« A moitié allemand, je n’ai pas de BMW, je mange bio (et local), me déplace à vélo, Jean-Luc Mélenchon, étonnant, non ? » twitte Jules Hébert, étudiant franco-allemand qui ainsi apostrophe Jean-Luc Mélenchon sur son pamphlet anti-allemand, le Hareng de Bismarck, le Poison Allemand.
Mais Jules Hébert a aussi écrit une très belle tribune pleine d'émotion sur ce pamphlet qui donne la nausée, tribune dont je partage totalement le contenu et que je publie ici avec son autorisation.
Lettre d’Allemagne, à Jean-Luc Mélenchon
par Jules Hebert (@julesheb)
J’ai la nausée. Cette nausée violente, celle qui serre le cœur et les tripes, qui rend fébrile. Cette nausée-là, oui, celle qui se déclare devant des pensées haineuses, primitives, gratuites. Les vôtres, Monsieur Mélenchon, dans le livre pour lequel vous faites campagne, Le hareng de Bismarck.
Vous nous dites que l’Allemagne est pour nous, « de nouveau un danger ». Qu’elle est un poison. Qu’elle est anti-écologique, qu’elle « déporte » ses vieux. Vous nous parlez de « cet affront », celui que fait Angela Merkel en offrant à François Hollande des « Harengs Bismarck », soulignant que Bismarck est « l’agresseur de la France » qui, victorieux, « fit couronner le premier empereur des Allemands dans la galerie des glaces de Versailles ». Passons sur votre description de Merkel (qui « s’en bat les couettes » (sic)) en mère fouettarde. Pourquoi tant de haine ? Pourquoi tant de mépris ? Pourquoi retourner en 1871 pour parler de ce qui agite l’Europe, aujourd’hui, en 2015, 70 ans après la Seconde Guerre mondiale ?
J’hésite entre deux explications devant tant de violence : une ignorance crasse ou la volonté délibérée de vous engouffrer dans la brèche insidieuse de la haine gratuite, un sillon qui fait recette.
L’optimisme et l’espoir qui m’animent me conduisent à espérer que c’est la première explication qui est la bonne. A penser que si vous veniez voir de vos propres yeux la société allemande, vous pourriez mesurer vos propos. Parler d’autre chose que des « allemands » en général. Peut-être suffirait-il de vous montrer l’Allemagne, celle qui agit, quotidiennement, de manière solidaire et écologique, qui promeut et met en place de vraies alternatives, qui se respecte et qui respecte les autres sans les juger comme vous le faites, à l’emporte-pièce, pour vous faire changer d’avis, ou vous permettre a minima de nuancer vos propos. Monsieur Mélenchon, vous êtes le bienvenu, si vous souhaitez faire la connaissance de ces allemands qui ne prennent que leur vélo pour se déplacer, qui trient rigoureusement leurs déchets et depuis bien plus longtemps que ne le font les Français, qui respectent leurs forêts et qui n’ont pas vraiment ni l’envie, ni l’argent de s’acheter une BMW.
L’Allemagne et les allemands, « modèle anti-écologique », écrivez-vous. Il faudrait bien plus que ces quelques lignes pour dresser la liste de toutes les preuves qui vont à l’encontre de ces affirmations, chiffres et exemples qui viendraient vous montrer combien la société allemande, les « Allemands » comme vous dites, sont en avance. Certes, la politique écologique menée en Allemagne a ses défauts et ses imperfections. Mais vous ne pouvez pas nier qu’elle est bien plus ambitieuse qu’en France, où c’est le nucléaire qui sauve le bilan carbone du pays. Je voudrais vous montrer combien nous pourrions aussi apprendre de la culture politique allemande, qui prône le compromis et la discussion plutôt que l’attaque et l’opposition stérile. Prenons un seul exemple, là aussi, en matière d’écologie : la sortie du nucléaire en 2011. Proposée par Angela Merkel - à l’encontre de l’avis de nombreux cadres de son parti – cette décision majeure a été votée par l’ensemble du Parlement, à l’exception du parti Die Linke (qui exigeait un projet encore plus ambitieux). Il ne fait pas de doute que la transition énergétique allemande est imparfaite et qu’elle exige des améliorations, mais connaissez-vous beaucoup de sociétés capables de trouver collectivement une solution sur un problème technique et politique aussi important ?
