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Billet de blog 12 février 2022

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Les rendez-vous manqués de la gauche avec l'école (2/2)

Si on relie les pointillés des grands rapports sur l’éducation (de Peretti, Legrand, Bourdieu-Gros, Meirieu…) se dessine un changement de paradigme éducatif qui n’a jamais abouti à une réorganisation profonde du système éducatif resté profondément marqué par les conditions historiques de son émergence.

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3. Renforcer les solidarités professionnelles : une voie ouverte vers la collégialité ?

La décentralisation et la mise en réseau des ressources de formation visait à donner aux établissements les moyens de développer leur propre créativité et donc de leur permettre une forme d’autonomie en vue de s’ajuster aux réalités locales particulières. Cette perspective de bon sens ne mettait pas en question le service public mais au contraire répondait à ses principes fondateurs (Loi de Rolland) : la mutabilité et la continuité, sans remettre aucunement en cause le troisième, l’égalité et la neutralité, puisque les établissements et les écoles devaient toujours s’inscrire dans un même cadre institutionnel de gratuité et de laïcité. L’émergence d’une capacité d’organisation collective, une des finalités de la formation telle que le rapport de Peretti la propose, s’est heurtée à une double résistance :

- celle des politiques et de l’administration (centrale et régionale) soucieux de maintenir un pouvoir centralisé fort reposant sur une autorité hiérarchique descendante ;

- celle des personnels et de leurs représentants syndicaux considérant que le pouvoir d’auto organisation collective s’accompagne nécessairement d’une responsabilité accrue et d’une transformation de la profession, historiquement marquée par un schéma individualiste où le « travail en équipe » est requis mais reste subordonné à un engagement personnel.

Le discours supposé « républicain » qui met en avant non pas la continuité du service public mais l’uniformité des méthodes d’enseignement, quels que soient les élèves, met à mal le principe d’égalité. Car l’égalité du droit à l’éducation ne peut être garantie par une identité de traitement qui ne peut qu’avantager les enfants dont les familles disposent d’un capital culturel élevé. La différenciation pédagogique - qui n’est pas réductible à l’instauration de groupes de niveau ni à la définition de priorités territoriales – est au contraire à même d’identifier les différences et d’ajuster les pratiques en fonction afin d’assurer une véritable égalité des droits. Mais, et c’est là que le bât blesse, elle suppose une transformation importante de l’organisation des établissements et un ajustement des professions (cf. les établissements expérimentaux). Une sorte de coalition d’intérêts s’est formée contre ces transformations, cachée par une contradiction apparente entre pilotage centralisé et revendication de la « liberté pédagogique ». Il s’agit en fait de deux postures qui se disent de gauche mais au service d’intérêts opposés : l’exercice d’un pouvoir central toujours revendiqué par le politique au nom de l’unité républicaine, la défense d’intérêts corporatistes défendus par la plupart des syndicats. La part de la formation consacrée à l’acquisition des compétences nécessaires au travail en équipe (connaissance des fonctionnements institutionnels, pratiques de conduite de groupe, animation d’équipes...) et à l’organisation collégiale a souvent été tournée en dérision et n’a jamais conquis la place qui aurait dû lui revenir dans l’accompagnement de la démocratisation de l’éducation.

De sorte que Claude Pair (Directeur des lycées de 1981 à 1985) a pu constater en 2005 (23 ans après le rapport sur la formation des personnels de l’éducation) que, non seulement le pilotage concerté des établissements ne s’est pas installé mais qu’un ministre de droite a pu reprendre à son compte, dans un grand écart idéologique, à la fois la notion de liberté pédagogique et la culture du résultat : « Le contexte global est marqué par l'incertitude, la perte de confiance dans l'action des dirigeants, le desserrement des contraintes, la montée de l'individualisme et le développement de l'esprit critique... L'école n'incarne plus l'universel comme elle se plaisait à le croire. L'action politique a donc peu de prise. La LOLF i, sorte de "méta loi" se veut un élément de réponse. Pour l'Education nationale, outre un découpage en programmes pas très novateur, le premier paradoxe est que le rapport de performances des recteurs ou des IA (Inspections d’académie) repose sur des résultats obtenus au niveau de l'établissement, le second paradoxe est que cette culture des résultats se heurte à "la liberté pédagogique de l'enseignant" que proclame la loi Fillon. Elle semble se caractériser aussi par un pilotage hiérarchique descendant où des objectifs nationaux seraient fixés sans se soucier de leur mise en oeuvre. Il repose sur une conception de l'autonomie de type soviétique d'une responsabilité des unités de base sans pouvoir. Seul un pilotage concerté sera efficace. » (Claude Pair, intervention au colloque Education et Devenir, Enseigner : autonomie et responsabilité des acteurs, avril 2005).

