Nous avons tous cru à sa culpabilité. Le crime était si horrible. La « présumée victime » était si vulnérable. Le « présumé coupable » avait « cette tête patibulaire mais presque » chère à Coluche. Il mentait c'était pourtant évident. Il fallait le juger au plus vite et le condamner. La justice ne va jamais assez vite...
De qui s'agit-il ? D'un Dominique Strauss-Kahn, d'un Georges Tron, d'un des condamnés de l'affaire dite d'Outreau, ou d'un inconnu qui, un jour, impliqué dans une affaire pénale voit brutalement son identité et son image se déverser dans la presse, à la télévision et sur Internet. Il faut avoir un moral d'acier pour tenir si l'on est innocent ou si l'on est un enfant ou un parent de celui qui est ainsi désigné. Devons-nous désormais attendre un suicide pour modifier la loi ? La presse va-t-elle enfin faire son mea culpa ? Le droit à l'information ne doit-il pas enfin s'incliner devant la présomption d'innocence ?La frustration de l'attente
Nous vivons dans l'instantanéité. Nous voulons tout savoir tout de suite. La frustration de l'attente est devenue intolérable. Sommes-nous malades que nous voulons obtenir au plus vite les résultats d'analyses afin de lever nos légitimes inquiétudes. Un crime vient de se produire que nous sommes déjà las d'attendre une condamnation impitoyable et immédiate. La lecture des réactions des lecteurs anonymes sur les sites d'information est ici remarquablement révélatrice. L'information sensationnelle doit être diffusée au plus vite pour la satisfaction de tous.
La presse a diffusé sans état d'âme l'image de DSK menotté et entouré de policiers entre sa sortie du local de police et le véhicule qui devait le conduire l'on ne sait où, à l'occasion de ce que les anglo-saxons nomment le « perp walk » (la marche de celui qui a perpétré l'acte). Le droit à l'information en servait d'unique fondement officiel.Le floutage flottant
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a alors « appelé les chaînes à la plus grande retenue dans la diffusion d'images de personnes mises en cause dans une procédure pénale » en rappelant les dispositions de la loi n°200-515 du 15 juin 2000.
En réalité le CSA faisait ici référence à l'ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 qui a modifié la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et son article 35 ter ainsi rédigé : « I. - Lorsqu'elle est réalisée sans l'accord de l'intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire, est punie de 15 000 euros d'amende (...) »
D'où parfois certaines images où l'on voit celui qui sort d'une garde à vue de 48 heures, sale et débraillé, les mains croisées sur lesquelles flotte un « floutage » totalement inutile puisque l'on devine, l'on sait que celui-là est menotté.
Une différence de traitement
Le « présumé coupable » est moins bien traité que la victime. Il n'avait qu'à bien se tenir...
S'agissant de la victime l'article 35 quater de la loi dispose ainsi : « La diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de la reproduction des circonstances d'un crime ou d'un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d'une victime et qu'elle est réalisée sans l'accord de cette dernière, est punie de 15 000 euros d'amende. »
L'article 39 bis : « Est puni de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser, de quelque manière que ce soit, des informations relatives à l'identité ou permettant l'identification :(...) - d'un mineur victime d'une infraction. »
L'article 39 quinquies « Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelles ou l'image de cette victime lorsqu'elle est identifiable est puni de 15 000 euros d'amende. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque la victime a donné son accord écrit. »
Le « présumé coupable »
Chaque terminologie a un sens bien précis.
Nous oublions que le "présumé coupable" n'est autre en réalité qu'un présumé innocent. La "présumée victime" n'est juridiquement qu'une victime ou un plaignant selon que le dommage est ou non avéré.
L'article préliminaire du Code de procédure pénale énonce : « (...) III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi (...) »Ce droit est déjà garanti par l'article 6§2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme :« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
Une réforme indispensable
Or en l'état de ces textes le présumé innocent peut voir sa dignité pulvérisée par la révélation de son identité et de son image. Gardons à l'esprit que cette situation peut arriver à n'importe qui.
Un député aura-t-il enfin l'idée de déposer une proposition de loi complétant la loi du 29 juillet 1881 d'un article pouvant être ainsi rédigé (sur le modèle existant en faveur des victimes) :
« Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, des renseignements concernant l'identité d'une personne impliquée à un titre quelconque dans une affaire criminelle ou correctionnelle sans que sa culpabilité ait été établie ou l'image de cette personne lorsqu'elle est identifiable, est puni de 15 000 euros d'amende. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque la personne concernée a donné son accord écrit. »
Il sera parfaitement loisible à la presse de rendre compte des audiences et des propos ou de l'attitude de celui qui est poursuivi. Mais il sera alors nécessaire d'attendre le verdict pour connaître son identité. Si celui-ci est innocenté il aura alors pleinement bénéficié de la présomption d'innocence.
Au moins que le débat soit enfin ouvert sans attendre un drame.