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La France a connu depuis la Révolution plusieurs constitutions successives aux philosophies parfois bien différentes et même opposées. Notre histoire nous rappelle d’ailleurs combien notre démocratie reste très fragile, qu’il s’agisse du régime de l’Etat français sous le Maréchal Pétain voire certains épisodes qui ont émaillé les débuts de la Ve République. Nos institutions ont toujours été marquées par une séparation des pouvoirs très limitée voire inexistante. Nous n’avons ainsi jamais connu de pouvoir judiciaire indépendant. Notre Constitution actuelle prend soin de ne viser qu’une simple autorité judiciaire et non un pouvoir judiciaire. Dans les périodes troubles de notre histoire cette autorité judiciaire s’est parfois « couchée » devant le pouvoir exécutif. La République s’est alors effondrée.
De l’autre côté de l’Atlantique la vieille Constitution des Etats-Unis, même amendée, s’applique depuis 1789. Elle ressemble à un antique mécanisme d’horlogerie dont les contrepoids propres à éviter tout emballement peuvent se remettre à fonctionner, à tout moment, sans connaître le moindre grippage.
Cette Constitution est marquée, dans le plan de sa rédaction, par une division nette et absolue entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Mais ces trois pouvoirs peuvent aussi se contrebalancer entre eux.
L’ordonnance de suspension temporaire (ou TRO pour Temporary Restraining Order) prise le 3 février 2017 par un juge fédéral en est une illustration.
1. Retour sur l’Executive Order du 27 janvier 2017
Le 27 janvier 2017 le président Donald J. Trump, à peine investi dans ses fonctions, a signé une Ordonnance (Executive Order), conforme à ses promesses de campagne, et ayant pour effet immédiat d’interdire aux citoyens de sept pays, essentiellement arabo-musulmans, tout accès au territoire américain. Cette décision a entraîné dans les heures et jours qui ont suivi non seulement une panique dans les aéroports mais également des refoulements de voyageurs pourtant régulièrement titulaires de visa. Bon nombre de travailleurs, d’enseignants, de chercheurs ou d’étudiants qui avaient eu le malheur de quitter temporairement les Etats-Unis n’ont pu y retourner.
2. La transparence totale de la procédure
Le 30 janvier 2017 l’Etat de Washington a été amené à engager un recours juridictionnel contre l’Ordonnance présidentielle. L’Etat du Minnessota s’est joint à ce recours qui a été porté devant le juge fédéral James L. Robart.
Ce haut magistrat, connu moins pour le nœud-papillon qui dépasse souvent de sa robe que pour sa profonde humanité et un sens absolu de la justice, a été nommé par le président George W. Bush et confirmé alors dans ses fonctions par le tout aussi républicain Sénat des Etats-Unis.
En attendant un débat sur le fond même de ce recours qui devra avoir lieu, tôt ou tard devant lui, une audience a eu lieu le 3 février 2017 à l’issue de laquelle il a suspendu temporairement cette Ordonnance.
Toutes proportions gardées il s’agit d’une sorte de référé-suspension tel que le connait notre contentieux administratif. Au final le juge fédéral a décidé que sa décision de suspension devait avoir une portée générale sur l’ensemble du territoire américain et non pas limitée aux territoires des deux Etats appelants.
Un premier recours en urgence contre cette suspension judiciaire a échoué. Un second est en cours devant les United States Courts for the Ninth Circuit territorialement compétentes pour les Etats de la côte Ouest. Les débats ont eu lieu mardi après-midi à San Francisco et la décision devrait être connue dans les prochains jours.
A la différence de ce que nous connaissons en France tous ces débats ont lieu dans une transparence totale.
Le site des United States Courts for the Ninth Circuit permet d’avoir accès au calendrier de procédure, aux mémoires et aux éléments de preuve versés aux débats.
Les Etats d’Hawaii, de Pennsylvanie, du Massachusetts, de New York, de Californie, du Connecticut, du Delaware, de l’Illinois, de l’Iowa, du Maine, du Maryland, de New Hampshire, du Nouveau Mexique, de la Caroline du Nord, de l’Oregon, de Rhode Island, du Vermont, de Virginie, et du District of Columbia ont déposé des mémoires afin de soutenir la décision du juge fédéral.
