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Billet de blog 11 juil. 2020

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Ma gauche et la justice : je ne te reconnais plus

A l’issue d’une semaine au cours laquelle les nominations de Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti, respectivement à la tête des ministères de l’intérieur et de la justice, ont déclenché un tollé dans la presse et dans la rue, nous avons été nombreux, comme avocates et avocats, à en avoir été choqués.

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Des procès en sorcellerie

Des tirs nourris ont ciblé Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti et j’ai rarement autant bondi en lisant Mediapart ou d’autres journaux. A travers ce qui ressemble à des procès en sorcellerie j’y ai retrouvé la même haine vengeresse que celle qui anime l’extrême droite qui préfère la justice expéditive. Faire directement passer à la trappe celui sur qui pèse des soupçons en faisant l'économie d'un juge.       

Tous les jours nos juges d’instruction, nos tribunaux, nos cours d’assises rendent des décisions de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Oh, elles restent rares à côté des décisions reconnaissant la culpabilité mais elles sont heureuses. Elles interviennent souvent après plusieurs années de procédure.

Le chiffre est ici considérable : près de 800 000 décisions sont rendues chaque année en matière pénale (en excluant 12 millions d’amendes forfaitaires, Les chiffres clés de la justice 2019). Cela signifie que vous, moi, un de nos proches, risque fort de devoir affronter, au moins une fois dans sa vie, la justice pénale.

Souhaitons-lui bien du courage puisque l’on peut en ressortir broyé. Il y a d’ailleurs plusieurs moulinettes : celle de la garde à vue, puis celle du juge d’instruction et, le cas échéant de la chambre de l’instruction, enfin celle de la juridiction de jugement, tribunal correctionnel ou cour d’assises.

La bataille pour parvenir à l’introduction en France d’un procès équitable fut longue et elle est encore inachevée. En 1747 Volaire écrivait déjà : « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent » (Zadig ou la destinée, 1747). Le combat pour parvenir à l’introduction, en France, d’un embryon de procès équitable fut longue. Il est encore inachevé. Les principales modifications nous viennent régulièrement du droit européen puisque notre droit interne a toujours été rétif à une réforme.

Les deux principaux piliers du procès équitable sont la présomption d’innocence et le droit à l’assistance d’un avocat.

La présomption d’innocence n’est pas un paillasson

L’article 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales énonce : « Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. » Le § 3 c poursuit : « Tout accusé a droit notamment à (…) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent » (CEDH, art. 6).

Ces dispositions sont reprises dans l’article préliminaire de notre code de procédure pénale : « III. Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi (...) Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur. » (C. pr. pén., art. prél.).

La règle établie est simple : tant qu’un juge n’a pas définitivement statué sur la culpabilité d’une personne celle-ci doit être considérée comme innocente.

Ce ne sont ici que nos plus bas instincts qui peuvent nous conduire à piétiner cette règle. Souvent la haine à l’égard de cette personne. Parfois son origine, son histoire, ses idées, ou même son visage. 

On la sent parfois en salle d’audience. C’est souvent à l'occasion d'un meurtre ou d'un viol. Mais ce peut tout aussi bien être à la suite d'un accident mortel de la circulation. La gravité des conséquences fait que le tréfonds de nos consciences, de notre histoire, de notre civilisation impose un bûcher. Brûler, sacrifier au moins un individu pour l'expiation de la faute.

Un tel sentiment n’a pas sa place dans un procès équitable.

Le risque est tel, que notre code de procédure pénale en impose même un serment aux protagonistes. Chaque témoin jure de parler « sans haine » (C. pr. pén., art. 331). Art. CPP). Chaque juré jure et promet « de n'écouter ni la haine ou la méchanceté » (C. pr. pén., art. 304).

Le principal vecteur de la haine reste l'opinion publique. « L'opinion publique ? – s’était exclamé notre confrère Vincent de Moro-Giafferri en plaidant  –  Chassez-la, cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche ! C'est elle qui, au pied du Golgotha, tendait les clous aux bourreaux, c'est elle qui applaudissait aux massacres de septembre et, un siècle plus tard, crevait du bout de son ombrelle les yeux des communards blessés... »

« Darmanin violeur » pouvait-on lire, hier, sur de nombreuses pancartes. Sur quelle base ? Une décision l'ayant déclaré coupable ? Non, une plainte. Serait-il mis en examen ou même renvoyé devant une cour d'assises qu'il devrait être considéré comme innocent.

