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Billet de blog 7 février 2024

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Le rejet d’une définition européenne du viol : une régression ?

Si l’on se donne la peine de reprendre posément les textes dont il est question ainsi que les règles applicables en droit interne l’on constatera que l’on évite, peut-être, une future catastrophe industrielle pour les victimes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le rejet de l’adoption d’une disposition contenue dans une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a généré de vives réactions qu’il est inutile d’énumérer ici (Loi européenne sur le viol : pour les ONG, la France n’a pas été « à la hauteur », Zeina Kovacs, Mediapart). 

Le texte en question 

Pour autant, dans les nombreux articles publiés, aucune place n’a été donnée aux difficultés qui auraient été générées, dans notre droit interne, par un tel texte. D’ailleurs s’il a été dit et répété que celui-ci était axé sur la notion de "consentement", le texte contesté n’a fait l’objet que de très rares publications. Il s'agit de celui-ci (source) :

"Article 5 :

Viol

1. Les États membres veillent à ce que les comportements intentionnels suivants soient passibles de sanctions en tant qu’infractions pénales :

(a) le fait de se livrer avec une femme à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet ;

(b) le fait de contraindre une femme à se livrer avec une autre personne à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet.

2. Les États membres veillent à ce qu’on entende par acte non consenti un acte accompli sans que la femme ait donné son consentement volontairement ou dans une situation où la femme n’est pas en mesure de se forger une volonté libre en raison de son état physique ou mental, par exemple parce qu’elle est inconsciente, ivre, endormie, malade, blessée physiquement ou handicapée, et où cette incapacité à se forger une volonté libre est exploitée.

3. Le consentement peut être retiré à tout moment au cours de l’acte. L’absence de consentement ne peut être réfutée exclusivement par le silence de la femme, son absence de résistance verbale ou physique ou son comportement sexuel passé."

Le droit français

Son adoption aurait amené la France à devoir réécrire l’incrimination de viol dans son code pénal. Celle-ci est constituée de deux séries de dispositions.

En premier lieu, il existe les textes généraux qui prévoient trois types de viol :

- Le crime de viol par violence, contrainte, menace ou surprise, défini à l’article 222-23, alinéa 1, du code pénal (ici) :

"Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol."

- Le crime de viol sur mineur de quinze ans (= mineur jusqu’à 14 ans compris) par un majeur dont la différence d'âge est d'au moins cinq ans, édicté par l’article 222-23-1 (ici) :

"Hors le cas prévu à l'article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d'un mineur de quinze ans ou commis sur l'auteur par le mineur, lorsque la différence d'âge entre le majeur et le mineur est d'au moins cinq ans.

La condition de différence d'âge prévue au premier alinéa du présent article n'est pas applicable si les faits sont commis en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage."

- Enfin, le viol incestueux prévu à l’article 222-23-2 (ici) :

"Hors le cas prévu à l'article 222-23, constitue un viol incestueux tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d'un mineur ou commis sur l'auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l'article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait."

En second lieu, d’autres textes viennent compléter ces définitions.

L’article 222-22, alinéa 2, (ici) énonce que "le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage."

L’article 222-22-1 (ici) précise que "la contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale" et que "lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur, la contrainte morale (…) ou la surprise (…) peuvent résulter de la différence d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci a sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur majeur." Il ajoute que "lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes."

Le risque juridique

Outre le fait que l’article contesté de la proposition de directive ne mentionnait que les seules femmes victimes, ce qui serait impossible en droit interne, ses définitions, uniquement fondées sur la notion de consentement auraient imposé au législateur de réécrire toute une partie du code pénal, dont les textes qui viennent d’être cités.

Mais viser la notion de consentement risquait de restreindre le champ des poursuites, voire d’en effacer certaines.

Notre droit actuel sous-entend déjà l’existence de ce consentement. Un acte commis par "violence, contrainte, menace ou surprise" implique nécessairement l’absence de consentement. La définition française va même au-delà. Insérer la notion de consentement écarterait du champ de la répression des faits commis par "violence, contrainte, menace ou surprise" et dont il aurait été soutenu qu’ils aient pu faire l’objet d’un quelconque consentement. 

L’article 222-22 du code pénal vise lui-même des faits "imposés à la victime" ce qui implique, là encore, une notion de consentement.

S’agissant des victimes mineures de quinze ans (jusqu’à l’âge de 14 ans compris), le texte actuel est général, le simple acte de nature sexuel est un crime dès lors que la différence d’âge est d’au moins cinq ans avec l’auteur majeur. Ce texte qui a été critiqué par la doctrine a été validé par le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., 21 juill. 2023, n° 2023-1058 QPC).

La même observation pourrait être développée s’agissant du viol incestueux.

Sauf à les exclure d'une réforme, ces deux types de crimes auraient pu être fragilisés par une nouvelle définition axée sur la notion de consentement.

Une réécriture des textes, par une reprise de la définition complexe et tortueuse de celle prévue dans la proposition de directive aurait généré un risque juridique majeur pour les victimes.

Notre droit pénal est d’interprétation stricte au regard du "principe de légalité des délits et des peines" également nommé "principe de légalité criminelle". Ce principe résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (ici). Il impose au législateur de définir de manière précise, et donc concise, toute définition d’une infraction pénale.

Bien plus, devant les cours d’assises ou les cours criminelles départementales, une définition basée sur la seule notion de consentement aurait ouvert la voie à des débats sans fin, là où la jurisprudence est parfaitement établie sur les notions de "violence, contrainte, menace ou surprise".

En d’autres termes, loin de protéger les victimes, de nouveaux textes auraient pu les fragiliser dans la reconnaissance des crimes qu’elles ont subis.

Le triste précédent de 2012

On a d’ailleurs oublié qu’il existe un précédent lorsque le législateur entreprit, il y a plusieurs années, de réécrire la définition du délit d’harcèlement sexuel.

Le 4 mai 2012 le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC visant cette nouvelle définition, la jugea imprécise et contraire à la Constitution (Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC). .

Il y eut un vide juridique pour tous les dossiers en cours jusqu’à l’adoption, en urgence, d’un nouveau texte par une loi n° 2012-954 du 6 août 2012 (ici). 

Pour autant, tous les faits antérieurs à la publication de cette loi ne purent être poursuivis ou aboutirent à des relaxes.

Une catastrophe industrielle pour toutes les victimes qui furent laissées bien seules.

Un crime sur deux est un viol

En 2022, les cours d’assises et les cours criminelles départementales ont prononcé 2 400 arrêts de condamnation pour crimes, dont 1 205 pour des viols, en pratique au bout de plusieurs années de procédure (ici). Un crime sur deux est un viol et et le chiffre noir reste important.

S’il existe des réformes à engager, elles ne peuvent passer que par une augmentation des moyens donnés à la police judiciaire (la police de la justice) et à la justice elle-même.

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