Même si ces 19 Etats ne sont pas considérés comme parties prenantes à la procédure leur soutien n’est pas ici dénué d’intérêt.
Les Etats de Washington et du Minnessota qui sont les deux parties considérées comme appelantes sont représentés par leurs procureurs généraux qui sont ainsi à la manœuvre de ce bras de fer judiciaire absolument inédit soutenu par près de la moitié des Etats fédéraux.
Ce lundi un nouvel élément de preuve a été mis en ligne. Il s’agit d’une déclaration officielle signée notamment par les anciens secrétaires d’Etat Madeleine Albright et John Kerry et par d’anciens responsables de la CIA (Central Intelligence Agency) ou de la NSA (National Security Agency).
L’on peut y lire – notamment - les phrases suivantes :
« Nous avons collectivement consacré des décennies à la lutte contre les diverses menaces terroristes auxquelles les États-Unis sont confrontés dans un monde dynamique et dangereux (…)
Nous sommes tous d'accord sur le fait que les États-Unis font face à des menaces réelles provenant de réseaux terroristes et qu’ils doivent prendre toutes les mesures prudentes et efficaces pour les combattre, y compris la sélection appropriée des voyageurs venant aux États-Unis.
Néanmoins, nous ne sommes au courant d'aucune menace spécifique qui justifierait l'interdiction d’entrée édictée par l’ordonnance du 27 janvier 2017. Nous considérons finalement que l’Ordonnance sape la sécurité nationale des États-Unis au lieu de nous rendre plus sûrs.
À notre avis, cette Ordonnance ne peut pas être justifiée par des questions relevant de la sécurité nationale ou de la politique étrangère.
Elle ne remplit pas sa fonction ainsi déclarée de "protéger la nation de l'entrée terroriste étrangère aux États-Unis."
Au contraire, l'Ordonnance perturbe des milliers de vies, y compris celles des réfugiés et de détenteurs de visas tous auparavant contrôlés par des procédures spécifiques dont l'administration n’a pas démontré qu’elles étaient inadéquates.
Elle pourrait faire des dégâts à long terme à nos intérêts en matière de sécurité et de politique étrangère nationale, en mettant en danger les troupes américaines se trouvant sur le terrain et en perturbant la lutte antiterroriste ainsi que nos partenariats en matière de sécurité nationale. Elle aidera l'effort de propagande de Daech et servira son message de recrutement par récit fait que les États-Unis sont en guerre avec l'Islam (…)
Elle aura un impact humanitaire et économique néfaste sur la vie et les emplois des citoyens américains et les résidents.
Et à côté de toutes ces préoccupations l'Ordonnance offense les lois et les valeurs de notre nation… »
3. Retour sur les débats devant le juge fédéral James L. Robart
Ce recours, inconcevable pour un Français, a donc été formé par ces deux Etats contre Donald J. Trump nommément désigné.
L’audience a été filmée et le compte rendu fidèle des débats a été entièrement retranscrit. Il figure en annexe du mémoire déposé par les représentants du président Trump.
Noah Purcell du bureau du procureur général de l’Etat de Washington a défendu oralement le recours. En face de lui, Michelle Bennett John du Départment de la Justice.
Le juge James L. Robart a donné 30 minutes à chacun d’eux pour exposer successivement leurs arguments.
Le débat a été d’une haute technicité juridique et comme cela est la règle devant ce type de juridiction chacun des intervenants a été régulièrement interrompu par le juge poussant chacun des plaideurs dans leurs derniers retranchements.
Des extraits sont ici repris.
4. Extraits des échanges entre le juge fédéral et le représentant de l’Etat de Washington
M. Purcell (bureau du procureur général de l’Etat de Washington) : Depuis que le président Trump a signé l'Ordonnance en question ici, six juges fédéraux du pays ont suspendu certaines des dispositions de celle-ci dans le cadre de procédures engagées par des particuliers, estimant qu'il était probable que la contestation serait fondée. Les États de Washington et du Minnesota vous demandent de faire de même ici aujourd'hui et suspendre les dispositions de l'ordonnance que nous contestons.
