sans doute, d’un vieux fond d’antisémitisme qui n’y est pas étranger, hérité de très nombreuses générations pétries de culture chrétienne, cette communauté étant accusée de descendre des déicides, ceux qui avaient été la cause du martyr et de la crucifixion de Jésus. De plus, empêchés de s’intégrer pleinement dans une société très religieuse, limités à l’exercice de quelques rares professions, beaucoup vivaient en marge, souvent contraints de se replier sur eux-mêmes, faisant leurs affaires entre eux, ce qui n’arrangeait pas l’image de la communauté toute entière auprès du reste de la Société. Les idées politiques de la fin du XIX° siècle et de la première moitié du XX° n’ont évidemment fait qu’amplifier cette situation, jusqu’à aboutir à ce que d’aucuns ont voulu être une Solution finale…

Mais aujourd’hui, après l’horreur absolue de la Shoa et les lois anti-révisionnisme qui, fort heureusement, ont suivi, plus personne n’ose ouvertement remettre en cause l’ignominie de ce sentiment raciste qu’est l’antisémitisme.

Une fois cela dit, il reste un autre sentiment, sans doute bien plus fort, pour expliquer l’hostilité dont se sentent victimes les membres des communautés juives de France en général. Cette cause, tout le monde la connaît : c’est la situation en Palestine, où l’État d’Israël, né d’une idée politique, le Sionisme (professé par Theodor Hertzl à partir de 1893 à Vienne), se conduit chaque jour davantage comme un État dont les media nous informent quasi-quotidiennement des actes répressifs qu’il fait subir à des populations civiles, au nom de la lutte contre un terrorisme né lui-même de cette situation.

Ces faits sont évidemment exploités par des individus au fanatisme borné, prompts à convertir à leurs idées extrémistes des jeunes nés en France, eux-mêmes ou leurs parents étant souvent d’origine étrangère, se sentant désemparés par le rejet qu’ils ressentent de la part  d’une société pétrie de préjugés et en proie à une double crise de l’économie et des idées.

Que l’on s’entende bien. Il ne s’agit pas ici de soutenir la thèse du terrorisme fanatique pratiqué par un certain nombre de Palestiniens extrémistes, qui  consiste à semer la mort au sein de populations israëliennes, elles-mêmes civile et innocentes. Pas plus qu’il ne s’agit de minimiser les actes inqualifiables commis en France ou en Belgique contre des êtres totalement étrangers à la situation géopolitique du Proche-Orient. Mais il s’agit de reconnaître que, quelle que soient les motivations qui ont conduit à la création de l’État d’Israël, la conquête de terres qui étaient jusqu’ici propriété d’autrui, accompagnée du cortège militaire qui s’en est suivi, ne pouvait que servir de terreau fertile à l’amertume et au désespoir de ceux qui ont eu à la subir. On connaît la suite : tentatives militaires contre Israël, victoires éclatantes de Tsahal, l’armée israëlienne, sur ses assaillants (ou sur de futurs assaillants, comme en 1967), colonisation sauvage de la part d’Israëliens mûs par leur foi tout autant que par leur envie de possession territoriale, soutien par l’État de cette colonisation – quand il ne l’encourage pas directement – politique du fait accompli, intifada et répression sauvage de cette « guerre des pierres », etc, etc. La liste d’une histoire si mouvementée, vieille d’à peine 64 ans, serait bien trop longue pour être rappelée en quelques lignes.

Aujourd’hui, la Palestine est considérée comme une terre « concédée » aux Palestiniens par beaucoup en Israël. Ce mêmes Palestiniens sont réduits à une communauté mineure (qualifiée officiellement d’ « Autorité »), privée des institutions étatiques qui lui permettraient de siéger dans le concert des nations, privée de la reconnaissance internationale due à un État, privée de représentations diplomatiques dignes de ce nom, privée de relations économiques directes avec l’extérieur (même les taxes qui lui sont dues passent par l’administration israëlienne qui peut s’en servir comme moyen de pression à tout moment), privée d’armée… bref : de tout ce qui fait un État indépendant et maître de son destin. Comment imaginer que tant de ses ressortissants, réduits à la misère et au désœuvrement, n’en conçoivent un sentiment d’impuissance en même temps qu’une haine féroce face à celui qu’il ressentent comme un occupant particulièrement dur et injuste. Tout ceci est évidemment pain béni pour ces prêcheurs fanatiques qui leur promettent le soutien de la religion dans leur combat contre l’oppresseur. Le basculement entre politique et religieux se fait alors rapidement, favorisé par une situation où le dénuement et le désespoir viennent occulter encore plus la réflexion et la raison.

