2. La professionnalisation, enjeu de la transformation de l’école.
Le rapport porte en germe un débat qui ne cessera de s’amplifier jusqu’en 2002, puis déclinera relativement, effacé par d’autres préoccupations liées à la citoyenneté, à son éducation, au socle de compétences nécessaires, ainsi qu’à la diffusion d’une conception de la laïcité qui, loin de faire l’unanimité, place les enseignants dans une posture professionnelle difficile. Souvent raillée, l’affirmation de la professionnalité des enseignants a fait l’objet de nombreuses discussions, tantôt académiques (définition, sociologie…), tantôt militantes (pour ou contre, avantages/inconvénients du passage de la notion de métier à la notion de profession). Il s’agissait pourtant de reconnaître que l’enseignement et plus généralement l’éducation sont constitués par des pratiques étayées/questionnées par des connaissances théoriques et répondent à une demande sociale particulière à l’instar de la médecine ou de la justice. Enseigner ne peut se résumer à l’exécution d’actes prescrits. Ce qui, pour l’enseignement, signifie clairement que la maîtrise d’un savoir disciplinaire n’est pas suffisante. La conséquence logique était que la formation devait faire une place aux savoirs autres qu’académiques et comporter une articulation efficace entre pratique de terrain, analyse de cette pratique et références théoriques nécessaires à la compréhension des problématiques professionnelles. Six ans après le rapport de Peretti, le Rapport Bancel « Créer une nouvelle dynamique de la formation des maîtres » (octobre 1989) enfoncera à nouveau le clou (uniformisation des statuts, rationalisation de la formation, revalorisation des salaires) et s’appuira sur une définition des compétences… ce qui ne manquera pas de relancer les controverses sans que le ministère tranche fermement dans l’alternative savoirs académiques/compétences professionnelles dans le cadre de la formation. Notamment, l’analyse du travail, thème important de la recherche, trouvera une place, souvent remise en cause, sous la dénomination « analyse des pratiques »Ce débat culminera au moment de la création des IUFM (cf. Recherche & Formation, N°8, 1990).
Au moment du rapport de Peretti, l’identité professionnelle des enseignants est doublement marquée par le niveau d’enseignement (maternelle, élémentaire, second de gré) et pour les lycées et collèges, par la référence à la discipline d’enseignement. D’où un effet centrifuge : une césure majeure entre les professions de l’enseignement et de l’éducation, entre le premier et le second degré, entre les disciplines dites fondamentales et les autres… Le rapport préconise des mesures destinées à définir les professions de l’éducation non par ce qu’elles excluent mais plutôt par leurs complémentarités. Quatre orientations sont retenues : un niveau de recrutement identique, une formation de base commune à toutes les professions y compris celles de la direction et de l’administration d’établissement, l’introduction de nouveaux contenus dans la formation destinés à faciliter le travail en commun, un alignement des carrières.Il ne se limite donc pas à la formation professionnelle des enseignants mais s’étend à tous les personnels, l’intention étant de « renforcer les solidarités au sein du système éducatif » en homogénéisant les statuts et les formations initiales (durée, contenus et niveau : maîtrise pour tous). Le lien entre la formation et l’homogénéisation des statuts professionnels est considéré comme capital. Le rapport est contemporain d’un mouvement de recherche sur les professions et l’analyse du travail susceptibles de nourrir des prises de conscience et renouveler la manière d’aborder les problèmes du système éducatif. Il faudra pourtant attendre la Loi d’orientation de 1989 pour que l’unité des professions de l’enseignement soit enfin reconnue mais avec des réserves, notamment sur le régime des indemnités et des heures supplémentaires. Ce qui ne tardera pas à provoquer un décrochage des carrières. Quant à la formation de base commune, les IUFM ne parviendront pas à surmonter la césure entre le premier et le second degré. Les formations communes ne connaîtront qu’un succès mitigé, parfois parce que mal ciblées elles semblaient insuffisamment pertinentes, mais surtout en raison d’un corporatisme mal compris.
Les propositions concernant la formation me semblent très intéressantes car en prenant en compte la face cachée du travail des professionnels, en dehors de la définition des services en présence des élèves pour les enseignants, elles montrent que les exigences du travail éducatif sont très largement sous estimées et qu’un autre partage des tâches et des responsabilités est possible au sein des établissements. Par exemple, enseigner ce n’est pas seulement préparer ses cours, les conduire face aux élèves et corriger les évaluations. Les tâches considérées comme non nobles occupent une part importante : soit formelles (réunions de concertation, accueil des parents, conseils divers, rendez-vous extérieurs pour organiser des sorties ou des stages, formation…) soit informelles (conception des documents pédagogiques, échanges avec des collègues au cours desquels apparaissent des idées de projets communs, échanges avec les conseillers d’éducation ou avec l’administration, échanges avec les élèves hors de la salle de classe…). La récente crise due à la pandémie a révélé à quel point la non reconnaissance du travail de conception de documents pédagogiques, notamment numériques, utiles pour l’enseignement à distance était dommageable aux élèves - dans les cas où le présentiel est impossible mais aussi comme complément permanent à toute forme d’enseignement.