L'Ordonnance est illégale et cause des préjudices sérieux et immédiats à nos États, à nos institutions d'État et à notre peuple. Suspendre l’Ordonnance est très clairement d’intérêt public (…)
Le juge : Bon, essayons de vous mettre ici en échec.
M. Purcell : Bien sûr.
Le juge : Je voudrais aborder le principe de l'égale protection.
[NDR : le XIVème amendement de la Constitution américaine affirme la nécessité de garantir l'égale protection de tous ceux qui se trouvent sur le territoire américain, ce principe peut se rapprocher de celui que nous connaissons d’égalité devant la loi.]
M. Purcell : OK.
Le juge : Et en particulier comment le principe de l’égale protection s’applique à l’ensemble de l’Ordonnance (…) En quoi cette interdiction est-elle, en quoi que ce soit, à l’origine d’une discrimination ou même viole le principe de l’égale protection dès lors qu’elle concerne une interdiction mondiale ?
M. Purcell : Vous parlez des réfugiés ? Et bien notre réclamation en ce qui concerne les réfugiés est d'abord basée sur le fait qu'il y a une discrimination fondée sur la religion et que l'Ordonnance est, en grande partie, motivée par une animosité religieuse. Par conséquent cela ne nous oblige pas à démontrer que toutes les personnes lésées par l'ordonnance sont d'une foi particulière. Cela nous oblige à démontrer qu’une partie de la motivation de l’ordonnance était fondée sur une discrimination religieuse.
Le juge : Alors, je vais essayer de mettre des mots dans votre bouche. Est-ce que vous me dites, alors, que vous n’invoquez pas le principe de l’égale protection au sujet de l’interdiction concernant les réfugiés ?
M. Purcell : Je dirais, Monsieur le Président, que nous avons un…je dirais que le problème relève ici de la discrimination religieuse.
Le juge : Nous verrons cela après.
M. Purcell : OK. Voulez-vous que j’aborde cela plus tard ?
Le juge : Non. Abordons ma seconde question sur le principe de l’égale protection.
M. Purcell : OK.
Le juge : Est-ce que les réfugiés ou les détenteurs de visa qui n'ont jamais pénétré physiquement sur le territoire américain bénéficient du principe d’égale protection en vertu de la Constitution?
M. Purcell : Monsieur le Président, ce n'est pas l'objet de notre demande. Je pense que la réponse est probablement non. Mais ils ont réellement droit à certaines protections constitutionnelles. Et certainement leurs amis et leur famille qui sont ici. Nous invoquons ici seulement les réfugiés, pas les étrangers, par exemple, qui auraient pu être parrainés par une université pour venir ou quelque chose comme ça (…)
Le juge : Ne voyez-vous pas une distinction entre les déclarations durant la campagne électorale et, ensuite, les élections, et enfin une Ordonnance qui a été alors adoptée avec certains commentaires ? Il me semble que c'est un peu un moyen de dire : Le président est clairement anti-musulman ou anti-islam, sur la base de ce qu'il a dit dans le New Hampshire en Juin.
M. Purcell : Eh bien, Monsieur le Président, je pense que cela pourrait apporter du poids aux éléments de preuve. Je ne pense pas que cela soit hors sujet. En particulier étant donné que nous sommes seulement à une semaine, à deux semaines maintenant…mais l'Ordonnance a été prise une semaine après la campagne…après que le président a pris ses fonctions…
Le juge : Après l’investiture.
M. Purcell : Après l’investiture, pardonnez-moi. Donc ce n'est pas comme si ce point était complètement hors de propos. Et d'ailleurs - et encore une fois avant que nous puissions en découvrir davantage - il y a le conseiller du président disant à la télévision nationale, vous le savez, que le président lui a demandé de faire une interdiction contre les musulmans – ça c’était après les élections – de faire, disais-je, une interdiction contre les musulmans de manière à ce qu'elle soit légale.
Et c'est ce qu'ils ont fait.
Le juge : L'Ordonnance mentionne-t-elle le mot "islamique" ou "musulman"? Restons sur les questions religieuses.