En 2017, en s’appuyant sur le Code de l’éducation, le SNES-FSU revendique encore la liberté pédagogique, avec une argumentation quelque peu embarrassée - malgré l’appel à Condorcet - contre la professionnalisation de l’enseignement accusée d’être une vision libérale du métier et en même temps destructrice de la fameuse liberté pédagogique.

« En effet, cette liberté peut être prônée par les tenants d’ une vision libérale du métier qui rejettent l’idée d’un contrôle institutionnel. Mais cela revient à nier son rôle dans la défense de l’intérêt général et aussi à prendre le risque d’un contrôle par des groupes de pression défendant des intérêts particuliers.
Mais loin d’être un privilège corporatiste dénoncé par ailleurs, la liberté pédagogique est pourtant une responsabilité tout autant qu’une nécessité. Nécessité démocratique, inscrite dans le projet de Condorcet dès la Révolution Française, d’une indépendance du savoir et de sa transmission par rapport à l’autorité politique. » (SNES-FSU, Memento)

Pourtant la Loi d’orientation de 1989 proposait un outil important pour l’émergence d’une collégialité au sein des établissements et pour une meilleure communication avec les partenaires de l’école : le projet d’établissement. En effet, le projet d’établissement définit les conditions dans lesquelles les programmes éducatifs nationaux sont mis en œuvre. Il est censé exprimer la volonté d’une communauté particulière et assurer la cohérence de ses actions avec le contexte de l’établissement. Il ouvre la possibilité d’expérimentations sur 5 ans qui peuvent porter notamment sur l’organisation pédagogique, la manière de gérer le temps, des projets éducatifs divers... Il est prévu qu’il soit élaboré par les membres de la communauté éducative, sous la responsabilité du chef d’établissement et que les membres de la communauté peuvent consulter des partenaires extérieurs.

Mais pour que le projet d’établissement prenne pleinement son sens il aurait fallu que la communauté éducative dispose d’une véritable marge de liberté collectivement assumée (différente de la liberté pédagogique individuelle) pour s’organiser et éventuellement négocier des moyens en rapport avec son projet. Faute de la reconnaissance de cette marge, puis plus tard (Loi du 23 avril 2005) en raison des réticences de nombreux enseignants à reconnaître le Conseil pédagogique comme un véritable outil collectif, le projet d’établissement est devenu un acte administratif perdant sa portée souhaitée d’expression d’une volonté commune. La réticence vis à vis du Conseil pédagogique tenait à la manière dont le ministère refusait de faire désigner les membres de ce conseil par la communauté éducative, réservant cette désignation au chef d’établissement, refus qui a été interprété à juste titre comme un déni de démocratie. Pourtant ce conseil devait être la cheville ouvrière d’une réflexion sur la prise en charge éducative des élèves, cohérente avec les particularités locales. Préconisée dès 1982 dans le rapport de Peretti en relation avec une formation renouvelée, l’organisation pédagogique par la communauté éducative elle-même s’est enlisée dans une résistance multiforme y compris à gauche. Rendez-vous manqué avec une approche novatrice de l’« efficacité » du service public qui permet au ministre actuel, de retourner la notion d’autonomie - selon un processus linguistique qui lui est familier - en son contraire. Pour lui l’autonomie repose sur une autorité renforcée du chef d’établissement ou du directeur d’école et l’ obligation de résultats dans un cadre non négociable…

Conclusion

Au début du mandat de François Mitterrand se sont exprimées des visions novatrices de l’école, en partie soutenues par les avancées de la recherche sur la pédagogie, l’analyse du travail et la formation professionnelle. Mais, il est rapidement apparu qu’un malentendu traversait les représentations de l’école. Toute une partie de la gauche est restée idéologiquement proche des présupposés de la création de l’école républicaine. Celle-ci devait, pour s’installer durablement, combattre un ennemi identifié comme le vecteur de la réaction : l’école des congrégations. D’où une instrumentalisation des enseignants bien résumée par l’expression de Charles Péguy : « les hussards noirs de la République» en référence à l'escadron de cavalerie constitué pendant la Révolution en 1793, créé alors que l’existence même de la France se trouvait menacée. A côté de cette représentation combattante de l’école, existait une autre représentation, volontairement apaisante, celle de la neutralité idéologique et de l’égalité des droits à l’éducation. Le lien entre les deux courants s’est fait par la revendication d’un idéal méritocratique (dont les nouveaux enseignants étaient pour la plupart les bénéficiaires) revendiqué par les instituteurs qui y trouvaient une justification forte et un sens profond à leur engagement professionnel. En retour, ils étaient investis d’une autorité morale, intellectuelle et civique.

