Pourquoi la gauche radicale européenne utilise-t-elle de plus en plus le combat contre l'UE et l'euro pour chercher le salut ? Voici la traduction de cette passionnante analyse de Matthias Krupa paru dans l’hebdomadaire allemand DIE ZEIT
À la fin, ils ont en effet chanté l'Internationale, les membres du Parti de gauche français, réunis à Toulouse le week-end dernier. Avec le poing levé, comme il se doit, c'est la lutte finale. Le chef du parti n'a manqué aucune occasion de déclarer la guerre à l'internationalisme réellement existant - l'Union européenne. La France n'est plus "une nation indépendante", selon Jean-Luc Mélenchon. Le peuple français doit une fois de plus décider pour lui-même. "Entre l'euro et la souveraineté, nous nous décidons pour la souveraineté!"
Dans certaines parties de la gauche européenne, le discours se radicalise, depuis qu’Alexis Tsipras a adopté en juillet un nouveau programme d'aide et les conditions qui vont avec. Un nationalisme de gauche, qui dénonce l'UE comme l’exécuteur glacial d'un néolibéralisme sans bornes, émerge.
Le Président du parti de gauche français n’est pas seul avec sa rhétorique. Même en Allemagne, Sarah Wagenknecht a saisi l’occasion de la toute dernière décision sur la crise grecque pour remettre en question fondamentalement l’UE. Pour la future présidente du groupe de die Linke au Bundestag, tout indique que « c’est toujours plus d’intégration (européenne) qui liquide toute souveraineté nationale ». L’ancien ministre grec des finances, Yanis Varoufakis a, dans DIE ZEIT (n°29/15), accusé Wolfgang Schäuble de « mettre fin à la souveraineté du peuple européen » à travers son plan de mettre en place un ministre européen des finances. En Grande-Bretagne, la nouvelle star de la gauche et possible nouveau président du Labour, Jéremy Corbyn, a longtemps joué avec le fait qu’il n’était pas fixé, refusant de s’engager dans la lutte pour ou contre la sortie de son pays de l’UE. Maintenant il veut y rester, mais seulement pour revenir en arrière sur l'intégration du marché. Que la gauche accompagne le processus d’intégration européenne avec des sentiments mitigés, n’est pas nouveau. Depuis la création du marché unique européen au début des années 90, des soupçons de néolibéralisme renforcé pèsent sur l’Union européenne. Lorsque la France et les Pays Bas ont tenu leur référendum sur le traité de constitution européenne en 2005, non seulement Mélenchon, encore membre chez les socialistes français, luttait contre, mais les socialistes hollandais ont également voté Non.
Ce qui est nouveau, c’est que la gauche radicale joue ouvertement et résolument la carte nationale. Le rétablissement d’un cadre national, dans lequel ils peuvent imposer leur approche politique et économique - c’est l’enseignement qu’ils tirent de la crise de l’euro et de l’échec de la tentative de Syriza de pousser l’UE à gauche. Au cœur du nationalisme de gauche se trouve un souverainisme surchargé de repli et de nostalgie. La renationalisation des banques et des entreprises, comme l’exige Jeremy Corbyn du Labour, s’accompagne de la renationalisation de la politique.
Aussi le nationalisme de gauche a-t-il un argument récurrent qui à première vue semble au-dessus de tout reproche, celui de la démocratie. Il y a quelques temps, le politologue Gerrit Voerman analysait comment la démocratisation et non plus la socialisation devenait le principal centre de gravité idéologique de la gauche. Il dit : « la gauche croit que l’Etat démocratiquement légitime doit protéger son pouvoir contre une Union européenne intrusive ». C’est ainsi qu’argumentent également aujourd’hui Wagenknecht, Varoufakis et Mélenchon. A leurs yeux, seul l’Etat-nation peut conserver la légitimation démocratique qui manque prétendument à la politique européenne. Le fait qu’ils se rapprochent aux plans rhétorique et idéologique de l’extrême droite, ne semble pas les troubler. « Pas de diktat de Bruxelles », tel est le slogan qui unit les nationalistes de gauche et de droite.
Le joug, sous lequel les peuples européens souffrent d’après les nationalistes de gauche, c’est l’euro. Sur ce point, ils pénètrent dans le territoire de représentants de l’extrême droite, comme Marine Le Pen ou Geert Wilders. Les appels à un « Grexit de gauche » retentissent de plus en plus forts. En d’autres mots, une sortie de l’union monétaire que la Grèce choisirait elle-même, pour reconquérir sa souveraineté (économique) politique. Ce n’est pas par hasard que « pour ou contre l’euro » soit la ligne de rupture sur laquelle Syriza s’est divisé.
Mélenchon parle de « rupture » qu’il voit maintenant nécessaire. Le 12 septembre, il veut en discuter à Paris avec Varoufakis et Oskar Lafontaine – une petite internationale des nationalistes de gauche.