A la lecture de l'article de Martine Orange : Reforestation, tigre virtuel, marché carbone : les mirages de la finance verte (5 février 2020) qui fait excellemment le point sur le rapport entre la finance et les enjeux majeurs de l'écologie, la colère me saisit : quel que soit le problème, ce sont les financiers qui en dernier ressort détiennent le pouvoir. Désormais les Etats, même démocratiques c'est-à-dire supposés porter la volonté du plus grand nombre, sont dépassés en puissance financière par les fonds privés, les banques et par le productivisme des entreprises mondialisées. L'ensemble des vivants en est réduit à se contenter des miettes que les financiers veulent bien laisser. Ils s'approprient jusqu'à l'air que nous respirons et en font commerce.
Les Etats tels que la culture occidentale les a inventés puis modelés depuis l'âge classique ne sont plus adaptés pour faire face.
Trop petits ou trop clos sur leurs intérêts propres - définis à court terme par les échéances politiques et le maintien au pouvoir - pour faire face à la mondialisation des problèmes par le capitalisme (pollution, réchauffement climatique, épuisement des ressources...). La volonté de chiffrer la nature en évaluant les "services" qu'elle rendrait ou les compensations qu'on lui devrait est une aberration car c'est la faire entrer dans une transaction reposant sur le présupposé que l'Homme (en fait quelques hommes) est propriétaire du monde. Or il n'en est qu'un des habitants. Pas plus. Et le désastre qu'il prépare ne peut que se retourner contre lui.
Trop grands pour prendre réellement en compte les besoins locaux au regard des communs (la faune, la flore, la terre, l'eau, l'air, le patrimoine culturel forgé par l'histoire...) qu'ils n'appréhendent qu'à travers des chiffres et sous la pression de groupes d'intérêt qu'ils érigent, faute de proximité, en émanation de la volonté populaire. A cette échelle réduite, des groupes se sont imposés comme porteurs de l'intérêt général. L'exemple le plus frappant est celui des chasseurs qui revendiquent une compétence dans la "régulation du gibier", alors qu'ils contribuent activement au déséquilibre des espèces et par conséquent à la dégradation du milieu naturel. Un animal sauvage n'est pas un gibier. C'est un être doué de vie propre, d'intelligence qui le rend capable d'adaptation, et d'une conscience qui le rend apte à ressentir de la souffrance, éprouver de l'attachement à ses congénères ou de la méfiance, du plaisir dans le jeu... qui participe au système naturel dans lequel se déploie son activité.
Certaines questions ne peuvent être traitées qu'au niveau supra national. D'autres au contraire, comme on le voit dans les mobilisations pour se défendre contre de grands projets inutiles, ne peuvent se faire qu'à partir d'initiatives locales par ceux qui ont une connaissance intime des lieux et une conscience suffisante de citoyen du monde. Reste la question : comment passer de l'un à l'autre niveau en préservant une cohérence ? Il nous faut inventer une autre façon de penser le politique tout en nous préservant du "lavage vert", inventer une autre forme de régulation des sociétés humaines, plus clairvoyante parce prenant appui sur des savoirs partagés, plus solidaire avec l'ensemble du monde vivant, plus respectueux du monde physique. Nos entités étatiques sont dépassées par le fonctionnement des réseaux, soit comme outils d'influence et de domination, soit comme moyens de déjouer les pouvoirs en place et d'entretenir la résistance à la domination. Pour traiter la complexité des problèmes systémiques tels que nous les percevons actuellement, il y a certainement là une piste (paradoxale) à creuser.
Au fait nous avons déjà un poids important, celui de résister et de favoriser. Par exemple, le pouvoir de faire évoluer notre mode de consommation. La consommation dirigée par la publicité et la croyance en un "mode de vie" à défendre comme le serinent certains politiques surtout de droite (lequel ? pour qui ?) sont le bras armé du capitalisme. Le partage peut devenir une alternative à l'accumulation compulsive. Le partage tente actuellement de se frayer une voie originale entre la charité traditionnelle, la réparation des dégâts de la pauvreté et l'accueil des pauvres sans distinction de nationalité (Banque alimentaire, Restau du cœur, Emmaüs, la Cimade...), la mise à disposition du fruit d'un travail collectif (jardins partagés, ateliers de réparation) et la correction du gaspillage induit par le fonctionnement de la grande distribution (épiceries solidaires). Il reste à sortir de la marginalité ce qui est un défi face à la puissance de la grande distribution, du marché de l'immobilier et à la folie de la production textile dopée par le néocolonialisme qui se nourrit de la faiblesse des travailleurs des pays pauvres. Nous pouvons aussi soutenir des initiatives vraiment "vertes". Il est amusant, quand on paye des impôts et qu'on a un peu d'épargne, au lieu de l'investir dans un Livret A qui ne rapporte rien ou dans des produits financiers impossibles à contrôler, de contraindre l'Etat à financer indirectement des projets qu'il est incapable de soutenir, en investissant son épargne dans des dons défiscalisés (à hauteur de 66%) à la LPO, à Terre de Liens, à Greenpeace... (liste non exhaustive bien sûr). On peut aussi se battre pour que le financement des partis soit profondément corrigé. Comme le montre Julia Cagé, le financement actuel ne peut que bénéficier aux partis qui sont porteurs des intérêts de la finance et du capital.
Le capitalisme est comme l'Hydre de Lerne : quand on lui coupe une tête, il lui en pousse une autre. Mais si nous sommes beaucoup à les couper en même temps, ça pourrait bien marcher.