Mais l’évolution de la société, accélérée au lendemain de la seconde guerre mondiale, a introduit une distorsion que la gauche a tenté de prendre en compte mais sans véritable continuité, tant des contradictions se sont fait jour en son sein et tant la pression des idéologies droitières se sont progressivement imposées y compris dans le langage courant. L’exemple le plus flagrant est la fortune de l’expression « égalité des chances » - terme utilisé pour répondre à la théorie de l’inégalité des chances de Raymond Boudon, chantre de l’individualisme méthodologique dont Pierre Bourdieu a montré l’insuffisance explicative face aux phénomènes sociaux de masse. Ce terme s’est imposé y compris à gauche avec tout ce qu’il véhicule d’idéologie individualiste, de pseudo volontarisme et au final de reconnaissance du bien fondé de la sélection sociale, la chance étant un euphémisme ayant pour effet de cacher l’avantage que représente un capital social élevé.

Les représentations traditionnelles de l’école ont été mises en question sans être remplacées par des représentations aussi fermement articulées qu’au début du XXème siècle. L’élévation du niveau d’éducation de l’ensemble de la population a réduit l’avantage des enseignants dans ce domaine. Des changements majeurs dans les mœurs ont multiplié les références de l’autorité morale : l’école n’est plus la seule arbitre et elle doit composer avec d’autres autorités installées elles aussi dans le champ de l’éducation et même de la transmission du savoir, les familles populaires qui adoptent un comportement de consommateur d’école (cf. Robert Ballion), les associations diverses, les autorités religieuses qui reprennent progressivement pied dans le domaine éducatif suite à l’échec d’Alain Savary, avec une accélération en ces temps pré électoraux (voir la nomination de Mark Sherringham à la tête du Conseil national des Programmes)... Enfin, l’instrumentalisation cynique par certains politiques de l’éducation civique donne le sentiment à beaucoup d’enseignants d’être en fin de compte lâchés par l’institution. L’assassinat de Samuel Paty, le suicide de Christine Renon sont autant d’évènements qui ont marqué la profession comme la preuve que finalement chaque professionnel est seul face à ses problèmes.

Si on relie les pointillés des grands rapports sur l’éducation (de Peretti, Legrand, Bourdieu-Gros, Meirieu…) se dessine un changement de paradigme éducatif qui n’a jamais abouti à une réorganisation profonde du système éducatif resté profondément marqué par les conditions historiques de son émergence, et sans que lui soient donnés les moyens de son ajustement aux nouvelles exigences de la démocratisation. Profondément, bien au-delà des changements dans les programmes ou dans l’organisation des études, au-delà de l’introduction du numérique dans les supports d’enseignement, c’est la méfiance réciproque des parties en cause dans les processus éducatifs qui semble déterminante : méfiance du pouvoir centralisé, appuyé sur une hiérarchie descendante envers les acteurs locaux dont les marges d’initiative sont réduites, méfiance des professionnels de l’éducation qui, soumis au rythme rapide des réformes, évaluent ce qu’ils risquent de perdre dans un changement avant de chercher ce qu’ils peuvent y gagner, méfiance des familles favorisées qui se donnent le luxe d’abandonner l’école publique et de jouer la concurrence avec l’enseignement privé, tandis que la méfiance des familles populaires se traduit par un repli critique et, souvent, un faible soutien à l’école publique, pourtant leur meilleur atout dans l’accession au savoir de leurs enfants.

Finalement, en utilisant ce qui s’apparente dans ce cas précis à un oxymore - L’Ecole de la Confiance – (oxymore si l’on compare son action effective avec ses déclarations), Monsieur Blanquer a mis le doigt sur le vrai problème de l’école, le manque de confiance. Il est vrai que le manque de confiance risque de devenir, aux yeux des historiens futurs, la marque particulière de la société française dans ce début de XXIème siècle.

i LOLF : Loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Elle a réformé en profondeur la gestion de l'État en consacrant la pré éminence des objectifs et des résultats chiffrés.

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