Si on fait le bilan des articles de Médiapart consacrés à la présidentielle au 20 février 2022 (« Présidentielle 2022 »), à partir des titres des articles et des caricatures en remontant au 1er février, on obtient un score intéressant sur la manière dont les candidatures sont traitées par le journal.
Le Pen : 9 (y compris des caricatures et des articles partagés)
Macron : 7 (non encore candidat mais il est vrai président en exercice)
Pécresse : 6 (y compris les articles qu’elle partage avec d’autres candidats)
Zemmour : 6 (y compris des caricatures et des articles partagés)
Mélenchon : 3 (trois articles d’analyse assez fouillée)
Jadot : 2 (plus un article fumeux parce qu’imprécis, sur une supposée offre de EELV, de 150 000 euros, à l’initiative d’un des proches de Yannick Jadot, contre on ne sait pas trop quoi à la Primaire populaire, initiative qui n’a semble-t-il pas reçu l’aval du candidat, - du moins ni l’auteur de l’article ni Mathieu Dejean n’en apportent la preuve - mais que Médiapart s’empresse de présenter avec une photo de Yannnick Jadot en son centre. Ah ! les messages subliminaux…)
Taubira : 1
Kazib : 1
Roussel : 2 (caricature, plus un état de ses présences en tant qu’assistant parlementaire jusqu’en 2014)
Poutou : 1 (caricature)
Hidalgo : 0
Bien sûr, il faudrait tenir compte des autres articles qui ne sont pas comptabilisés dans la campagne présidentielle mais qui évoquent les actions, les propos des candidats pour diverses raisons. Mais alors le comptage explose en faveur de quelques uns des candidats qui sont aux commandes de la politique (Macron, Pécresse) ou qui ont fait le choix du spectacle (Zemmour, Mélenchon, Pécresse), certains candidats, considérés comme « petits » n’ont droit qu’aux miettes. Et encore, la télé fait mieux, si on peut dire, (voir le classement d’audience établi par Le Monde, l’hôpital qui se moque de la charité). Le numéro de Jean-Luc Mélenchon (avant le 1er février, donc non comptablisé ci-dessus) a été une opération de pub très réussie - comme il y a 5 ans les hologrammes qui lui ont valu pas mal d’articles - comportant des méditations profondes sur la diffusion des parfums !
Il est vrai que les articles de Médiapart ne sont pas tous élogieux sur les candidats - c’est un euphémisme - mais on sait que dans le contexte hyper médiatisé de la campagne, il vaut mieux que l’on parle de vous plutôt que l’on vous oublie… Que l’on parle de vous, en bien ou en mal, peu importe. Le nombre d’occurrences vous confère une crédibilité.
Le lecteur de Médiapart, j’ai le regret de le dire, est pris dans le flot de l’actualité qui bénéficie aux personnalités qui font du bruit, pas aux idées. Après avoir commenté le programme de Yannick Jadot comme étant de centre gauche sur les questions sociales (bon, ça ne saute pas aux yeux), on n’entend plus parler de lui jusqu’à cet article de Mathieu Dejean, chef d’œuvre du parler pour ne rien dire. Si le lecteur n’a pas vu l’émission de télé en question, il est clair qu’il n’en saura pas plus. De même, s’il n’a pas lu les 120 propositions d’EELV, ce n’est pas dans ce texte qu’il va trouver quelque chose à se mettre sous la dent...