Le raccourci de certains ne peut que donner le vertige jusqu’à l'écœurement.

Quant à la justice laxiste rappelons que pour les crimes elle est rendue majoritairement par le peuple, il y a six jurés et trois magistrats professionnels en première instance, il y a neuf jurés et trois magistrats professionnels en appel.

L’assimilation odieuse de l’avocat à la personne qu’il défend

Le bûcher serait ici incomplet si l’on n’y mettait pas aussi l’avocat.

Et celui qui a obtenu l’acquittement de Georges Tron ne pouvait que mériter d’y être. Oublié, au passage, le verdict des jurés, et donc du peuple. Le peuple de la rue qui ignore tout du dossier sait mieux juger que des jurés qui nécessairement se sont trompés.

Une telle conception de la justice est véritablement effrayante.

Dans un papier publié le 7 juillet Lénaïg Bredoux a cru devoir attaquer Éric Dupond-Moretti (ici) à l'occasion de ce procès. 

Il fallait d’abord le décrédibiliser. Elle écrit : « Passons sur sa vision virile du métier d’avocat – elle est encore très répandue (« Plaider, c’est bander ; convaincre, c’est jouir », a-t-il dit). » Sauf que cette citation, très connue, a été empruntée à un autre avocat, celui qui fit voter l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter. Elle est la suivante : « Il y a quelque chose de la possession physique dans l'éloquence. Dans ses moments de lyrisme, mon maître s'exclamait : Plaider, c'est bander. Convaincre, c'est jouir. » (Robert Badinter, L’Exécution, 1973). Passons donc…

Puis la journaliste d’attaquer le garde des Sceaux à travers les propos qu’il a pu tenir en audience. Pourquoi ? « Mais parce que les débats sont publics, libre au public justement de critiquer une ligne de défense, une certaine façon d’humilier un.e plaignant.e, ou de ridiculiser un.e témoin » nous dit-elle. La belle affaire !

L’avocat devrait donc lui-même être jugé à partir de sa conduite à l’audience ?

Rappelons que les débats sont conduits sous l’autorité du président et que l'avocat de la partie civile a les mêmes prérogatives que son confrère de la défense.

Il arrive à chacun d'entre-nous d'intervenir, en défense, ou en partie civile lorsque nous considérons que notre confrère adverse est excessif.

Face à un crime pour lequel l’opinion publique aurait tranché l’avocat de la défense devrait en prendre acte et s'aligner, en s'abstenant de poser certaines questions ? Rester soumis ? La réponse est bien évidemment négative.

Il n’est de défense que si elle est libre.

Rappelons ce qui est enseigné dans toutes les écoles du barreau. L’avocat est un auxiliaire de justice. Il n’est pas le juge de son client et reste lié par le système de défense de celui-ci. Si celui-ci conteste les faits il doit lui-même attaquer chaque argument de la défense et questionner chaque témoin à charge.

Ouvrons ici une parenthèse.

Lorsque j’ai débuté ce métier l’avocat n’avait pas le droit de poser directement les questions aux témoins. Nous devions passer par l’intermédiaire du président. L’apport des standards internationaux du procès équitable a été à l’origine de la loi du 15 juin 2000 qui a autorisé l’avocat à mener seul et directement le contre-interrogatoire.

Mais en pratique le contre-interrogatoire à la française reste très largement en deçà de ceux qui sont pratiqués en droit anglo-saxon où les témoins sont rudoyés pendant des heures voire des jours.

En France le témoin va d’abord déposer spontanément puis être soumis aux questions du président et cela change tout. Le président va bien souvent aborder toutes les questions et anticiper sur celles qui seront posées par la défense.

La marge de manœuvre, les effets de surprise restent donc pour l’avocat de la défense très limités en pratique. Et il arrive souvent qu'un président vienne au secours d'un témoin en difficulté avec cette phrase entendue par chaque avocat : « Maître la question a déjà été posée !» Oui, bien sûr, par le président, à sa façon. 

Soyons clair : un avocat soumis à l'accusation ou à l'opinion publique manquerait à son propre serment et ne mériterait pas de porter la robe.

Quant à l’assimilation de l’avocat à ses clients à la cause de ceux-ci elle ressort des derniers papiers.

Certains, à gauche comme à droite, ont cru devoir rappeler la liste des personnes défendues par le garde des Sceaux. Pensez donc ! Il a défendu Georges Tron. Il a même défendu un terroriste !