Pourtant, cette nausée violente me ramène à la réalité et m’amène à pencher pour la deuxième explication : une grossièreté délibérée au service d’une opération de communication. Je ne vois dans vos propos offensants que la dérive politique et morale de la part d’un homme pourtant réputé pour sa culture et son goût de la littérature. Non, Monsieur Mélenchon, vous ne pouvez pas, sans en mesurer la portée et la signification, affirmer que l’Allemagne est « de nouveau un danger ». Non, Monsieur Mélenchon, vous ne pouvez pas de manière insidieuse nous dresser le portrait grossier du boche, qui serait de retour. Car c’est cela que l’on retient de nombreux extraits de votre livre. Vous vous défendez en disant que l’ouvrage est un « pamphlet » qui ne s’égare pas dans des digressions intellectuelles et a pour but de provoquer. Qu’il ne s’adresse pas, en somme, aux spécialistes. Cette mission vous engage, Monsieur Mélenchon, elle vous donne la responsabilité de ne pas faire de raccourcis, de ne pas répandre de fausses et blessantes généralités. Provoquer, ça n’est pas attiser la haine comme vous le faites. Ca n’est pas parler de la prétendue « nature » des allemands comme vous le faites. Vous recourez de manière délibérée à des expressions et à des procédés qui se réfèrent à une Allemagne qui a existé entre 1933 et 1945. En utilisant sciemment ces clichés, ces expressions, vous tentez dangereusement de susciter la peur. Non, décidément, reprendre à votre compte l’expression « déportation des vieux », pour quelque motif que ce soit, ça ne passe pas. Ça n’est ni intelligent, ni responsable, ni décent.
Vous posez la question « qui a envie d’être allemand ? ». Si « être allemand » c’est simplement être un gros gras (mais pingre, bien entendu) qui mange une saucisse de porc maltraité et jette sa bouteille de bière pesticidée depuis sa BMW polluante en traversant la Forêt Noire, alors non, franchement je n’ai pas envie d’être allemand. Mais si « être français », c’est avoir la même attitude que vous, Monsieur Mélenchon, cette attitude jugeante, grossière et haineuse, alors, je n’ai pas non plus envie d’être français.
Oui, finalement, je vais vous le dire plus crument pour qu’enfin cette sale nausée puisse s’extirper de moi : votre livre pue. Il pue l’opération commerciale bien marketée. Il pue le temps des nationalismes de bas étages. Il pue la haine de l’autre parce qu’il est autre.
Triste constat. Tant d’analyses sur la « puissance » allemande existent, d’une finesse comparable à la grossièreté de votre livre. Tant d’ouvrages existent sur le mythe du « modèle allemand ». Il y a en effet tant à dire sur la politique de rigueur menée par Merkel et soutenue par les sociaux-démocrates. Il y aurait tant à écrire sur les effets des politiques libérales, partout en Europe et au-delà de l’Allemagne. Il y a en effet tant à faire pour changer l’Europe. Pour la rendre plus proche des Européens, plus solidaire, plus écologique. Mais ce n’est en définitive, pas l’objet de votre livre ni de la campagne qui l’entoure.
J’ai envie de citer Hannah Arendt – allemande, juive, exilée aux Etats-Unis, et lorsque l’on sait cela, ses écrits sur le pardon et les promesses prennent une autre dimension - mais elle ne fait pas partie de la maigre liste des intellectuels allemands que vous daignez adouber. Si vous l’aviez lue, vous n’écririez pas : « la légende voudrait que tout soit oublié, tout soit pardonné. Ce n'est pas ma façon de voir ». En définitive, vous l’avez trouvé, votre ennemi, celui qu’il faut pointer du doigt pour faire corps : c’est l’Allemagne, une et uniforme, en bloc.
Belle « façon de voir » l’Europe, en 2015, à l’heure où toujours plus de jeunes partent découvrir les autres cultures européennes, expérimentent des modes de vie différents, tombent amoureux, et font l’Europe franco-allemande, germano-grecque, italo-belge, tchéco-polonaise, bref, l’Europe, la leur, la nôtre, celle de demain. Pas celle qui se dégage, moisie et nauséabonde, de votre livre. Eux ont compris.