M. Purcell : Non, ce n'est pas le cas, Monsieur le Président. Ce n’est pas le cas. Mais quand nous discutons d'un ciblage religieux, encore une fois, il ne s’agit pas de prouver que l’Ordonnance affecte chaque personne dans sa foi islamique. Il s’agit de prouver que la volonté de discriminer, fondée sur la religion, venait au soutien de l'Ordonnance.
Et puis, encore une fois, nous sommes au stade de la plaidoirie, quatre jours après avoir déposé notre requête, pas de nouvel élément, mais il y a déjà une quantité considérable de preuves qui laissent apparaître que l’Ordonnance est, au moins en partie, motivée par la religion.
Je reviens brièvement à la sécurité nationale. Un élément de preuve, Monsieur le Président, est que le lien avec l'objectif énoncé de la sécurité nationale est tellement ténu ici. Je veux dire, le président n'avait apparemment pas décidé, avant de prendre son Ordonnance, si celle-ci s'appliquerait aux résidents permanents légaux. Et il y a aux Etats-Unis, 500 000, environ 500 000 résidents permanents légaux de ces sept pays.
Soit ces personnes constituent une énorme menace pour notre sécurité, soit elles ne le sont pas.
Et ils ont changé d'avis à ce sujet cinq fois depuis vendredi.
Vous savez, d'abord, ils ont dit que l’Ordonnance s'appliquait à eux, et beaucoup de ces personnes ont été alors interdites de revenir dans notre pays. Puis le département de la sécurité intérieure (Department of Homeland Security) a réitéré que l’Ordonnance les concernait. Puis le Secrétaire d’Etat a dit que ce n'était pas le cas. Puis - tout cela est d’ailleurs dans notre plainte - le porte-parole de la Maison Blanche a dit que non. Et enfin un conseiller de la Maison-Blanche a publié des directives, quoi que cela puisse signifier, selon lesquelles l’Ordonnance ne devait pas concerner ces personnes même si il pouvait y avoir eu une confusion sur le contenu de cette décision.
Donc, le problème est de savoir si ces personnes représentaient un énorme risque au niveau de notre sécurité, on peut penser qu’ils s’étaient déjà fait une idée avant de prendre l’Ordonnance.
Et le deuxième point, Monsieur le Président...
Le juge : Attendez, avant de passer à autre chose.
M. Purcell : Oui.
Le juge : Que pensez-vous de l'argument selon lequel les sept pays qui ont été désignés - et je cite le texte - ont été qualifiés de "pays dont le gouvernement a soutenu à maintes reprises des actes de terrorisme international en vertu de l'article 8 U.S.C. 1187." N'y-a-t-il pas là une base juridique pour l'Ordonnance ?
M. Purcell : Monsieur le Président, à notre avis, cela ne constitue qu’une simple couverture.
Mais quand vous prenez en compte les règles relatives à la preuve d’une discrimination religieuse, encore une fois, vous ne pouvez pas prendre pour argent comptant les objectifs déclarés. Surtout là où, une fois de plus, avant même que l’on puisse découvrir autre chose, il y a énormément de preuves qui démontrent que l’Ordonnance n'était nullement basée sur les préoccupations énoncées.
L'Ordonnance s'applique aux nourrissons, elle s'applique aux personnes âgées, elle s'applique aux étudiants et aux professeurs de nos universités d'État qui n'ont jamais été accusés du moindre acte répréhensible.
Le juge: Etes-vous d'accord avec moi pour dire que ce n'est que la section 5 qui mentionne la religion?
M. Purcell : C'est seulement la section 5 qui parle de religion. Mais nous disons que ce n'est pas seulement la section 5 qui est, en partie, motivée par la religion.
Le juge : Et cela prévoit une reprise du programme de réfugiés après, je crois, 90 jours plus tard. Ensuite, il est fait mention "des pratiquants d'une religion minoritaire". Est-ce que votre argument tiré de la clause d'établissement, s'étend-elle au-delà de la section 5 de l’ordonnance ?
[NDR : la clause d’établissement résulte du Ier amendement de la Constitution américaine qui interdit l'établissement d'une religion nationale ou la préférence d'une religion sur une autre, ou d'une religion sur les non-croyants, c’est une sorte de laïcité à l’américaine pour reprendre le titre de l’ouvrage de Denis Lacorne.]