Je me suis livrée au petit jeu de la lecture des commentaires qui sont révélateurs de la manière dont les articles sont reçus. L’article de Mathieu Dejean suscite, à l’heure où je les ai lues, essentiellement des réactions sur la personne de Monsieur Jadot et sur le fonctionnement de EELV. Ce qui n’est pas le sujet évidemment. Les considérations sur Yannick Jadot sont intéressantes car elles donnent à voir ce que les lecteurs de Médiapart attendent d’un/une homme/femme politique. On aurait pu s’attendre à ce qu’un électorat plutôt de gauche s’intéresse plus aux idées qu’à la psychologie supposée d’un candidat. Pourtant, de nombreux commentaires tournent autour de l’idée que Monsieur Jadot ne serait pas à sa place. Les plus clairs l’accusent de n’avoir pas la « stature ». C’est assez amusant. Quel candidat a la stature dans le groupe des plus connus : le non candidat Macron qui avoue vouloir « emmerder » une partie de la population, dans la plus pure veine sarkozyste ? Mesdames Pécresse et Le Pen qui ne cessent de raconter n’importe quoi et de rétropédaler quand ça devient trop voyant ? Monsieur Zemmour tout bardé de haine et qui ment effrontément sur les chiffres et les faits ? Monsieur Mélenchon qui est capable de perdre ses nerfs en public lorsqu’il est mis en difficulté ? Personnellement j’ai un doute.
Par ailleurs, on trouve dans les commentaires quelques considérations générales sur l’écologie et EELV : l’écologie appartient à tout le monde. Exact, mais tout le monde n’est pas aussi pertinent sur la question. Par exemple, si la chasse était interdite le week end comme le préconise Yannick Jadot, la randonneuse du Cantal qui a été tuée par une gamine de 17 ans munie d’un fusil serait encore en vie. Des considérations sur les dissensions entre les verts : exact, les verts ont le talent de se tirer dessus entre eux et ce depuis longtemps. Mais ce qui est nouveau avec Monsieur Jadot c’est qu’il a su rester calme dans la tempête face à Sandrine Rousseau qui n’est pas des plus commodes à vivre et qui ne se prive pas de marquer sa différence y compris quand cela risque de désavantager le candidat. Il est vrai qu’à ce sport, la plupart des partis (sauf LFI) excellent. Un commentaire suggère même une alliance Rousseau/ Mélenchon au titre d’une radicalité partagée. Ce serait amusant.
Quant à Anne Hidalgo, elle est simplement hors jeu. Les seules mentions que la presse daigne lui consacrer concernent les défections de son propre camp. Je n’ai guère de sympathie pour le PS et ce qu’il est devenu au cours des 20 dernières années. Mais je ne peux m’empêcher de considérer que face à Madame Pécresse, Madame Hidalgo n’a pas démérité dans sa gestion de Paris alors que celle de l’Ile de France est pour le moins douteuse sur à peu près tout et pas seulement par incompétence (voir le rappel du préfet de région sur les prérogatives des présidents de régions qui ne s’étendent pas à la police, celle-ci relevant de l’autorité du préfet). Mais là aussi blocage. Quant aux « petits » candidats, ils n’existent tout simplement pas. Si on connaît un peu les arguments de Monsieur Poutou ou de Madame Arthaud, on ne sait rien de Monsieur Kazib par exemple. Or, dans ma banlieue, il semble que des jeunes (qui d’ordinaire ne votent pas) s’intéressent vraiment à lui. Le Monde a eu le bon goût de publier son programme. Certes, il n’est pas vraiment abouti (euphémisme) mais il propose un certain nombre d’idées qui font mouche auprès des jeunes et des personnes qui se sentent marginalisées. Il a le mérite de sortir des rangaines dont Monsieur Poutou se contente et il me semble que lui accorder une place permettrait de mieux comprendre le point de vue d’une partie de ceux qui ne se sentent pas concernés par l’élection présidentielle.
En réalité, tout se passe comme si les journalistes et les rédactions avaient fait un choix a priori des candidats dignes d’avoir la parole. Médiapart n’échappe pas complètement à ce phénomène : que vient faire dans l’article de Mathieu Dejean ce paragraphe qui compare Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, non pas sur les idées mais sur la tactique de campagne, comparaison dont Jean-Luc Mélenchon sort victorieux en raison du spectacle qu’il donne à voir. J’attends mieux du journal qui n’appartient qu’à ses lecteurs. Il faut remarquer la différence avec l’article de Fabien Escalona sur la politique étrangère vue par Jean-Luc Mélenchon, qui rapporte des propos précis et passe en revue les principales prises de position du candidat. Du vrai travail de journaliste en somme. Qu’un journaliste ait des opinions, rien de plus normal mais à condition que son point de vue soit fondé sur autre chose que sur de la rumeur ou des impressions, même partagées. Les jugements posés en l’air et les bons mots qui frappent, notamment dans les titres dont on sait qu’ils orientent la lecture, ne sont que des partis pris, pas des analyses.
