Ayant vécu à Berlin pendant près de 20 ans, y compris au moment de la chute du mur de Berlin, j’ai décidé d’écrire des articles ou de publier des traductions dans le cadre des 25 ans de la chute du mur. Voici la traduction d’une interview de Gregor Gysi, figure charismatique de la gauche allemande et président du groupe de die Linke au Bundestag, paru dans le Weser-Kurier, le 13 octobre.
Die Linke a une histoire étonnante derrière elle : Point de départ, elle succède au SED, l’ex communiste d’Etat de la RDA qui se transforme après la chute du mur en PDS ou Parti du Socialisme Démocratique, pour se constituer ensuite à l’échelon de toute l’Allemagne, en fusionnant avec la WASG de l’Ouest du pays ou Alternative Sociale Travail et Justice Sociale. Le Président du groupe de die Linke au Bundestag, Gregor Gysi, est devenu depuis le chef de l’opposition au Bundestag.
Ben Zimmermann s’est entretenu avec Gregor Gysi sur la chute du mur et l'époque qui a suivi.
Gregor Gysi, tout d’abord un petit test sur vos convictions, en répondant brièvement à trois questions : Quelle est pour vous la partie de l’Allemagne qui est la meilleure ?
Sans hésiter, la République Fédérale
L’idée du commmunisme n’est elle pas discréditée par les crimes monstrueux qui ont été commis en son nom ?
La notion de communisme est discréditée, bien que ce que Marx et Engels ont écrit dans le Manifeste communiste, soit une utopie fantastique.
La RDA était-elle un « Unrechtsstaat », un Etat illégitime, de non-droit ?
Pour moi, la RDA était une dictature et n’était pas un Etat de droit, des injustices très graves ont été ordonnées au niveau de l’Etat. Mais si je disais Etat illégitime ou de non droit, alors je délégitimerais tout, la vie de presque tous les gens, et ça non je ne le fais pas. Par ailleurs, il n’y a pas de traduction officielle de cette notion, de sorte que chacun met ce qu’il y veut.
Pourquoi un tel mot a t-il déclenché des débats aussi virulents ?
Parce que nous sommes Allemands.
C’est à dire?
En France et dans d'autres pays, on peut dire les choses de façon différente, seulement chez nous il faut un mot pour tout dire.
Le fait qu’il y ait de telles discussions n’est-il pas lié aux relations floues qu'entretient die Linke avec la RDA ?
Dans les autres partis, tout est toujours clair, il n’ y a rien entre le bien et le mal. C’est ce qui nous distingue des autres partis d’ailleurs.
Vous-même et votre parti, vous vous êtes longtemps opposés à la réunification. Quand on regarde les choses aujourd’hui, était-ce une faute ?
Les autres aussi à l’époque, mais les choses sont allées très vite. A la fin la question était plutôt sur le comment de la réunification : une véritable réunification ou bien un simple rattachement ? Comme le dernier l’a emporté, ceci a eu et a de grandes conséquences économiques et psychologiques aujourd’hui.
Diriez-vous aujourd’hui que la chute du mur et l’unité allemande ont été une chance pour le pays ?
La chute du mur, absolument. La situation de la RDA n’était plus tenable : pour un Allemand de l’Est, Paris était plus loin que la lune. Et la réunification était nécessaire. A partir du moment où le socialisme d’Etat a échoué, un deuxième Etat allemand n'était plus nécessaire.
la situation est-elle meilleure aujourd’hui pour la majorité des Allemands de l’Est ?
C’est très différent..
C’est ce que pense la majorité.
C’est quand même difficile à dire, car cela dépend bien sûr de chacun individuellement. Je vois les choses ainsi : La vie des Allemands de l'Est est plus libre, plus démocratique, ils ont accès aux biens, aux services, ce qui était à l’époque d’une difficulté extrême. Par ailleurs, celui/celle qui a toujours eu un travail et qui n’en a plus maintenant, a l’impression souvent qu’il ne signifie plus rien. Un sondage récent montre qu'ils considèrent que la situation est nettement meilleure maintenant concernant 10 questions et pour les 10 autres, ils préféraient la RDA.
Avec Joachim Gauck et Angela Merkel deux Allemands de l’Est sont à la tête de l’Etat et du gouvernement. Est-ce que cela vous agace quand on rappelle sans cesse leur origine ?
Ca dépend de l’intention : Si c’est au niveau de l’analyse, je trouve ça ok, si c’est discriminatoire, ça ne va pas. Nous arrivons à une époque, où cela ne joue plus de rôle, si quelqu’un vient de l’Est ou de l’Ouest. Par exemple, ma fille qui a 18 ans ne connaît plus cette différence.
En Thuringe, une coalition Linke-SPD-Vert est entrain de se fabriquer, dans d’autres Länder des coalitions SPD-Linke existent déjà depuis longtemps. Quand viendra t-il le temps pour une coalition au niveau national ?
Il y a trois conditions : déjà il faut une majorité au parlement, ensuite les contenus doivent concorder, enfin il faut que règne une tendance au changement. Celle-ci n’existe pas actuellement, c’est différent de 1998, lorsque le SPD et les Verts ont succédé à Kohl en 1998. Pour ce qui est des contenus, la grande difficulté se trouve dans la redistribution. Nous perdrions notre identité, surtout quand die Linke, qui ne revient pas en arrière, redistribue de haut en bas.
Est-ce que le délai de décence, où on ne voulait rien à avoir à faire avec le parti qui a succédé au SED, est atteint ?
Au début des années 90, une telle alliance était inconcevable, notamment à l’Ouest. Oui, c’est terminé. Nous avons fusionné avec la WASG et depuis 2013, nous sommes acceptés comme jamais nous ne l’avons été. Je suis même invitée par les entreprises.
Si vous aviez su en 1989, tout ce qui allait vous tomber dessus, est-ce que vous seriez entré en politique ?
Avec le peu que je me souvienne, j’aurais du dire Non. Je ne sais plus combien d’années de ma vie cela m’a coûté. Je ne pouvais pas le savoir à l’époque. C’était en partie terrible, c’était aussi un défi, mais cela m’a enrichi.
A la question qui vous avait été posée il y a trois ans, combien de temps voulez-vous faire encore ce job exigeant, vous nous aviez répondu de revenir après les élections législatives de 2013. Cela fait un an, quelle est votre réponse ?
Je suis encore fit. J’ai dit récemment à mon groupe de commencer à chercher quelqu’un quand j’aurai 90 ans. Ils ont tous ri, sauf quelques uns. Mais restons sérieux : je ne dois en aucun cas faire l’erreur de partir trop tard. Il doit y avoir un changement de génération, mais la date est ouverte.
Biographie: Gregor Gysi (66), profession avocat, élu en décembre 1989 juste après la chute du mur de Berlin, Président du SED/PDS 1989, puis actif politiquement à différentes fonctions. Depuis 2005, Président du groupe de die Linke au Bundestag.