M. Purcell : Je pense que notre revendication relative à la clause d'établissement porte sur cette section. Mais je pense que les sections 3 et 5 sont motivées, selon nous, par la préférence d’une vue religieuse sur une autre. L'affaire Larson qui est citée dans notre mémoire indique clairement que vous n'avez pas besoin d'établir une distinction entre des religions nommément désignées dans un texte pour qu'il constitue une violation de la clause d'établissement (…)
5. Extraits des échanges entre le juge fédéral et la représentante de Donald J. Trump
Le juge : Mme Bennett, c’est vous qui plaidez ?
Mme Bennett (Department of Justice) : Oui, Monsieur le Président.
Le juge : Merci d’être venue. Je pense que votre mémoire est extrêmement bien rédigé. Il m’a été très utile.
Mme Bennett : Merci Monsieur le Président.
Plaise à la Cour.
Monsieur le président pour des motifs exposés nous pensons que nous avons de bonnes raisons pour que les demandes adverses soient rejetées. Mais j’aimerais commencer par la question de la qualité pour agir qui je pense permet de distinguer la présente affaire des autres qui ont déjà été jugées à travers le pays.
Le juge : Bien, concentrons-nous sur la qualité à agir. Dites-moi pourquoi la décision prise par le Fifth Circuit est erronée, alors que les circonstances semblaient être assez similaires, la qualité à agir a été retenue sans la moindre hésitation ou doute ?
Mme Bennett : Et bien, Monsieur le Président, nous sommes en désaccord totale avec la décision du Fifth Circuit. Il s’agit de deux affaires différentes. Nous ne sommes pas du tout d’accord avec cette décision car nous pensons que l’ordonnance contestée doit avoir un impact particulier pour l’Etat qui la conteste. Dans l’affaire United States v. Texas, la cour a considéré que l’Etat lui-même subissait un préjudice. Or ce n’était pas un préjudice lié à sa qualité à agir…
Le juge : Laissez-moi vous interrompre. Dans l'État de Washington, je ne peux pas parler du Minnesota, mais à la fois l'Université de Washington et l'État de Washington sont considérés comme des émanations du gouvernement de l'État. Et ils ont cité une litanie de conséquences et de dommages. Ce qui comparé au 13,40 dollars de coût de délivrance d’un permis de conduire au Texas dans l’affaire précitée...
Mme Bennett : Eh bien, Monsieur le Président, au Texas, c'était un préjudice financier, n'est-ce pas ? Ici, les préjudices que l'État (de Washington) invoque à l’égard de ses universités, en particulier, sont liés à sa réputation ou au fait que des étudiants ne viendront pas et que cela va saper leur diversité. Ils ne citent aucun cas qui définit l'absence de diversité dans une université, ou quelque chose comme cela, comme pouvant constituer un préjudice.
Le juge : Je ne pense pas que ce soit leur raisonnement. Je pense qu'ils parlent de préjudice financier direct dans leurs déclarations.
Mme Bennett : Je ne les lis pas de cette façon, Monsieur le Président. Je n'ai vu aucun calcul de préjudice financier comme cela avait été le cas au Texas. Ils ont invoqué l’existence de professeurs qui pourraient ne plus être en mesure d'enseigner, alors même que la plupart d'entre eux sont des résidents permanents légaux qui ne sont pas concernés par l'ordonnance. Ils ont invoqué de la possibilité pour certains étudiants de ne pas pouvoir voyager. Tout cela est de la spéculation. Le seul endroit où j'ai vu une évaluation d’une perte financière concerne leurs allégations au sujet de la perte de recettes fiscales. Et comme nous l'avons expliqué dans notre mémoire, de nombreux tribunaux ont reconnu que ce type de griefs généraux ne sont pas des préjudices reconnus.
Le juge : Prenons un étudiant qui est admis dans une de ces deux universités et qui se trouve dans un pays depuis lequel il lui est interdit de venir aux États-Unis, et donc de s'inscrire et de payer des frais de scolarité, n'est-ce pas un préjudice financier direct ?
