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Billet de blog 10 juin 2011

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Garde à vue: journal d'un avocat

  Dimanche Je découvre avec effroi que je suis de permanence pénale durant toute la semaine à venir. Appartenant à un barreau de 50 avocats dont moins de 15 sont habituellement de permanence nos astreintes couvrent une semaine à partir du lundi matin. La nécessité de devoir assister à l'ensemble des auditions n'a guère mobilisé d'autres volontaires. Je ne sais alors comment la semaine va se passer.

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Dimanche

Je découvre avec effroi que je suis de permanence pénale durant toute la semaine à venir. Appartenant à un barreau de 50 avocats dont moins de 15 sont habituellement de permanence nos astreintes couvrent une semaine à partir du lundi matin. La nécessité de devoir assister à l'ensemble des auditions n'a guère mobilisé d'autres volontaires. Je ne sais alors comment la semaine va se passer.

Lundi

Il est 17 heures 30, appel d'une brigade de gendarmerie. J'avais oublié que j'étais de permanence. Petit délit. Je suis en train de travailler un dossier urgent avec une prescription au 15 mai, J'indique à l'OPJ (officier de police judiciaire) que selon les nouvelles dispositions applicables au 1er juin 2011 je dispose de 2 heures pour venir. Mon agenda intérieur passe immédiatement au rouge. Un dossier urgent ayant vocation à devenir très urgent je l'abandonne. Impossible de toute façon de se concentrer. Quarante minutes de route. Accueil souriant des gendarmes. On m'installe dans un bureau confortable avec celui qui devient mon « client ». Petite infraction. Je discute avec celui qui en réalité est un pauvre homme qui n'a que 300 euros par mois pour vivre. Je comprends qu'il me prend pour son Saint-Bernard. Nous discutons de l'affaire, de ses détails. Je lui explique que je ne suis ni flic, ni juge, que je ne suis pas là pour lui dire d'avouer ou de ne pas avouer et que lui seul doit choisir son système de défense pour lequel je le défendrai. Nous préparons l'audition à venir. Au bout de 35 minutes, l'OPJ, une jeune femme, me déloge avec le sourire.

Ma première fois

- C'est ma première garde à vue nouvelle formule, lui dis-je.

- Moi aussi, me répond elle non sans assurance.

- M'autorisez-vous à consulter l'entier dossier ?

- Non.

Manifestement les instructions ont été transmises.

- Je consignerai votre refus sur ma fiche d'observation, mais puis je consulter le PV de notification des droits ?

Nous passons dans son bureau et elle fait asseoir mon client.

- Tenez Monsieur, pouvez-vous signer là, c'est lorsque nous vous avons notifié votre droit de prévenir un proche.

Le client signe et elle me tend le premier feuillet.

- Là, c'est lorsque nous vous avons notifié votre droit de garder le silence.

Le client signe et elle me tend le deuxième feuillet. Au bout du quatrième feuillet j'interpelle le gendarme (si je puis m'exprimer ainsi) :

- Mais vous ne lui avez rien fait signer avant mon arrivée ?

L'OPJ rougit légèrement.

- Maître, nous n'avons pas eu le temps mais les PV sont édités.

Réplique de ma part avec un sourcil relevé comme le faisait le professeur Merle qui nous enseignait la procédure pénale.

- Mais la notification des droits doit intervenir immédiatement !

Le gendarme fouille fébrilement dans ses papiers et extirpe du dossier le "sésame", une fiche d'information signée par le client. J'examine rapidement cette courte page...

- Mais c'est l'ancien modèle, il n'y est pas fait mention du droit au silence !

Au coeur de l'enquête

Silence.

Le gardé à vue me jette un regard d'espoir. Je lui fais comprendre que cette irrégularité ne pourra qu'être difficilement exploitée puisqu'il n'a pas été entendu. L'audition commence. Nous sommes manifestement tous sur nos gardes. Questions. Réponses. Cela me rappelle le juge d'instruction, sauf que celle qui questionne porte un uniforme et tape directement à l'ordinateur. On lui/nous présente ces scellés que nous ne voyons quasiment jamais en correctionnelle. Je me rends compte que je me trouve finalement placé au coeur de l'enquête. Je prends des notes. J'écoute. Puis petit-à-petit. Je prépare mes questions en me disant que je dispose ici d'un droit considérable, celui qui permet de recentrer les débats. Deux heures passent, très vite. Je connais pratiquement toute l'affaire. Plusieurs gendarmes entrent et sortent. Nul doute qu'ils sont également surpris de voir cet intrus qui est dans un coin avec un air sentencieux. L'un vient proposer un verre d'eau à mon client et à moi-même. Pour qui a déjà rencontré des juges d'instruction difficiles je reste surpris par cette courtoisie et cet accueil. Il est 20 heures. Un autre gendarme vient proposer un repas au gardé à vue. Mon agenda intérieur passe à l'écarlate. Vais-je devoir attendre que mon client dîne ?

- Non merci répond-il poliment.

