Twitter reste un monde dans lequel l’on fait parfois des découvertes extraordinaires.
Quand la justice ordonne la rétention administrative d'un bébé de 13 mois
La Cimade a fait état d’une ordonnance rendue le 9 février 2018 par le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris qui a confirmé une décision d’un juge des libertés et de la détention prescrivant la prolongation, pour 28 jours, d’une rétention administrative d’une jeune ivoirienne âgée de 20 ans mais également de sa petite fille de 13 mois.
Jusque-là rien que de très classique dans le contexte actuel si ce n’est que l’on reste en droit de s’émouvoir d’une mesure restrictive de liberté à l’égard d’un bébé…
Exit la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme...
La curiosité juridique de cette décision réside dans une appréciation totalement surprenante développée par le magistrat lequel, saisi de moyens de droit fondés sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, les a escamotés et a considéré qu’il n’avait pas à les analyser. Pourquoi ? Sa réponse est cinglante : « l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne relève pas, en tout état de cause, de l’appréciation du juge judiciaire. »


En d’autres termes ce magistrat a indiqué que le juge français n’a pas à apprécier - et donc à appliquer - cette convention supra nationale. Il s’agit là d’un non-sens juridique puisque l’article 55 de la Constitution dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »
La Cour de cassation, les cours d’appel et tous les juges de France font pourtant quotidiennement application de ce texte européen.
L’on imagine que cette jeune ivoirienne sera incapable de former un pourvoi en cassation contre une telle décision dont la motivation ne peut être jugée conforme à notre droit.
Il convient d’espérer que le procureur général près la Cour de cassation formera, s’il en est informé, un pourvoi dit « dans l’intérêt de la loi. » L’article 17 de la loi n° 67-523 du 3 juillet 1967 relative à la Cour de cassation énonce en effet : « Si le procureur général près la Cour de cassation apprend qu'il a été rendu, en matière civile, une décision contraire aux lois, aux règlements ou aux formes de procéder, contre laquelle cependant aucune des parties n'a réclamé dans le délai fixé, ou qui a été exécutée, il en saisit la Cour de cassation après l'expiration du délai ou après l'exécution… »
Mais c’est là où les choses deviennent encore plus stupéfiantes alors même que les libertés individuelles d’une mère et de son bébé sont tout de même en jeu.
Cachez cette motivation que l'on ne saurait voir
Les praticiens du droit, qu’ils soient avocats, magistrats, universitaires utilisent des recueils de jurisprudence. Ces recueils sont numériques et accessibles au moyen d’abonnements (par exemple Lexbase, Dalloz.)
Or en consultant ces bases de jurisprudence pour retrouver cette décision, à vrai dire surprenante, des twittos ont alors découvert que l’ordonnance qui avait été diffusée avait été amputée de toute sa motivation contestable et, fait encore plus grave, que des mots avaient été ajoutés.
Comme si l’on avait voulu masquer ce qui devait finalement l’être aux yeux des juristes…
Le fait est d’autant plus grave que ces bases jurisprudentielles sont censées refléter d’une manière fidèle les décisions rendues. Si l’on modifie ces décisions avant leur diffusion c’est la sincérité même des décisions qui se retrouve mise en cause. Je n’y ai pas cru moi-même jusqu’à me connecter sur ma base Dalloz et retrouver le décision qui effectivement ne correspondrait pas à celle qui a été rendue.


La Cimade a aussitôt réagi et Lexbase, une société d'édition, n'a pu que rappeler qu'elle restait tributaire des décisions qui lui étaient transmises c'est-à-dire telles qu'elles lui étaient transmises...

Oui nous le savons la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais où est la France si elle entend méconnaître à ce point ses engagements internationaux ?
Je pense ce soir à cette mère dont le sort a été scellé après que son juge ait décidé que l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne relevait pas de son appréciation.
Mais tout s’est passé pour que personne ne le sache.
Qui sait ?