François VALLET

Ingénieur en génie climatique, énergétique et environnement

Abonné·e de Mediapart

25 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 janvier 2025

François VALLET

Ingénieur en génie climatique, énergétique et environnement

Abonné·e de Mediapart

Nucléaire, débats publics, dégâts publics (2)

En France, pays de l'atome roi, tout débat public à propos de l'industrie nucléaire civile et militaire est oblitéré par le « fait du prince ». Pour y résister il faut dénoncer ses mensonges. Parmi ceux-ci, il y a « la compétitivité du nucléaire ».

François VALLET

Ingénieur en génie climatique, énergétique et environnement

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Françatomique et dégâts  publics

En 1974, après le premier « choc-pétrolier », le premier ministre Pierre Messmer confirmait le lancement d’un programme de construction de 200 réacteurs nucléaires à horizon 2000. Ils devaient nous affranchir de la dépendance au pétrole et assurer l’indépendance énergétique de la France, dont la consommation électrique était supposée doubler tous les dix ans. EDF était alors en situation de quasi-monopole pour la production, le transport, la distribution et la commercialisation d’électricité en France, qu’il s’agissait de nucléariser en moins de 25 ans. Ce fut fait à l’aide de technologies états-uniennes (après quelques tergiversations c’est la technologie et la licence Westinghouse qui avaient été retenues). Mais 59 réacteurs, au lieu des 200 prévus, furent construits durant cette période (parmi ceux-ci, le seul de technologie française, Superphénix, fut arrêté 13 ans après sa mise en service suite à de nombreux incidents techniques).

Pour financer ce programme l’État augmenta le capital d’EDF et celle-ci, dont l’autofinancement était insuffisant, s’endetta durablement par des emprunts internationaux garantis par l’État. Des accords de fourniture d’électricité à long terme furent aussi signés avec la Suisse en contrepartie du financement d’une partie des constructions des réacteurs du Bugey, de Fessenheim et de Cattenom. Pour rembourser ses emprunts EDF devait aussi augmenter très significativement ses ventes d’électricité, c’est-à-dire ses exportations et les consommations intérieures. Pour ces dernières ce fut fait par le développement progressif et massif de nouveaux usages de l’électricité. Le chauffage électrique, bénéficia alors de dispositions favorables inscrites dans les réglementations thermiques successives pour les constructions neuves. De fortes incitations et des campagnes publicitaires furent organisées par EDF pour pousser ce mode de chauffage et tous les usages thermiques de l’électricité dans les logements, l’industrie et le tertiaire. Le mode de fixation des prix échappait alors aux « dures lois du marché ». L’État et EDF avaient toute liberté pour fixer les tarifs au niveau qui leur convenait. Avec l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence, à partir de 1999, pour les entreprises, puis du 1er juillet 2007, pour les particuliers, le « système de fixation des prix » était radicalement changé pour s’inscrire dans le cadre européen. En 2004 EDF, qui était depuis 1945 un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), était transformée en Société Anonyme détenue très majoritairement par l’État. Mais le système de production et de consommation français restait focalisé sur le nucléaire. Tout était donc changé pour que rien ne change hormis la dette d’EDF et de l’État français qui n’ont fait qu’augmenter.

 Non seulement ce choix politique n’a pas augmenté l’indépendance énergétique (son taux a été divisé par 1,71 entre 1973 et 2020), mais la France est aussi devenue un des cancres de l’Europe pour la part de sa production électrique par les énergies renouvelables et pour la « thermo-sensibilité ». Le chauffage électrique, qui en est la cause essentielle, a rendu la France dépendante de ses voisins européens pour son approvisionnement lors des périodes de forte consommation liées aux épisodes de froid. Dépendance confirmée début 2022 et renforcée lors de l’été, du fait du cumul de plusieurs aléas qui n’avaient pas été anticipés alors qu’ils étaient pourtant parfaitement prévisibles. Cette année-là, les défaillances techniques de la production nucléaire (notamment les « corrosions sous contrainte »), sa très forte sensibilité aux crises, sanitaires et géopolitiques, son inadaptation aux canicules, ont coûté près de 72 milliards d’euros à l’État français (44 milliards d'euros de mesures diverses de «protection des consommateurs et des fournisseurs», 18 milliards d'euros de déficit d’EDF c’est à dire de l’État actionnaire unique et 10 milliards d'euros de rachat de titres d’EDF pour éviter sa faillite). Ce n’est probablement qu’un avant-goût de la « valse des milliards », pour financer le « nouveau nucléaire », annoncée le 21 juillet 2022 par les ministres concernés à l’occasion d’une question d’un sénateur au gouvernement. Cette annonce portait un nouveau coup à la démocratie puisqu’elle intervenait, au mépris de la loi, avant tout débat public et avant toute discussion parlementaire sur la loi de programmation énergie climat (LPEC). Loi finalement abandonnée par le gouvernement, début 2024, en violation de l’article L100-1A du Code de l’énergie.

