Pour Gregor Gysi, président du groupe de die Linke au Bundestag et figure emblématique de la gauche allemande, le gouvernement fédéral allemand a été, en ce qui concerne la Grèce, sans compromis, il a attisé les peurs et a renforcé les forces de droite en Europe. Déjà en 1998, Gregor Gysi avait dans un discours de quinze minutes prononcé au Bundestag prédit une crise de la zone euro. Son principal reproche: qu’il existe une monnaie unique, mais pas de constitution commune! Il présente également dans ce contexte un point de vue très intéressant sur l'expérience de l'unité monétaire allemande.
Je vous offre une traduction de la tribune de Gregor Gysi publiée dans le grand hebdomadaire allemand die Zeit
Sa tribune peut servir aussi de réponse à Jean-Luc Mélenchon qui déclarait dans l'hebdomadaire Marianne et publié également sur son blog : « L’annexion de la RDA a été un cahier de brouillon : il a ensuite fourni la matrice pour mettre au pas toute l’Union européenne » Jean-Luc Mélenchon semble vouloir ignorer que les choses étaient beaucoup plus complexes et qu'elles ne se sont pas passées exactement comme il le prétend, sauf à vouloir en faire une caricature.
La Grèce n'est pas à blâmer
Gregor Gysi
Le gouvernement Syriza a plutôt échoué quant à son objectif de négocier un compromis acceptable pour toutes les parties, afin de faire face à la crise de la dette grecque. Ce n'est pas de sa faute, tout du moins pas sur le fond. La cause principale réside dans le manque de volonté du gouvernement allemand, ne serait-ce que de réfléchir à une autre voie pour venir à bout du problème de la dette.
La voie aurait pu consister à séparer la question de la modernisation institutionnelle de la Grèce, urgemment indispensable, y compris la relance économique tout aussi urgente, de celle qui consiste à traiter le problème de la dette, dont la solution doit être européenne.
Au lieu de cela, l'Union européenne est entrée dans une situation où les différents Etats se sont mis à concourir les uns contre les autres, comme ceux qui cumulent tous les avantages au détriment des autres. L'alternative serait une communauté solidaire, où les bénéfices de la coopération seraient utilisés pour le développement de la vie économique, pour le renforcement des infrastructures publiques et des systèmes de sécurité sociale. Apparemment, il règne particulièrement en Allemagne une idée pratiquement paranoïaque, qui est que les autres pays de l'UE pourraient bien en profiter au détriment de l'Allemagne, sans avoir à lever le petit doigt.
Le résultat de l'unité allemande : l'AfD (1)
Cette peur - avec la participation active du quotidien Bild-Zeitung - a été projetée sur la Grèce. Mais cela ne concerne pas seulement la Grèce, mais aussi l'Italie et la France. Ce qui m'inquiète particulièrement, c'est que la politique de Merkel et de Schäuble - je me suis d'ailleurs demandé entre temps, qui des deux, à vrai dire, est chef du Gouvernement - renforce les forces hostiles à l'Europe, ici et au-delà de nos frontières. La domination allemande a conduit à l'émergence de l'AFD et renforce le Front national.
Le 23 Avril 1998, je faisais une intervention au Bundestag sur l'introduction envisagée de l'euro. Malheureusement, par rapport à ce que j'avais prédit à l'époque, j'avais en grande partie raison. C'était vraiment une illusion de croire qu'une union monétaire entre des économies très différentes, sans mesures d'accompagnement, conduirait à leur harmonisation et ne creuserait pas encore davantage le fossé entre elles.
Mais vouloir avoir raison à tout prix ne profite à personne. Regardons plus loin la position qui consiste à générer la compétitivité. Parce que les pays d'Europe du Sud n'avaient pas les moyens monétaires, d'améliorer leur position de concurrence sur le marché européen et mondial (par dévaluation), on leur a imposé une "dévaluation interne». En langage clair, cela signifie que les gens n'ont été considérés que comme des facteurs de coûts, et ce sont précisément les gens qui ont dû être "dévalués" par l'abaissement des salaires, des pensions et des dépenses sociales. Rien qu'en utilisant ce langage, on doit se faire du souci sur l'avenir du projet européen
Mais quel résultat aurait une telle tendance à la baisse pour les exportations allemandes? Premièrement, on assisterait à une contraction du marché. Puis, les exportations allemandes subiraient une concurrence accrue à travers les économies nationales devenues plus compétitives. Enfin, l'Allemagne serait de nouveau "l'homme malade de l'Europe". A la fin, on aurait un Agenda 2020 au lieu de l'agenda 2010 (2). Tout ceci deviendrait une descente aux enfers pour tous, naturellement sans aucune "alternative".
