
Rappelons qu’une personne en détention provisoire bénéficie de la présomption d’innocence. Ce n’est qu’à l’issue d’une procédure pour laquelle elle est incarcérée qu’elle sera déclarée coupable ou non-coupable.
Suivant la nature de l’affaire la décision ordonnant la détention provisoire a toujours une durée limitée à l’issue de laquelle elle peut être prolongée à l’issue d’un débat devant le juge alors compétent qui va apprécier si cette prolongation est régulière et si elle est fondée.
Parmi la soixantaine d’ordonnances adoptées par le pouvoir exécutif durant la période d’état d’urgence sanitaire celle n° 2020-303 du 25 mars 2020 n’avait pas manqué de surprendre. Son article 16 (ici) avait en effet prévu que les titres de détention provisoire en cours seraient prolongés de « plein droit » c’est-à-dire automatiquement.
Pour la première fois dans notre histoire contemporaine le pouvoir exécutif s’arrogeait la faculté de prolonger lui-même et sans débat tous les titres de détention de personnes bénéficiant de la présomption d’innocence.
Saisi par le Syndicat des avocats de France et par le Syndicat de la magistrature le juge des référés du Conseil d’État avait rejeté une demande de suspension de ce texte par une décision du 3 avril 2020 (ici). Sa motivation était lapidaire :
« En adoptant de telles mesures et en retenant des allongements de deux, trois ou six mois, dans les limites imparties par la loi d’habilitation, l’ordonnance contestée ne peut être regardée, eu égard à l’évolution de l’épidémie, à la situation sanitaire et aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la propagation du covid-19 sur le fonctionnement des juridictions, sur l’action des auxiliaires de justice et sur l’activité des administrations, en particulier des services de police et de l’administration pénitentiaire, comme d’ailleurs sur l’ensemble de la société française, comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par le syndicat requérant. »
En résumé le juge des référés du Conseil d’État considérait qu’il n’y avait là aucune « atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales. »
La suite se sera jouée le mardi 26 mai 2020.
Saisie de deux affaires dans lesquelles des détentions avaient été prolongées de plein droit la Cour de cassation va en décider tout autrement (voir ses décisions, ici et là).
Après une discussion sur les termes particulièrement imprécis de l’ordonnance elle va juger utile de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel.
Mais elle va ensuite rappeler que s’agissant d’affaires dans lesquelles l’intéressé est détenu, elle n’a pas à surseoir à statuer dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel.
Ce faisant elle affirme que l’article 16 de l’ordonnance n’est compatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qu’à la seule condition qu’il y ait eu débat devant un juge judiciaire.
La Cour de cassation a d’ailleurs tenu à faire connaître sa décision qui risque d’avoir des conséquences dans bon nombre d’affaires. Son communiqué de presse (ici) se termine en ces termes : « dans toutes les hypothèses où un tel contrôle du juge n’a pu ou ne peut plus être exercé, la personne détenue devra être libérée. »
L’article 66 de notre Constitution énonce :
« Nul ne peut être arbitrairement détenu.
L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
Face à un Conseil d’État qui a rejeté bon nombre de recours liés à l’état d’urgence sanitaire la Cour de cassation a parfaitement joué son rôle de gardienne des droits fondamentaux. Même nue et à genoux en raison d’un manque chronique de moyens humains et matériels l’autorité judiciaire apparaît contre un contre-pouvoir non seulement indépendant mais également efficace. Et c’est bien là ce qui l’honore.