- Vous êtes sûr insiste l'OPJ que je me mets un instant à haïr en pensant très égoïstement au trajet retour et à mon dossier urgent.

- Non merci c'est gentil mais je n'ai pas faim.

Nous poursuivons. La parole m'est donnée. Je pose diverses questions sur sa personnalité. Le PV s'oxygène ainsi d'informations personnelles sur celui qui est un pauvre gars. 20 heures 30. On clôture le PV. Je me dis alors que je ne peux faire l'impasse sur sa relecture complète. J'imagine le client, à l'audience :

- Je n'ai pas dit ça !

Le président :

- Mais si vous l'avez signé en présence de votre avocat ! Qu'en pensez-vous Maître?

Il est presque 21 heures je quitte la brigade après avoir remis ma fiche d'observations et en ayant demandé que l'on renseigne comme l'on peut ma fiche d'intervention (destinée à l'indemnisation de l'avocat), ancien modèle et donc totalement inadaptée. Je rentre chez moi. Il est trop tard pour repasser au cabinet. Je m'installe devant la télévision, la fatigue s'installe, je me couche.

23H40. Appel du commissariat. Sur le premier sommeil. Je me lève me rhabille et file chez les policiers avec une tête de gardé à vue. Mon client du soir est déjà en train de dormir en cellule. Attrapé par la BAC (brigade anti-criminalité). Je croise plusieurs policiers en civil arme à la ceinture. On réveille mon client. Encore une fois l'entretien s'éternise. 30 minutes sont insuffisantes pour préparer une audition dans un dossier que l'on va découvrir. J'attends ensuite dans une salle d'attente pendant au moins 30 nouvelles minutes. Je cherche une machine a café. Rien, mais une machine à boissons fraîches. Eau, coca zéro ? J'opte pour le coca zéro que j'avale très vite.

La fatigue...de l'avocat

Finalement l'audition commence. Le client se met à raconter n'importe quoi. Il a manifestement oublié tous mes conseils. Il met en cause un tiers. Longues questions pour permettre son éventuelle identification. L'audition s'éternise. Je prépare mes questions avec plusieurs feuillets sur les genoux. Je pose deux ou trois questions que je trouve sans intérêt. L'OPJ décide de clôturer le PV. Je vais pouvoir dormir. Puis il se ravise.

- Attendez ! nous allons faire quelque chose.

Nous changeons de bureau pour une présentation de photographies à partir du fameux fichier « Canonge ». J'ai à nouveau ce sentiment de vivre l'enquête en « live ». Plus de 80 photographies répondent à la description du tiers qui n'est cependant pas reconnu. Je souhaite bon courage à mon client qui repart dormir. L'OPJ me montre les scellés. Rien à dire. Certes je n'ai pas accès au dossier mais je le connais au point d'être prêt à le plaider. Il est 2 h 30. Mon lit. Mais impossible de trouver le sommeil, maudit coca zéro...

Mardi

Rien le matin. Rien l'après midi. Rien le soir. J'ai vu mon bâtonnier en lui disant qu'il me sera impossible de tenir la semaine si je devais faire face à plusieurs gardes à vue. Il me rassure. Il a décidé de commettre d'office les 50 avocats. Je reçois par mail le nouveau tableau : 3 avocats par jour pendant 2 jours. Je jette un oeil : je suis de permanence mercredi et jeudi. Je peste tout en me disant que je suis déjà dans le rythme...

23 h 00, mon portable sonne, à voir le numéro qui s'affiche ce n'est pas mon commissariat mais un numéro plus lointain. Un gendarme d'une BR (brigade des recherches) m'explique qu'il y a une garde à vue le lendemain à 9h00. Il s'agit d'un dossier sérieux. Je m'endors tout en me demandant comment je vais m'organiser le lendemain. La BR est à une heure de route. Il s'agit d'une poursuite de garde à vue. Je n'ai donc droit à aucun entretien avec le client qui a vu la veille l'un de mes confrères. Je me dis que si je ne peux lui parler je ferai des observations et repartirai aussitôt en arguant que je ne suis pas en mesure d'assumer mon rôle.

Mercredi

J'arrive à l'heure. L'OPJ me donne tous les renseignements sur l'affaire et me propose un très bon café partagé avec les autres enquêteurs et celui qui sera mon client. Il est étranger. L'interprète est déjà là. Le climat est détendu et l'accueil irréprochable. Mes interlocuteurs sont non seulement des « pros » mais ils sont aussi extrêmement courtois. Je dispose d'un très long entretien avec le client. L'OPJ a manifestement considéré cela comme un réflexe naturel. L'audition débute. L'OPJ m'invite à m'asseoir à un bureau pour être plus à l'aise pour prendre des notes. J'avoue ne pas avoir reçu autant d'égards depuis bien longtemps. La traductrice a quelques difficultés mais elle oeuvre avec un parfait dévouement. Le client parle le même anglais touristique que moi. J'arrive finalement à communiquer directement avec lui. Il vient d'un pays dans lequel l'avocat intervient lors de la garde à vue et n'est donc guère surpris de ma présence.