Beaucoup de pays ne veulent pas d’une Europe allemande
L'Allemagne à vrai dire le sait mieux que quiconque. Il y a même un modèle. Déjà avant la réalisation de l'unité allemande, le chemin vers une union monétaire, économique et sociale était tracé. On savait très bien qu'une augmentation du prix des exportations de l'ex-RDA, accompagnant l'union monétaire, conduirait à son effondrement, que l'économie nationale subirait le choc de l'ajustement structurel. Aussi une union sociale était urgente, pour pouvoir absorber les impacts de ce choc. Une union monétaire pure, sans éléments compensatoires, était à l'époque hors de question.
Le programme "Aufbau Ost" (3) a empêché la paupérisation massive
Avec la réunification, les nouveaux Länder (4) bénéficiaient des systèmes nationaux de compensation des charges y compris le "Aufbau Ost". Cela n'a pas empêché la frustration de beaucoup de gens de l'ex-RDA, mais a évité une paupérisation massive. Ceci a ouvert la voie pour la plupart, vers l'acceptation d'un État commun, en dépit de tous les scepticismes.
Bien sûr, la différence avec cette époque est évidente. Dans le cas de l'unité allemande, l'orientation était claire: il s'agissait précisément de l'unité allemande sous la forme d'une adhésion de la RDA à la République fédérale, en évitant un débat constitutionnel, qui n'était pas voulu politiquement - à la différence des auteurs de la Loi fondamentale. Aujourd'hui, dans le cas de l'integration européenne, nous rencontrons le probleme qu'il n'existe aucune sorte de reflexions quant aux finalités. C'est aussi la raison pour laquelle le processus d'intégration a dégénéré en un pur programme d'élite et de plus en plus de gens expriment leur distance, leur désaffection. C'est à partir de là que les nationalistes et populistes de droite tirent leur capital politique.
Il manque un principe de finalité accepté par les citoyennes et les citoyens
Le manque de perspectives quant aux finalités engendre donc des problèmes supplémentaires de légitimation, même si l'UE emprunte une voie à laquelle je pense: une Union compensatoire, laquelle est actuellement rejetée par la CDU / CSU et probablement aussi par le SPD, si je comprends bien Sigmar Gabriel (5). S'il y avait dans l'UE une perspective de rapprochement des conditions de vie qui soit contraignante de façon similaire comme c'est le cas en Allemagne, on ne pourrait pas contourner les instruments de compensation économique. Mais quelquechose qui est typiquement étatique comme l'est un ensemble de systèmes de compensations, ne peut avoir sa légitimation que s'l y a un principe de finalité approprié aux citoyennes et citoyens d'Europe et accepté par eux.
Parce qu'il n'y a rien de tel, même pas un débat politique à cet effet, nous sommes ramenés au statu quo, y compris à ses délires idéologiques néolibéraux. L'intégration européenne risque d'échouer à sa façon d'être. La victoire sur le gouvernement Tsipras peut occulter les faits. Le fait que l'Allemagne assume le rôle de puissance hégémonique, n'augure rien de bon à la longue.
Beaucoup ne veulent pas d'une Europe allemande
Les autres pays, les autres peuples commencent à s'y opposer, ils ne veulent pas d'une Europe allemande. Peut-être imposeront-ils une véritable intégration européenne, plutôt que la coque d'une monnaie unique, qui divise plutôt que ne rassemble. L'Allemagne souffre actuellement d'une forte perte de réputation que notre population doit payer. Actuellement, l'Allemagne apparaît comme vainqueur. Mais les vainqueurs, qui ne peuvent cesser d'être victorieux, perdent plus tard, mais alors clairement. J'espère que la défaite ne sera pas tellement grande, qu'une Allemagne européenne resterait hors de portée.
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Mes remarques qui ne sont pas celles de l'auteur:
(1) AfD: Alternative fuer Deutschland ou Alternative pour l'Allemagne: parti de droite populiste anti européen
(2) L'Agenda 2010 est le nom d'un ensemble de réformes menées par l'ancien chancelier Gérard Schröder entre 2003 et 2005. Il portait principalement sur des réformes du marché du travail (réformes Hartz) et des assurances sociales, conduisant à un fort démantèlement du marché du travail et dans le domaine social
(3) Aufbau Ost: Plan de reconstruction de l'Est de l'Allemagne lancé après la réunification allemande
(4) Les nouveaux Laender sont un espace décrit par la Commission européenne dans le rapport Coopération pour l'aménagement du territoire européen - Europe 2000 Plus. Il correspond au territoire de la RDA après leur réintégration dans la République Fédérale.
(5) Sigmar Gabriel: Vice-Chancelier, ministre fédéral de l'économie et Président du SPD
Traduction: Françoise Diehlmann