Consommatrices de temps, ces tâches sont indispensables à la bonne marche de l’établissement et pourtant elles ne figurent pas dans le calcul du service. Pour les éducateurs, une analyse plus fine du rapport entre « travail prescrit et travail réel » aurait permis de mieux accompagner la transition entre le métier de surveillant et la profession de conseiller d’éducation amorcée en 1970 ( décret n° 70-738 du 12 août ). Le référentiel de compétences du 1er juillet 2013, décrit une profusion de missions et/ou de tâches, toutes indispensables mais dont on a parfois peine à imaginer qu’elles puissent tenir dans un service de 40 heures hebdomadaires. Là aussi, on peine à trouver dans la transition effectuée de 1970 à 2013 unevéritable articulation avec le travail des enseignants sinon par défaut : faire ce que les autres professionnels ne font pas. Le conseiller principal d’éducation se voit transformé en personne à tout faire de l’établissement. L’avantage de mieux maîtriser la complémentarité des professions, telle que le rapport de Peretti la préconisait, serait de prendre en compte dans de meilleures conditions la personne des élèves dans sa globalité (André de Peretti était un ami d’Emmanuel Mounier et un familier du personnalisme) aussi bien dans le temps (continuité du suivi des études) que dans la dimension simultanée de la socialisation dans l’école ou dans l’établissement. Il faudra attendre le Rapport Meirieu :Quels savoirs enseigner dans les lycées : rapport final du Comité d'organisation (1er mai 1998) pour que soit officiellement réaffirmée la face cachée du travail pédagogique et que soit proposée une intégration négociée dans le calcul du service. Ce qui n’aurait été que justice, n’a pas soulevé l’enthousiasme des syndicats considérant qu’il y avait plus à perdre qu’à gagner dans cette opération menant à rendre transparente la diversité des degrés d’implication dans la vie de l’établissement...
Le refus de l’uniformisation des carrières de l’enseignement et le rejet d’une formation centrée sur autre chose que l’acquisition des savoirs disciplinaires aura la vie dure y compris dans les représentations d’une élite de gauche. C’est par exemple le cas de Laurent Schwartz (mathématicien,médaille Fields, frère ainé de Bertrand Schwartz, clairement engagé à gauche) qui soutient en 1991 un double refus à propos des missions des IUFM.
« L'égalitarisme s'étend aux enseignants ; l'avancement à l'ancienneté devient de plus en plus fréquent. On tente de remplacer la compétence par des qualités affectives, le dévouement, les qualités pédagogiques, qui sont bien évidemment indispensables. Mais les connaissances sont primordiales : on ne peut enseigner que ce que l'on connaît très bien. La pédagogie, si elle est exagérée, est une voie de facilité, et de plus une arme contre la compétence - arme qui a pour but de préparer le corps unique des enseignants de la maternelle à l'Université.
Dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), on donnera certes une grande importance aux connaissances et à la pédagogie, mais plus à la pédagogie théorique qu'à la formation pédagogique sur le terrain ; et on fera une part extraordinaire à la science didactique : les didacticiens ont largement "pris le pouvoir" dans les IUFM, on le leur a offert. C'est une forme d'égalisation des enseignants. La didactique n'est encore absolument pas une science. Hormis de peu nombreuses exceptions, les didacticiens ne sont pas des scientifiques, et leurs connaissances scientifiques (au sens large) sont faibles.
Si l'on ajoute que les IUFM forment ensemble les professeurs d'école, de collège et de lycée, on asservit, ne serait-ce que pour des raisons de nombre, les méthodes de travail et de formation des professeurs de l'enseignement secondaire à celles des professeurs d'école élémentaire. Or les formations nécessaires pour les uns et les autres n'ont rien à voir entre elles. Le secondaire sera écrasé par le primaire. Si le développement des IUFM se poursuit comme il a commencé, il mènera l'enseignement secondaire à un désastre sans précédent dans son histoire. » (Laurent Schwartz, in Le Monde de l'Éducation, septembre 1991, pp. 66-67).
Encore un rendez-vous manqué de la gauche avec l’école.