Coûts du nucléaire, prix de l’électricité, dette publique

 La dette publique est un facteur d’instabilité politique dès lors que son financement aggrave le déséquilibre budgétaire et conduit, soit à augmenter les impôts, soit à réduire les services publics, soit les deux à la fois. On vient de le constater avec la censure du gouvernement. Avant sa chute, le gouvernement Barnier prévoyait dans son projet de budget 2025 une hausse des taxes sur l’électricité pour faire face à l’augmentation très forte de la dette publique. Il prévoyait aussi, à partir de 2026, la « mise en place d’un partage avec les consommateurs des revenus du nucléaire historique » (article 4 du Projet de loi de finance pour 2025).

Or, soit le nucléaire historique dégage des revenus et l’État, désormais propriétaire à 100 % de l’entreprise, pourrait les utiliser pour réduire la dette publique et éviter d’augmenter les taxes sur l’électricité. Soit il n’y en a pas et dans ce cas il faudrait le dire et expliquer clairement ce qu’il s’est passé.

 Pour comprendre d’où vient cette histoire de « revenus du nucléaire historique » un bref retour en arrière est nécessaire. À partir de 1999 trois mécanismes principaux ont été mis en œuvre pour tenter de maîtriser les coûts de production et les prix de l’électricité vendue aux clients finals tout en évitant d’augmenter la dette publique : l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence, la création de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) et le tarif réglementé de vente de l’électricité (TRVE). Ils sont fondés sur le postulat que le « parc électronucléaire » français produit de l’électricité à un coût compétitif, par rapport aux autres moyens de production, et qu’il convient donc d’en faire bénéficier les français qui ont contribué à le financer (le dispositif de l’ARENH pouvant s’apparenter à une subvention déguisée sa durée a été limitée au 31 décembre 2025).

Or rien ne prouve la compétitivité de la production nucléaire d’électricité. Un rapport de la Cour des Comptes de 2021, « L’analyse des coûts du système de production électrique en France », présente un tableau de coûts de production d’électricité, extraits de données de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), pour différentes technologies et régions du monde (tableau n°6 page 41). Pour l’année 2020, dans l’Union Européenne, le coût de production de l’électricité nucléaire est moins élevé que celui du charbon mais plus élevé que tous les autres moyens de production, y compris le gaz. Le coût de production de l’éolien et du photovoltaïque est plus de deux fois plus faible que celui du nucléaire. Dans ce même rapport et dans sa « Conclusion intermédiaire » (page 43) la Cour des Comptes indique aussi que les coûts de production du nucléaire et de l’hydraulique sont beaucoup moins bien documentés que ceux des filières en développement (éolien terrestre et photovoltaïque). Cependant, en utilisant sa propre méthode de calcul (« Cour 2012-2014 »), la Cour des Comptes aboutit à un coût de production, pour le nucléaire français existant et pour l’année 2019, de 64,8 €/MWh et même de 68,4 €/MWh en prenant en compte les coûts de « post-exploitation » (tableau 1 page 23 du rapport). Ce coût de production est donc supérieur au tarif ARENH, fixé à 42 €/MWh depuis le 1er janvier 2012. Pourtant c’est sur cette base que la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) détermine le coût de fourniture d’électricité nécessaire au calcul du TRVE. Dans les conditions actuelles il ne permet donc pas de couvrir les coûts de production du nucléaire historique. Il ne permet pas non plus de couvrir les coûts des « aléas » de la production nucléaire. C’est pourquoi le gouvernement Barnier avait prévu « en même temps » de changer les règles de fixation des prix et d’augmenter les taxes sur l’électricité.

 La production d’électricité nucléaire, dont le coût prétendument bas devait garantir un prix bas pour les consommateurs français, a conduit à une réduction de l’indépendance énergétique et à une augmentation de la dette publique. Tandis que la grande majorité des français en subit les déficits, c’est une petite minorité qui profite de la «manne nucléaire». Ce sont les mêmes qui veulent la construction de nouveaux réacteurs, quel qu’en soit le coût pour les finances publiques et pour les consommateurs d’électricité. Ce sont aussi les mêmes qui veulent la financer par un prêt à taux zéro de l’Etat à EDF, c’est-à-dire par une aggravation de la dette publique.

Résistance à la Françatomique et débat public

 Du 28 janvier au 15 mai 2025, un débat public est prévu sur le projet d’EDF de construire une paire d’EPR au Bugey. Il sera organisé à la demande d’EDF par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP).

Plusieurs organisations de la région opposées au projet, mais aussi à la poursuite de l’exploitation des réacteurs nucléaires du Bugey qui ont dépassé l’âge canonique, ont participé depuis plus de 10 ans aux enquêtes publiques, débats publics, concertations en tous genres, sans être entendues jusqu’à présent. Elles ont publié des études, des lettres ouvertes, des « cahiers d’acteurs » et organisé de nombreuses réunions publiques pour faire connaître leurs analyses. Des groupes d’élus ont également manifesté leur opposition au projet d’EPR sur le site du Bugey.

Ils ont besoin d’être soutenus pour éviter que notre pays s’enfonce dans la dette et qu’à la catastrophe économique s’ajoute une nouvelle catastrophe nucléaire.

Pour plus d’informations

Coordination Stop Bugey : https://www.stop-bugey.org/

Collectif national Arrêt du nucléaire : http://collectif-adn.fr/#cout-du-nucleaire

Article de blog : Coût du nucléaire, prix de l’électricité, dette publique

https://blogs.mediapart.fr/francois-vallet/blog/251024/cout-du-nucleaire-prix-de-l-electricite-dette-publique

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.