Mme Bennett : Monsieur le Président, nous ne pensons pas que ce soit un préjudice financier direct pour l'État. Nous pensons que c'est, peut-être, compte tenu des circonstances, et encore cela dépendrait des circonstances, un préjudice pour l'individu. Mais le…
Le juge : Non, ils en bénéficient, ces étudiants ne paient plus ces frais de scolarité scandaleux… Vous savez, c'est l'Université de Washington, qui fait partie de l'État de Washington, ou l'État de Washington, qui ne reçoivent plus les dollars de cet étudiant qui, en vertu de l'Ordonnance, ne peut plus entrer aux États-Unis États.
Mme Bennett : Eh bien, Monsieur le Président, je veux tout d'abord souligner que je ne suis pas sûr qu’ils fondent leurs allégations sur un étudiant en particulier. Mais je dirais aussi que nous pensons que le préjudice est trop éloigné dans la chaîne de causalité. C'est un impact accessoire. Si la Cour devait retenir une qualité à agir dans de telles circonstances, il serait alors difficile d'imaginer une loi fédérale ou une mesure fédérale qui quelque part n'ait aucun impact sur les États. Ceci permettrait alors aux États de contester une loi fédérale dès lors que celle-ci affecterait un individu et que l’effet sur celui-ci entraînerait un effet sur l'État. Nous pensons qu’il y a là une définition de la qualité à agir trop extensive (…)
Le juge : Quittons si vous le voulez cette question de la qualité à agir. Étant donné l'étendue de l'autorité du pouvoir exécutif dans le domaine de l'immigration, reconnaissez-vous une limitation de son pouvoir ?
Mme Bennett : Monsieur le Président, je ne pense pas que la Cour ait besoin de répondre à cette question pour trancher cette affaire.
Le juge : Non, mais c'était une bonne question (…)
Le juge : J'aimerais vous faire aborder, si nous le pouvons, la question du principe de l’égale protection.
Mme Bennett : Bien sûr.
Le juge : Vous considérez instamment que ce principe ne s'applique pas ici. Peut-il, du point de vue du gouvernement, ne jamais recevoir application en matière d'immigration ?
Mme Bennett : Monsieur le Président, encore une fois, j'hésite à dire s’il peut s'appliquer ou s’il s'applique réellement dans les circonstances de l'espèce.
Les tribunaux ont clairement précisé que les distinctions fondées sur la nationalité, ce que fait cette Ordonnance, sont pleinement valides et légitimes et ne violent pas la Constitution. Et dans le contexte de cette affaire, il n'y a pas de violation du principe de l’égale protection.
En ce qui concerne l'argument de la discrimination religieuse. Encore une fois il est un peu difficile de déterminer qu’elle est exactement la réclamation de l’Etat en ce qui concerne la discrimination religieuse. Nous comprenons qu'elle est limitée à la section 5 de l'Ordonnance qui porte sur les réfugiés. Et dans ce contexte, pour des raisons que vous avez mentionnées, nous pensons que la réclamation n’est pas fondée. Ces dispositions ne génèrent aucune discrimination contre la religion.
Le juge : Non. Elles ne génèrent pas de discrimination, mais elle favorise une religion par rapport à une autre.
Mme Bennett : Non, Monsieur le Président. Ces dispositions mettent en place un système. Elles ne mettent même pas en place un système. Dans 120 jours, une fois que la suspension du programme des réfugiés sera à nouveau sur les rails, le pouvoir exécutif, en l’espèce le secrétaire à la sécurité intérieure et le secrétaire d'État devront apporter des changements, dans la mesure permise par la loi, aux revendications prioritaires des réfugiés à conditions qu’elles soient fondées sur des persécutions religieuses subies dans les pays d’origine dans lesquelles leur religion est une religion minoritaire.
Et, Monsieur le Président, ces dispositions ne s'appliquent pas seulement aux sept pays qui sont désignés à la section 3 de l'Ordonnance. Elles s'appliquent à tous les pays. Donc même s'il est vrai que les sept pays sont majoritairement musulmans, il y a d'autres pays dans lesquels l'islam ne serait pas la religion majoritaire.
Et dans cette hypothèse la religion minoritaire pourrait être l'islam.