Quel rapport avec les membres des communautés juives ? C’est là tout le problème.

Israël est sans nul doute ce qui représente l’idéal à la fois religieux et identitaire pour la très grande majorité de ceux qui pratiquent la religion juive. À ce propos, Shlomo Sand rappelle dans son livre « Comment le  peuple juif fut inventé » (2) qu’Israël, État et non pas nation, précise au passage la différence fondamentale entre l’un et l’autre de ces concepts forts et développe la thèse d’un judaïsme prosélyte durant l’Histoire universelle, expliquant par là la diaspora actuelle disséminée dans le monde comme résultant de conversions multiples à travers les siècles.
Or, un idéal, cela ne se remet jamais en cause et, surtout, cela ne prête pas à discussion. Quels que soient les gouvernements qui se succèdent à la tête de l’État hébreu (qui est, rappelons-le, totalement et véritablement démocratique), quelles que soient les décisions qu’il prend et qu’il applique, quelles qu’en soient les conséquences sur ces voisins et sur l’image qu’il renvoie à l’opinion publique mondiale, rien ne viendra faire dévier les communautés juives du Monde entier de leur soutien indéfectible. Pas de remise en cause, pas de critique, pas de commentaires. Ce soutien est un tabou, quoi que puisse faire ou ne pas faire Israël.  Comment ne pas évoquer à ce propos le souvenir du loyalisme fanatique des Communistes européens à l’URSS, même aux pires moments de sa dictature criminelle ?

Que des juifs prennent (rarement de manière tonitruante, il est malheureusement vrai) des positions fortes, critiquant la politique coloniale et répressive d'un pays qui a démocratiquement élu un gouvernement d'une droite dont l'extrémisme est une des composantes officielles, il n'y a pas à le nier. Mais de position officielle d'une communauté qui soutient ouvertement l'existence de cet État, il n'y en a que pour le soutenir, quelque décision qu'il prenne et quelque répression qu'il engage. Au nom de la sauvegarde d'un Israël qui serait en permanence menacé de disparition face à des ennemis nombreux et déterminés, alors qu'il s'agit d'un État fort militairement, économiquement et surtout politiquement, armé et soutenu qu'il est par le plus puissant des alliés : les États-Unis.

Il ne saurait être question de symétrie entre la puissance militaire d'un Israël doté des armes les plus diverses et les plus modernes qui soient, d'une part et, de l'autre un fanatisme terroriste armé de pierres et de couteaux, que cette puissance a suscités et exacerbe chaque jour par ses exactions et répressions incessantes menées depuis sa création.

Le soutien que lui apportent les communautés juives du monde entier et de la France en particulier est la marque d’une adhésion inconditionelle à la politique d’Israël pour beaucoup de non-Juifs, au motif du « Qui ne dit mot, consent ».

Et si, de l'autre côté, les institutions tout à fait honorables qui ont été mise en place pour défendre les membres de ces communautés contre l'antisémtisme cité plus haut sont promptes à amalgamer antisionisme et antisémitisme, elles prennent le risque par là de susciter elles-mêmes l'amalgame entre sionisme et prosémitisme. Une politique de pompier pyromane, en quelque sorte.

Les conséquences de la situation de la Palestine face à Israël ont hélas entraîné naturellement des répercussions dans le monde entier, générant des prises de positions tranchées et sans nuances auprès de communautés qui ont vu là prétexte à renforcer leur sentiment identitaire, jusqu’à l’affrontement. Au soutien inconditionnel des communautés juives pour Israël, répond un antagonisme indifférencié de la part d’autres communautés, avec le lot inévitable de réactions extrêmes et injustifiables de la part de leurs éléments les plus extrêmistes.