Pour terminer , comme Mathieu Dejean n’a pas daigné nous en parler, je vais retourner à l’émission de France 2. En fait, la prestation de Monsieur Jadot a été plutôt bonne. En particulier, il ne s’est pas laissé embarquer dans les délires anti immigrés de Jordan Bardella mis là pour faire du bruit. "Les migrants ? Qu'en disent les agriculteurs qui les emploient ? Les 40 000 infirmières migrantes qui nous permettent de sauver la vie des Français ? Les migrants qui travaillent pour les entreprises de sécurité ? Vous les mettez dehors." Il a critiqué très justement la politique étrangère de Monsieur Macron, aussi bien dans le contexte néo colonial du Mali que dans celui de la nouvelle guerre froide avec la Russie. Il avance des idées pour sortir les jeunes du marasme dans lequel les politiques de ces dernières années, conjuguées avec la crise sanitaire, les a plongés. Sur le nucléaire, il propose un scénario de sortie nettement plus adapté que la consultation proposée par Jean-Luc Mélenchon dont on peut prévoir d’ores et déjà qu’elle nous replongerait dans le nucléaire pour encore pas mal de temps. Si on avait soumis la peine de mort à référendum, il est probable que l’on aurait coupé des têtes encore longtemps. Yannick Jadot propose de mettre fin à la domination des véhicules thermiques sans passer par la case pénalisante de l’augmentation de prix de l’essence, mesure idiote qui fait comme si les gens avaient le choix. Il propose une hausse du SMIC assortie de négociations différenciées selon les secteurs, pour diminuer le temps de travail (voie différente de celle de Martine Aubry), une question devrait devenir centrale. "On a l'une des plus grandes productivité au monde; Et vous avez beaucoup d'entreprises qui sont en train de passer aux 32 heures parce que ça correspond, au fond, à l'envie des françaises et des français, des salariés, de mieux équilibrer leur vie privée."
France Info a passé au crible du vrai/faux ses propos de ce soir-là. Je ne suis pas très favorable à cette marotte qui consiste à dissocier une proposition de son contexte pour la juger vraie ou fausse. Trop court, trop réducteur. Il n’empêche, Monsieur Jadot s’en sort plutôt bien. Il dit donc vrai, ce qui n’est pas si commun chez ses concurrents. Mais, Mathieu Dejean ne lui en sait même pas gré donc les lecteurs déjà refroidis par le titre, n’en sauront rien à moins qu’ils aillent voir ailleurs. Le candidat Jadot n’a pas la verve du tribun, il ne se fâche pas, il ne joue pas les gros bras, n’insulte pas, « il ne fait pas de vague » selon le mot de Mathieu Dejean… donc il n’« imprime » pas. Car l’époque n’est pas aux idées mais à la faconde, à l’évènement fugace, bref aux paillettes qui brillent et occupent, comme la pub, la part de cerveau disponible de l’électorat. Par un singulier retournement, ne pas faire de vague est compté comme un reproche et justifie « l’invisibilité ». Il faudrait peut-être s’interroger sur l’invisibilité organisée autour de certains candidats, qui certes comme Monsieur Kateb n'ont aucune chance mais qui font partie du paysage des opinions. De plus EELV ayant peu d’élus à l’Assemblée et au Sénat (les grandes villes ça ne compte pas) n’a qu'une faible subvention de l’État. L’époque est aux gros budgets assurant à des candidats sans parti véritable comme Messieurs Macron et Zemmour les moyens d’une bonne audience. Au passage rappelons qu’il existe des propositions de réforme de financement des élections et des partis, dont celles de Julia Cagé, cruciales pour la démocratie. Ce serait bien de s’en préoccuper avant que Monsieur Bolloré ne propulse son poulain à la tête de l’État.