Le juge : Mais s’agissant de la clause d’établissement je pense que vous plaidez contre votre propre cause. Ce que vous dites est que quel que soit son pays d’origine nous allons avantager quelqu'un qui y a une religion particulière ou qui y pratique une religion particulière.
Mme Bennett : Monsieur le Président je ne pense que nous disons cela.
Le gouvernement a longtemps accordé des demandes d'asile dans le contexte de l'immigration basées sur la persécution religieuse. Le gouvernement ne fait rien de différent de ce qu'il a déjà fait. Il ne s'agit pas de la religion en particulier. Il s’accommoder avec la religion ce qu’il a toujours fait.
Mais comme nous l'avons déjà dit c'est quelque chose que le Président a demandé à ses agences d'examiner à l'avenir (…) Mais ll n'y a pas matière à invoquer la clause d'établissement.
Le juge : Très bien. Je pense que j’ai compris votre argumentation. Parlons de la section 3. Je vais faire la même chose, en essayant de vous laisser un peu de temps pour parler au lieu d'être interrompu. Le fondement de la section 3 est d’invoquer le 11 Septembre. Et ma question est la suivante : y a-t-il eu depuis le 11 Septembre des attentats terroristes aux États-Unis impliquant des réfugiés ou des immigrés provenant des sept pays concernés ?
Mme Bennett : Je ne connais pas les détails précis des attentats ou des attentats planifiés. Je pense, je dis tout d'abord que la raison d'être de l'Ordonnance n'était pas seulement le 11 Septembre, c'était de protéger les États-Unis contre le risque de terrorisme. Je note également que les sept pays qui sont énumérés dans l'Ordonnance sont les mêmes sept pays qui étaient déjà soumis à d'autres restrictions pour obtenir des visas que le Congrès a mis en place (…)
Le juge : Bien, revenons en arrière. Vous êtes du Département de la Justice si je ne me trompe ?
Mme Bennett : Oui.
Le juge : Donc vous êtes au courant des procédures. Combien de ressortissants étrangers provenant de ces sept pays ont été arrêtés depuis le 11 Septembre ?
Mme Bennett : Je n'ai pas cette information. Je suis de la division civile si cela peut m’aider à m’en sortir...
Le juge : Laissez-moi vous donner la réponse. Aucun. La réponse à cette question est : aucun. Donc vous vous parler au nom de quelqu'un qui dit "nous devons protéger les États-Unis de ces personnes venant de ces pays" et il n'y a aucun fondement à cela (...)
6. La décision du juge
"La Cour a examiné la requête, les mémoires en réponse, les observations des parties, les contributions des tiers, et surtout, la loi applicable. Et j'apprécie beaucoup le fait que les avocats soient venus aujourd'hui pour plaider, dans une procédure accélérée, et qu’ils aient fait un bon travail en soumettant des documents très utiles écrits à la Cour et en participant également au présent débat.
Je vais faire, un instant, une digression et rappeler aux gens qui nous regardent et qui se demandent ce qui se passe. Il est fondamental pour le travail de la Cour de reconnaître qu’elle est l’une des trois branches, l’une des trois branches égales de notre gouvernement.
Le rôle assigné à la Cour n'est pas de créer une politique, ni de juger de la sagesse d'une politique particulière promue par les deux autres branches. Ceci est le travail des pouvoirs législatif et exécutif et des citoyens qui, en exerçant leur droit de vote, exercent au final le contrôle démocratique sur ces branches.
Le travail du pouvoir judiciaire se limite à faire en sorte que les mesures prises par ces deux branches soient conformes à notre droit et, plus important encore, à notre Constitution.
Il y a une question très étroite qui est posée à la Cour aujourd'hui et qui doit être examinée afin de savoir s'il est ou non approprié de prendre une décision de suspension temporaire contre certaines mesures prises par le pouvoir exécutif et qui ont été développées à l’occasion du procès.
Bien que cette question soit étroite, la Cour est consciente des répercussions considérables que sa décision peut avoir à l’égard des parties au procès, de la branche exécutive de notre gouvernement et des citoyens et résidents du pays.