Ce soutien, enfin, est à l’évidence un argument irréfutable qui peut justifier, aux yeux de tous ceux qui ont du mal à évacuer ce vieux fond d’antisémitisme dont il est question plus haut, une hostilité qu’ils jugent légitime envers leurs concitoyens qui portent la kippa, qui fêtent le shabbat, qui suivent l’enseignement communautaire, qui tiennent ou visitent un lieu de culture juive… bref, qui revendiquent une identité réputée constituer un soutien non négociable à l’Etat d’Israël. En cela, ils donnent crédit à tous ceux qui s’empressent, de leur côté, à assimiler immédiatement antisionisme et antisémitisme. Car autant le premier ne peut prêter à critique, car étant une opinion  politique, l’autre, cela va de soi, est hautement condamnable et justement puni par la loi.

Il est vrai, comme le pointe justement Boas Evron dans son article paru dans le Monde diplomatique en 1983 : « Le terme sionisme, comme celui de socialisme, est l’un des plus vague et l’un des plus controversé du vocabulaire politique moderne et son sens varie selon le pouvoir de persuasion de celui qui l’utilise » (3). C’est par conséquent un terme tout trouvé sur lequel va s’effectuer un consensus pervers pour, chez les uns, qualifier cette hostilité dirigée contre ceux qui soutiennent Israël quelles que soient ses actions colonisatrices et répressives, et pour les autres, accuser les premiers de parer leur antisémitisme d’un antisionisme de façade qui n’est rien d’autre que du racisme revêtu des oripeaux de la respectabilité.

À ces maux, quel(s) remède(s) ? Il ne serait pas sérieux ni crédible que d’oser une solution ici.

Même la sémantique la plus fine ne saurait rendre justice à un terme qui a été si souvent tordu par les uns, déformé par les autres, affublé d’un sens que son origine floue ne permet visiblement pas de fixer avec précision.

De même, il n’est pas pensable de parvenir à convaincre tant de nos concitoyens de confession juive, qui ont du mal à trancher entre religion et identité nationale, de ce qu’appartenir à la communauté juive n’impose pas de soutenir la politique d’un État, quel qu’il soit, même s’il incarne l’idéal politique de sa religion.

Mais c’est sans doute tout d’abord aux responsables religieux (le nouveau Grand rabbin de France et les instances dirigeantes de la communauté juive libérale) d’accepter de s’engager dans la lente et difficile voie de la pédagogie et de l’appel à la réflexion de leurs membres, au travers des institutions décentralisées qui œuvrent en Province et qui administrent les communautés locales. Et non pas, comme c’est le cas actuellement, d’appeler à manifester un soutien inconditionnel à l’État d’Israël dans sa campagne militaire destructrice contre la population Gazaoui (cf appel du CRIF à la manifestation parisienne du 30 juillet dernier), confondant une fois de plus religion et politique étrangère.
C’est aussi aux politiques qui nous gouvernent et qui rappellent régulièrement leur amitié indéfectible envers l’État d’Israël, de ne pas confondre, de leur côté, électoralisme et politique étrangère, en acceptant de porter une même critique pour des actes de même nature, quelle que soient les pays et les amitiés entretenues au niveau international. C’est bien connu : on accepte mieux les critiques de ses amis que de ses ennemis.

Enfin et peut-être pourrait-on aussi se demander si, plutôt qu’utiliser le terme de Juifs de France, on ne devrait pas commencer par parler de Français de confession juive, comme on parle de Français de confession chrétienne ou de confession musulmane, ce qui permettrait de reconnaître systématiquement la prééminence pour tous du sentiment national sur celui de sa confession, quelle que soit la religion ou la non-religion revendiquée.

Utopie ? Sans doute pour l’instant. Mais les idées sont têtues. On ne fera disparaître le terrorisme que lorsqu’on aura rétabli l’espoir. L’espoir en une justice qui donne les mêmes droits et les mêmes devoir à chacun, quelle que soit sa puissance militaire et sa richesse économique. Sans cela, le terrorisme restera une histoire sans fin, au nom de concepts et de convictions irréconciliables. Pour le malheur de tous.

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(1) sur le site http://www.fait-religieux.com

(2) Éditions Fayard – 2013
  Lire aussi un résumé sur http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205

(3) http://www.monde-diplomatique.fr/1983/03/EVRON/37257

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