Le deuxième rendez-vous manqué de la gauche avec l’école est celui de la formation professionnelle des personnels de l’éducation.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la formation professionnelle apparaît avec force comme un enjeu pour la reconstruction économique du pays. Les entreprises sont demandeuses de formation, notamment pour leurs cadres. Des organismes de formation se créent ou voient leur activité se développer. C’est ainsi que la CEGOS (Commission d'Étude Générale d'Organisation Scientifique), devenue une association loi 1901 en 1948, intervient aussi bien en entreprise qu’au sein des administrations. Elle est porteuse d’une culture nouvelle sur la formation largement inspirée de la psychosociologie nord américaine et des travaux de Carl Rogers sur la non directivité. Sous l’influence décisive de Bertrand Schwartz, - inspirateur de la Promotion Supérieure du Travail (PST), directeur du CUCES créé en 1954 (Centre universitaire de coopération économique et sociale) puis de l’INFA (Institut national pour la formation des adultes) en 1963, fondateur de la revue Education permanente1 - excusez du peu – ainsi que de chercheurs du CNAM, la recherche sur la formation des adultes et la diffusion des pratiques connaît une effervescence inédite. Des expériences nouvelles sont observées, analysées. Des conclusions importantes sont tirées. Des méthodes de travail pour ce qui a été un moment désigné sous le nom d’« andragogie », validées.
L’État se tient à distance prudente du courant le plus novateur de la formation professionnelle et préfère, en formation initiale, pour ses personnels des solutions du type école : ENA (Ecole nationale d’administration) en 1945 pour les hauts fonctionnaires, IRA (Instituts régionaux d’administration) en 1966 pour les cadres régionaux. La CEGOS et quelques organismes de formation interviennent ponctuellement en formation continue sur des objectifs prédéfinis par les institutions.
La formation continue s’organise.
En 1971, paraît la Loi sur du 16 juillet 1971 : n° 71-575 portant organisation de la formation professionnelle continue - premier volet - dans le cadre de l'éducation permanente – second volet prévu, jamais paru. Les remaniements ultérieurs de la loi resserreront progressivement la formation continue sur l’emploi (ou la recherche d’emploi). Resserrement jugé légitime par les entreprises qui financent la formation par le biais d'un impôt. L’éducation permanente (dont certains promoteurs sont inspirés des analyses d’Ivan Illich) ne connaîtra que des organisations partielles qui ne bénéficieront pas du financement par l’impôt. Néanmoins, cette loi, même réduite à sa stricte dimension professionnelle, contribue à conforter la place de la formation des adultes et à ouvrir un espace nouveau de réflexion sur les pratiques, les enjeux et les effets de la formation. Bref un vent nouveau souffle sur la formation.
Dans le même temps, l’Education nationale campe sur ses positions.
La formation initiale des enseignants du second degré reste presqu’exclusivement académique : elle consiste essentiellement en préparations aux concours et porte sur les savoirs disciplinaires que ce soit dans les Ecoles normales supérieures (Ulm, Sèvres, Saint-Cloud, Fontenay) ou dans le cadre des Instituts de préparation aux enseignements de second degré (IPES), implantés dans les facultés créés en 1957 et supprimés en 1979. Les écoles normales continuent à former les futurs instituteurs et proposent une année de stage en école après le bac. Dans tous les cas, les élèves fonctionnaires sont rémunérés, avantage extraordinaire si l’on songe à la situation de la plupart des étudiants, avantage qui a fait de ces lieux de préparation aux concours un outil de promotion sociale important pour la petite classe moyenne.
Les compétences professionnelles sont supposées s’acquérir
1. sur le tas par la pratique,
2. lors de conférences pédagogiques organisées par le corps d’inspection et souvent confiées à des conseillers pédagogiques.
La formation se déroule dans des Centres pédagogiques régionaux (CPR) créés en 1952. Une étude 2 montre que la formation dite de pédagogie générale (supposée professionnelle) occupe une place très variable d’un CPR à l’autre – de rien à quelques heures de conférences - et peut proposer des contenus allant de la sensibilisation aux techniques audiovisuelles, au travail de l’élève, à la psychologie de l’adolescent… Les Centres régionaux de documentation pédagogique créés en 1955 regroupent des ressources pour les enseignants (bibliothèques, cinémathèques, voire musées pédagogiques) sous la tutelle des recteurs.
Pourquoi présenter ce contexte diversifié ? C’est parce que cet horizon contribue à la compréhension de ce qui se joue au niveau de l’Education nationale à l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Il permet aussi de mesurer la difficulté que cette institution a rencontré pour s’aculturer à des conceptions formées au sein des entreprises et de l’administration dans un contexte de reconstruction économique et sociale. Pourtant, dès son arrivée au ministère de l’Education nationale, Alain Savary, conscient que la formation des enseignants est un enjeu majeur pour accompagner l’évolution du système éducatif, commande un rapport sur cette vaste question. Pour mener à bien cette mission, il choisit un homme qui se trouve à l’intersection des mondes de l’entreprise, de l’administration d’État et de l’éducation : André de Peretti. Ce rapport va insérer un coin dans les représentations dominantes au sein de l’appareil éducatif car pour le rapporteur, la formation ne sera plus seulement académique – centrée sur la maîtrise des savoirs disciplinaires - mais aussi professionnelle ; l’évolution de la profession des enseignants aura partie liée avec celle de toutes les autres professions de l’éducation. C’est donc une vision d’ensemble que va proposer le rapport rendu au ministre en février 1982.
La gauche aura du mal à assumer l’héritage de ce rapport qui heurtera les traditions centralisatrices et la manie hiérarchique du ministère. Mais surtout à terme, si toutes les conséquences avaient été tirées, elles auraient dû conduire à un réajustement de toutes les professions, enseignants, éducateurs, cadres. Les freins ne sont pas venus que de l’administration et des ministres. Ils ont été diffus dans toute l’institution, en particulier des syndicats, avec des nuances importantes entre eux selon leurs sensibilités politiques. Ils ont conduit à ne réaliser que des avancées partielles, sans véritable coordination d’ensemble de toutes les professions.
Ce réajustement est plus que jamais au cœur de la question scolaire. En février 2022, cela ne fera jamais qu’un retard de 40 ans.
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1 Conseiller technique au ministère de l’Education nationale (1968), puis conseiller pour l’éducation permanente (1969), et directeur du projet Education permanente du Conseil de l’Europe.
2M. Tixeront, N. Leselbaum, La formation des enseignants du secondaire. Quels enjeux ?, Recherche et formation, 1987, 1, 37-49)