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Il y a bien longtemps, sur les bancs de la faculté de droit de Toulouse, un de mes maîtres, professeur de droit pénal, nous rappelait que lorsqu'une démocratie entendait glisser vers un régime autoritaire elle commençait à emprisonner d’abord les journalistes, puis les avocats. Ceux qui par la plume ou le verbe sont de nature à démontrer, par une argumentation juridique incritiquable, la violation, par le pouvoir en place, des règles constitutionnelles ou légales.
Le journaliste français Loup Bureau a peut-être le tort de ne pas appartenir à une grande agence de presse. Toujours est-il qu’il fait partie de ceux qui n’hésitent pas à prendre des risques majeurs pour assurer son devoir d’information. Parti sur le théâtre du conflit syrien il a été arrêté par les autorités turques, il y a un mois, le 26 juillet 2017. Suspecté par Ankara de terrorisme pour avoir détenu des clichés de combattants kurdes syriens sa dernière de demande de mise en liberté a été rejetée.
À Paris le président de la République assure s’occuper de ce dossier.
À Strasbourg les institutions du Conseil de l’Europe dont la Turquie est un État membre restent étonnamment silencieuses.
La Résolution 2156 (2017)
Le 25 avril 2017 son Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 2156 (2017) relative au « fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie. » Ce texte, particulièrement long qui souffle le froid et le chaud et qui par conséquent reste tiède, contient certaines dispositions sur la presse :
« 25. En ce qui concerne la liberté des médias et la liberté d’expression, l’Assemblée s’alarme des violations répétées de la première, du nombre important de journalistes actuellement en détention et des pressions exercées sur les journalistes adoptant un point de vue critique; ces pratiques sont inacceptables dans une société démocratique. Les États membres du Conseil de l’Europe assument l’obligation positive de garantir la liberté d’expression, la protection des journalistes et l’accès à l’information, ainsi que de créer les conditions permettant aux médias de remplir le rôle de sentinelle de la société et de tenir le public informé des questions touchant à l’intérêt général (...)
27. L'Assemblée appelle de ce fait les autorités turques :
27.1. à libérer tous les journalistes (plus de 150) et les défenseurs des droits de l’homme en détention (...)
28. Compte tenu de la régression observée ces dernières années en matière de respect de la liberté d’expression et de la presse – une tendance qui s’est accentuée pendant l’état d’urgence –, l’Assemblée estime que la Turquie manque à ses obligations et appelle instamment les autorités de ce pays à prendre d’urgence des mesures visant à restaurer la liberté d’expression et la liberté des médias sur la base des conclusions publiées en février 2017 par le Commissaire aux droits de l’homme et des avis pertinents rendus par la Commission de Venise en 2016 et en 2017. »
L’Assemblée indique attendre notamment des autorités turques qu’elles prennent d’urgence des mesures et notamment celle destinée à «38.4. libérer tous les journalistes placés en détention dans l’attente de leur procès. »
Mais il ne s’agit là que d’un texte qui indique seulement vers la fin :
« 39. L’Assemblée décide, dans le cadre de la procédure de suivi à l’égard de la Turquie, d’évaluer les progrès réalisés dans un rapport à présenter au cours de la session de 2018 de l’Assemblée. »
En d'autres termes tout nouvel examen de la situation est renvoyée sine die ou du moins à 2018. Alors que peut-on attendre de telles institutions là où la liberté d’un de nos compatriotes est en jeu ? Ne convient-il pas, comme en matière, de revenir aux fondamentaux ?
Le Traité de Londres
L'article 3 portant Statut du Conseil de l'Europe (Londres, 5 mai 1949) dispose à cet égard :
« Tout Membre du Conseil de l'Europe reconnaît le principe de la prééminence du Droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'engage à collaborer sincèrement et activement à la poursuite du but défini au Chapitre Ier. »
L'article 8 énonce :
« Tout Membre du Conseil de l'Europe qui enfreint gravement les dispositions de l'article 3 peut être suspendu de son droit de représentation et invité par le Comité des Ministres à se retirer dans les conditions prévues à l'article 7. S'il n'est pas tenu compte de cette invitation, le Comité peut décider que le membre dont il s'agit a cessé d'appartenir au Conseil à compter d'une date que le Comité fixe lui-même. »
Alors la question se pose de l’utilité de telles dispositions si elles ne sont jamais appliquées.
D’aucuns diront que l’exclusion de la Turquie pourrait alors la conduire à rétablir la peine de mort. En effet celle-ci est et demeure incompatible avec les textes de l’institution. Dans sa résolution précitée l'Assemblée rappelait en effet :
« 8. Dans ce contexte, l’Assemblée souligne que le rétablissement de la peine de mort serait incompatible avec l’appartenance au Conseil de l’Europe et exhorte la Grande Assemblée nationale turque à s’abstenir de toute initiative susceptible de conduire à la réintroduction de la peine capitale et de remettre ainsi en cause l’adhésion de la Turquie au Conseil de l’Europe. »
Pour autant l’on sait qu'un texte n’a de valeur contraignante que pour autant qu'il soit assorti de sanctions applicables et appliquées. À défaut de quoi le texte est vidé de toute utilité.
Le Comité des Ministres ne doit-il pas agir conformément au Traité ? N’y-t-il pas là un moyen de rappeler à la Turquie les risques de poursuivre la détention de Loup Bureau ?