Courtoisie et respect des enquêteurs

A plusieurs reprises il sollicite des pauses pour fumer ce qui lui est accordé. J'en profite pour échanger avec lui et les enquêteurs. Ceux-ci ne peuvent me communiquer le dossier mais je sais tout de même ce qu'il contient. L'audition se termine par mes questions. Elles permettent d'apporter des détails importants et je me rends compte que le client apprécie mon implication. L'OPJ me confie que le procureur envisageait une comparution immédiate mais que l'on s'acheminerait vers une ouverture d'information. Je ne lui cache pas que je préfère cette solution à un jugement qui serait manifestement expéditif au regard des investigations nécessaires. Le téléphone sonne. Le procureur veut que mon client lui soit présenté l'après-midi pour le renouvellement de la garde à vue. L'agenda des gendarmes se bouscule. L'OPJ me demande ce que je souhaite pour la suite des auditions. Le soir ou le lendemain matin. Je le remercie de cette attention et opte pour le lendemain en lui faisant remarquer qu'il risque de rentrer tard de cette présentation. L'option est prise pour le lendemain et je lui propose moi-même d'arriver à 8h00 afin qu'il puisse avoir le temps de boucler ses PV.

Rien l'après midi ni le soir.

Jeudi

3h40. Appel du commissariat. Le temps d'émerger je me dis que je ne peux y aller si je dois me lever à 6h00 pour partir à la BR. J'invite l'OPJ à réveiller mon "binôme" qui est dans une autre ville à une heure de route...Je ne me rendors qu'avec difficultés.

Café, croissants, je suis dans un autre pays

Je parts à l'aube sans avoir eu le temps de déjeuner. Je sais que les gendarmes me proposeront un café et je m'arrête à la boulangerie pour leur amener un stock suffisant de croissants. Je suis à nouveau accueilli avec le sourire. L'OPJ prépare plusieurs tasses de café et nous déjeunons ensemble le client et moi-même avec les enquêteurs. Manifestement mes croissants lèvent les derniers doutes de ces enquêteurs sur le rôle de l'avocat en garde à vue. Mon client est détendu et a même pu prendre une douche !

J'ai l'impression d'avoir changé de pays.

Le gardé à vue me remercie d'être revenu. Un capitaine vient prendre un café et reste quelque peu interdit par le fait que j'ai apporté des croissants. J'ai à nouveau la possibilité de discuter avec mon client. Nous avançons sérieusement sur sa défense. L'audition reprend. Plus précise. Soudain mon client demande à l'OPJ la possibilité d'avoir un entretien avec moi. Il nous est accordé.

Me reviennent à l'esprit ces interrogatoires tendus durant lesquels le juge d'instruction interdisait à mon client de me parler.

Le client me fait confiance. Nous avons un long entretien confidentiel. Il me demande des conseils. J'ai réellement le sentiment de lui être utile. L'audition reprend et l'enquête progresse. Je fais remarquer à l'OPJ que les craintes de certains sur la présence de l'avocat étaient infondées. Nous terminons vers 12h30. L'information sera ouverte sans l'après midi avec une nouvelle interprète. Mon client remercie l'interprète qui avait travaillé durant deux jours. Je surprends même une émotion dans ses yeux. Je quitte à mon tour les gendarmes que je reverrai dans l'après midi.

Pour la première fois j'arrive au palais en connaissant parfaitement toutes les déclarations de mon client. Compte tenu des éléments du dossier je lui conseille de répondre aux questions qui lui seront posées. Tout s'achève vers 22h00. Mon client est placé en détention provisoire ce qui était prévisible. Mais tant devant le juge d'instruction que le JLD (juge des libertés et de la détention) je connaissais beaucoup mieux le dossier qu'avant la "réforme".

Je salue les enquêteurs non sans avoir fait remarquer au juge d'instruction que j'avais apprécié leur courtoisie et leur humanité.

Ma permanence s'achèvera dans 2 heures. Je ne serai pas dérangé et l'un de mes confrères « attaquera » la nuit à venir.

Mon cabinet est totalement désorganisé. Les rendez vous ont été déplacés. Mon dossier urgent est toujours là et je dois préparer une mise en état difficile. J'ai cependant l'impression de faire un nouveau métier. D'avoir enfin été utile dans mon rôle de défenseur. Mon client me remercie. J'oublie toutes ces gardes à vue où jusqu'à présent je ne servais strictement à rien.

Je me dis certes qu'il pourra y avoir, parfois, des incidents suivant les personnalités qui seront amenées à se rencontrer. Mais l'avocat n'est pas le diable. Je pense aussi aux victimes qui pourront également disposer dans les mêmes conditions d'un avocat.

Même si je ne sais plus où j'ai mis ces fiches d'intervention qui obligeront l'Etat à me verser une hypothétique "indemnisation" et non "rémunération" je dispose enfin de la possibilité de faire mon métier.

(billet publié le 15/5/2011 sur mon blog professionnel dépendant de avocats.fr)

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