Pourquoi faire un tel parallèle si ce n'est pour disqualifier l'avocat en laissant entendre qu'en défendant un accusé il ferait l'apologie du crime poursuivi ?

Au delà du caractère particulièrement infâme de cette confusion c'est bien mal connaître la profession d'avocat. D'ailleurs il nous arrive, suivant les sessions d'assises, d'intervenir en défense ou en partie civile. Nous le faisons avec la même énergie. Comme la plupart de mes confrères j'ai pu défendre des assassins, des meurtriers, des violeurs, des dealers mais aussi des victimes d'assassinats, de meurtres ou de viols.

N'oublions jamais que ce sont les dictatures qui assimilent l’avocat à son client. A tel point qu’une convention est intervenue sous l’égide de l’ONU. Ainsi les « Principes de base relatifs au rôle du barreau adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990 » énoncent : « 18. Les avocats ne doivent pas être assimilés à leurs clients ou à la cause de leurs clients du fait de l'exercice de leurs fonctions. » (ici)

*

*   *

Notre garde des Sceaux pourra être jugé le moment venu et il le sera sur son bilan. Améliorer encore l’accueil des victimes, donner des moyens à la justice, accélérer les procédures est indispensable.

Là où n’importe quelle entreprise est gérée avec du matériel informatique digne de notre siècle nos greffiers collent encore des timbres pour convoquer par voie postale les avocats.

Un juge d’instruction et son greffier de 1909 qui se retrouveraient propulsés à notre époque ne verraient guère de changement dans leur façon de travailler si ce n’est le nombre de dossiers à instruire. Il y avait 7 789 magistrats en France en 1909 (Jean-Claude Farcy, Les carrières des magistrats XIXe – XXe s, annuaire rétrospectif de la magistrature, juin 2009 ici). En 2017 on n'en recensait guère plus, seulement 8 313, soit une évolution ridicule de moins de 7 % en plus d'un siècle (ministère de la justice, un corps professionnel féminisé et mobile, 19 avril 2018 ici).

La gauche a toujours été à l'avant-garde de la préservation des droits fondamentaux et elle l'a soudainement oublié.

La cause des femmes victimes de violences sexuelles, physiques ou morales est juste et noble.

Mais elle ne doit pas être menée en foulant au pied les principes d’un procès équitable.

En trente ans j'ai conservé des images de scènes de crime ou de visages de celles ou de ceux qui m'avaient confié leur défense, accusés ou victimes. Je tremble sur des acquittements non obtenus pour des accusés ou des non-lieu prononcés contre des parties civiles. 

Je me souviens de mon premier dossier et de ce mineur qui avait tué une jeune fille dans des conditions atroces. Un livre ne suffirait pas à décrire tout ce que j'ai pu ressentir pendant les années d'instruction au cours desquelles je l'ai défendu. Depuis la photo du visage de la victime jusqu'au visage de son père qui avait interpellé mon client aux assises en hurlant « Pourquoi tu l'as tuée ? Dis moi ! Pourquoi ?» La douleur de ce père était telle qu'il me donnait l'impression d'être devenu gris. Ni les parents de ce jeune accusé ni ceux de sa victime n'obtinrent les réponses qu'ils attendaient.

Je me souviens aussi du long SMS reçu après mon dernier dossier d'assises, celui d'une jeune femme dont le père avait été assassiné. J'étais en partie civile. Elle voulait simplement me remercier. Quelques mois plus tard je l'appelais en urgence pour lui dire que celui qui avait été condamné s'était pendu dans sa cellule. Nulle joie dans sa voix. Nous sommes convenus que c'était un échec pour la justice. Là encore tant de questions sans réponse.

Ces histoires sont celles de n'importe quel avocat.

A la différence de ses prédécesseurs Éric Dupond-Moretti connait tout cela et il connait mieux que quiconque les leviers possibles pour essayer d'améliorer ce système.

Finalement tout ce que j'ai entendu et lu ces derniers jours relèvent d'une tératologie de PMU si éloignée des réalités.

Cela n'a rien à voir avec notre justice criminelle. C'est l'honneur d'ailleurs de nos magistrats et jurés d'essayer de la rendre, avec toute son humanité, sa complexité, ses questions souvent sans réponse et toujours dans le respect de ces droits fondamentaux.

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