Je ne reprendrai pas le contexte procédural de cette affaire. Ce sera dans la décision écrite. Je rappelle seulement qu’une requête a été déposée et que les défendeurs fédéraux s’y sont opposés.
Toute matière concernant les poursuites judiciaires devant une Cour fédérale commence par la question suivante : la Cour a-t-elle compétence sur les défendeurs fédéraux et sur l'objet du procès ? En ce qui concerne les défendeurs fédéraux, ceux-ci ont comparu devant la Cour et ont défendu leur position dans cette procédure.
Et puisqu'il s'agit d'une contestation fondée sur la Constitution et la loi fédérale, je constate que j'ai une compétence en la matière.
La norme pour l'édiction d'une injonction dans cette juridiction est la même que pour l'édiction d'une injonction préliminaire.
Une ordonnance de suspension temporaire est, comme le gouvernement l'a indiqué, un recours extraordinaire qui ne peut être accordé qu'après avoir démontré clairement que le demandeur a droit à un tel aménagement. La référence à l'affaire Winter, bien connue des avocats, peut être faite.
La norme juridique pour l'injonction préliminaire et, par conséquent, pour une ordonnance de suspension temporaire, est que le demandeur soit susceptible de triompher au fond, qu'il subira un préjudice irréparable en l'absence d'aménagement temporaire, et, enfin, que la décision à intervenir soit dans l'intérêt public.(…)
Je suis sûr que le seul point sur lequel tous les avocats seront d'accord est que les règles sur la qualité à agir sont ici un peu confuses. Je considère cependant que l'État appelant a qualité à agir en cette matière. J'ai recherché, avec les deux avocats, les raisons de constater la réalité d’un préjudice direct et immédiat causé aux États, en tant qu'institutions, au-delà de celui subi par leurs citoyens, qu'ils ne peuvent représenter directement.
Par conséquent en examinant le fond de l’affaire la Cour estime que s’agissant de sa demande d’ordonnance de suspension temporaire l’Etat a rapporté la preuve de ce qu’il est exposé à un préjudice immédiat et irréparable à la suite de la signature et de la mise en œuvre de l’Ordonnance présidentielle.
Je constate que l'État satisfait au critère selon lequel il est susceptible de triompher sur le fond de la demande, ce qui lui donne droit d’obtenir un aménagement.
Je trouve que la balance penche en faveur des États. Enfin, je constate qu'une ordonnance de suspension temporaire est dans l'intérêt public.
Si j'appliquais le critère alternatif du neuvième circuit, je constaterais que les États ont posé une question, une question sérieuse au fond et que la balance pencherait en leur faveur.
À ce titre, je conclus que la Cour doit rendre et rend une ordonnance de suspension temporaire. temporaire.
La portée de cette ordonnance est la suivante.
Il est interdit aux défendeurs fédéraux et tous leurs dirigeants, agents, employés, avocats et personnes agissant de concert ou en participation avec eux de (…) mettre en œuvre les [sections 3(c), 5(a), 5(b), 5(c) and 5(e) de l’Ordonnance présidentielle].
Cette décision est applicable à l'échelle nationale et interdit l'application des sections 3 c), 5 a), 5 b), 5 c) et 5 e) de l'Ordonnance sur toutes les frontières et les ports d'entrée aux États-Unis jusqu’à nouvelles décisions de cette Cour.
J'ai examiné la question de la demande du gouvernement visant à limiter la décision au Minnesota et à Washington, mais je trouve qu'une telle mise en œuvre partielle de l'Ordonnance présidentielle saperait l'impératif constitutionnel relatif à l’application uniforme des règles de naturalisation et à la nécessité, selon l'instruction du Congrès, d’appliquer avec vigueur et uniformité les lois d'immigration aux États-Unis.
(…)
Une fois que nous le saurons, nous programmerons rapidement une audience sur la requête en injonction préliminaire après que nous aurons reçu le briefing des parties.
La Cour conclut que les circonstances qui l'ont amenée ici aujourd'hui sont telles que nous devons intervenir pour remplir le rôle constitutionnel du pouvoir judiciaire dans notre gouvernement tripartite.
Par conséquent, la Cour conclut que la décision de suspension temporaire susmentionnée est nécessaire et que la requête de l'État est par la présente admise."