Afin de clore les débats parlementaires, le Gouvernement a décidé de dégainer le 49-3, l’un des articles les plus détestables de la constitution de 1958, pour faire passer au forcing sa loi sur le travail. Qu’un gouvernement socialiste utilise un tel moyen pour faire adopter une loi sur le travail 35 ans exactement après l’élection de la gauche à l'élection présidentielle et l’année du 80e anniversaire du Front Populaire, c’est tout simplement inacceptable. On me rétorquera que Michel Rocard a eu recours de nombreuses fois au 49-3, et alors, est-ce une raison ? Aujourd'hui, cet article apparaît comme archaïque.
Et pour cause, nous sommes arrivés à la fin du système de la Ve République, dans les fuites duquel s’engouffre le Front National. Le plus grave est bien de faire passer au forcing – et en toute légalité - une loi en ayant recours à un article de la constitution qui met fin violemment au débat parlementaire.
Notre pays va mal, certes François Hollande a hérité d’une politique économique désastreuse où la droite a laissé une dette qui se chiffre en centaines de milliards d'euros. Il a dû faire face à deux actes terroristes sans précédent contre notre pays en 2015. Il faut tenir compte de tout cela. Aussi aurait-il fallu apaiser le pays, rassembler. Au lieu de cela nous avons eu l’épisode tragique de la déchéance de la nationalité, que de nombreux concitoyens binationaux ont vécu comme une insulte irrémédiable, et qui a brisé la gauche. C'est sous François Hollande que la France a abandonné son statut de terre d'accueil à Angela Merkel et Matteo Renzi, alors que ces trois dirigeants auraient pu jouer ensemble un rôle moteur en Europe dans l'accueil des réfugiés. Le recours au 49-3 pour la loi travail a divisé profondément la gauche. Tout ceci a comme conséquence que les quelques progrès et avancées réalisés par ce Gouvernement sont passées sous silence, voire balayées. Même si des ministres font des choses positives, le rejet de ce gouvernement est tel, qu'ils sont inaudibles, sauf ceux - ou celui - que les médias courtisent. Et quoi qu'il fasse, il sera encensé par le monde médiatique. Vous avez compris, il s'agit d'Emmanuel Macron.
Le fossé se creuse de plus en plus entre le gouvernement, les partis politiques et les citoyens. La droite revancharde ne nous promet pas des jours meilleurs, bien au contraire, c'est une vraie purge qui nous attend ! Les partis politiques de gauche ne sont plus crédibles: le Front de Gauche est dans l'opposition systématique, allant même jusqu'à voter la motion de censure de la droite, le PS est encore une machine qui résiste et ce, uniquement parce qu'il n'est pas un parti de militants, mais d'élus, donc une machine à promouvoir et à investir des professionnels de la politique, les écologistes sont coupés en deux, entre EELV qui se replie sur sa base identitaire en lorgnant sur la gauche de la gauche et l'UDE/les Ecologistes qui, au lieu d'être dans le rapport de force avec le PS, colle à ce parti. Et pourtant, il y a un espace énorme pour l'écologie pas seulement en France, mais aussi en Europe. Le score du candidat à l'élection présidentielle autrichienne et les sondages à deux chiffres des Grünen le montrent, pour ne prendre que ces deux exemples. Pas étonnant en France que les gens foncent tête baissée vers ce parti xénophobe, anti-européen et d'extrême droite qu'est le FN, pas étonnant non plus que des initiatives sous une forme nouvelle émergent à gauche comme "Nuit debout". Mais on ne sent pas dans le pays un mouvement très fort naissant qui permettrait de débloquer la situation. On risque plutôt d'avoir un score élevé de Marine Le Pen et aussi de Jean-Luc Mélenchon, des candidats exclusivement protestataires et anti-européens.
Le recours au 49-3 pour la loi travail prive les citoyens de l'expression démocratique qu'est le Parlement. Ce passage en force, inconcevable chez nos voisins et encore plus Outre-Rhin, a comme effet de museler la représentation nationale et de conforter le caractère vertical de la Ve République où les citoyens ont l'impression que les choses se décident vraiment sans eux. La Ve République craque de toutes parts, mais les deux grands partis veulent maintenir ce vieux machin tel quel et coûte que coûte, en lui tordant le cou.
Après on s'étonne qu'une motion de censure de gauche a failli être déposée, il lui manquait deux voix. Cela peut paraître bizarre, mais il n' y a rien d'étonnant. Elle ne serait pas passée, mais il aurait été important qu'elle puisse être déposée, rien que pour donner un signal. Si d'ailleurs on ajoute les Aubrystes ainsi qu'Anne Hidalgo, qui n'ont pas signé la motion de censure de gauche, mais qui sont aussi fortement opposés à cette loi, cela fait beaucoup d’opposants au sein du PS. Le Président et le Gouvernement sont donc bien seul, et ils le savent. C'est dans leur profonde solitude qu'ils ont brandi cette "arme des lâches" qu'est le 49-3- pour prendre l'expression de Dany Cohn-Bendit. C'est un vrai désastre politique.
L'autre désastre, c'est la précipitation du groupe Front de Gauche et de deux malheureux petits députés écologistes dans les bras de la motion de censure de la droite revancharde et ce, en compagnie du FN. C'est indigne, ils se mettent à soutenir ce qu'ils combattent habituellement, sont de fait d'accord avec la droite qui considère que la version actualisée du texte de loi travail ne répond plus aux intérêts du Medef. Ils se rangent ainsi derrière les programmes de la droite revancharde qui sont de vraies purges, comme celui d'Alain Juppé : suppression de l'ISF, la sortie des 35 heures avec "référence du travail à 39 heures", l'âge légal de la retraite à 65 ans etc... Si cette droite arrive au pouvoir, elle revisitera à fond le code du travail. Il suffisait d'écouter le discouurs de Christian Jacob, président du groupe LR. Situation pathétique et cela faisait mal, lorsqu'André Chassaigne, annonçant que le groupe Front de Gauche allait voter la motion de censure de la droite, a été applaudi par les députés LR Il faut être droit dans ses bottes, aveuglés par la pureté idéologique, pour en arriver à voter un texte complètement à l'opposé des valeurs de la gauche et des écologistes et ensuite continuer de donner à la terre entière des leçons de gauche. Et bien, non, c’est une chose qui ne s’oublie pas.
Ces deux désastres politiques auxquels s'ajoutent le fait que la gauche de la gauche est dans la protestation pure, pour le retrait de la loi sans l'accompagner de proposition alternative, me font dire: Où est l'espoir? La situation est bloquée. Dans tous les cas ce soir, le Premier secrétaire du PS a saisi la Haute Autorité d’Ethique du PS contre les 24 députés signataires de la motion de censure de gauche. Cette action est d’autant plus choquante qu’ils n’ont pas voté la motion de censure de la droite revancharde, eux, contrairement à certains impunément. Un certain nombre de permanence du PS sont saccagées, taguées, voire détruites, une préfecture a également été taguée. Tout ceci risque de profiter au FN. Ne nous y trompons pas.
Et la définition de Gramsci est de plus en plus actuelle: "La crise consiste justement dans le fait que l'ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître: pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés"
Afin d'éviter la catastrophe, il nous faut du neuf, la France a besoin radicalement de neuf, c'est notre défi. Allez Nicolas Hulot, sors du bois!