Mediapart, comme la plupart des médias, reste le nez sur l'épidémie qui sévit chez les humains, la gestion de la crise, ses conséquences et les mesures sociales et économiques à venir. C'est indispensable, mais un peu court. La vraie question est : les maladies émergentes sont des zoonoses et leur apparition semble s'accélérer. Pour quelles raisons ?
Comme souvent, pour comprendre il faut sortir des frontières traditionnelles (ici entre médecine humaine et médecine vétérinaire) et aborder les problèmes avec des outils mentaux pluridisciplinaires. Les éclairages les plus convaincants sur le SARS CoV 2 viennent des chercheurs qui centrent leur travail sur le règne animal dans son ensemble, animaux sauvages, animaux d'élevage et humains compris. La question est de savoir quel impact les comportements humains ont-ils sur les autres animaux et comment modifient-ils l'état sanitaire de la planète.
Philippe Grandcolas, (CNRS, Muséum d'Histoire naturelle) : "On sait que le virus qui provoque l’épidémie actuelle, le SARS-CoV-2, fait partie du genre Betacoronavirus. On sait aussi que des espèces de chauves-souris en abritent à l’état naturel un grand nombre et une grande variété. De son côté, une équipe de scientifiques chinois a réussi à isoler un virus chez les pangolins dont la séquence génétique est très similaire au SARS-CoV-2. Il y aurait eu alors, possiblement, une recombinaison génétique entre un virus de pangolin et un virus de chauve-souris. Ce phénomène, naturel, arrive souvent et peut avoir de lourdes conséquences. Il aurait ici permis au SARS-CoV-2 d’acquérir la capacité de rentrer dans les cellules humaines."
Pourtant le pangolin et la chauve souris ne partagent pas en général le même espace... sauf si l'homme les met en contact. Ce phénomène naturel est provoqué par la capture d'animaux sauvages, parfois par des populations dont la survie est précaire, mais dans la majorité des cas pour un trafic juteux qui repose sur le snobisme (consommer une chair rare), des superstitions que diffusent de pseudo médecines traditionnelles ou encore par une chasse parfaitement irresponsable. Il serait injuste de croire que ces phénomènes ne concernent que quelques pays exotiques d'Asie ou d'Afrique. En France, la chasse idiote des renards contribue à l'explosion des populations des petits rongeurs qui véhiculent tranquillement les tiques porteuses de la maladie de Lyme (environ 30 000 cas par an, un pourcentage de séropositivité à la bactérie pouvant atteindre 40 % dans le Grand est et le Massif central). On en meurt peu mais la vie en est profondément affectée.
La recherche sur les animaux et l'environnement pointe la responsabilité humaine dans l'émergence des zoonoses : destruction de l'habitat des animaux sauvages, loisirs intrusifs dans les lieux de reproduction, atteintes multiples à la biodiversité, commerce irresponsable, développement des élevages intensifs, véritables bombes sanitaires et qui sont aussi les lieux où l'usage massif de divers traitements induit des résistances aux médicaments que nous paierons cher.
Si le réchauffement climatique commence à être admis par l'opinion publique, la pression n'a pas été encore suffisante pour provoquer des changements significatifs de politique. L'indifférence au sort des animaux reste un marqueur de l'espèce humaine. On tolère des pratiques de chasse insupportables (piégeage, déterrage etc.), de pêche non sélective (à la baleine, pêche à impulsion électrique, filets surdimensionnés, etc.), l'élevage et l'abattage dans des conditions exécrables. Impossible de tout énumérer. Une partie de la population commence à prendre conscience de ces excès mais l'opinion dominante reste : l'humain d'abord. Les atteintes peuvent être plus insidieuses et tellement dispersées que lutter contre prendrait toute une vie : ici la construction d'un ensemble résidentiel sur un lieu de reproduction de salamandres, là une route qui traverse l'itinéraire adopté par des crapauds pour se reproduire, ailleurs un barrage qui ressurgit par la volonté de notables locaux dans un haut lieu de la biodiversité alors qu'il avait été interdit, ailleurs encore un contournement de ville qui détruit un écosystème riche de plantes et d'insectes rares...
Ne nous y trompons pas : les pandémies sont une petite partie du prix à payer pour notre aveuglement et notre asservissement à des croyances d'un autre âge. La planète ne supportera pas plus d'humains, surtout si nous continuons à confiner les pauvres dans des écosystèmes ravagés. L'enrichissement indécent de quelques uns au détriment de la planète n'est pas acceptable.
Le chemin risque d'être long. La vie sur terre a son propre rythme et nous n'en tenons pas compte. Aurons-nous le temps de changer ? Les pandémies sont des avertissements presque sans frais (la courbe de mortalité y compris celle du Covid 19 publiée par l'INSEE est plus basse que celle de 2018 sauf pour les derniers jours de mars). Il faudra bien sûr remettre sur pied une vraie politique de santé. Ce n'est pas gagné : le CHRU de Nancy, par exemple, s'apprête à continuer sa politique d'austérité (598 postes et 174 lits supprimés d'ici 2025). Mais il faudra aussi penser plus loin que le bout de notre nez et nous convaincre que défendre les écosystèmes, la faune et la flore c'est aussi notre intérêt bien compris.